Covid et santé mentale : les jeunes d’Occitanie face aux gestes suicidaires

L’impact psychologique du Covid sur la population ne fait plus aucun doute. Mais peut-il être mis directement en rapport avec les gestes suicidaires ? Est-il le seul responsable de l’augmentation de ces derniers chez les jeunes ? Éléments de réponse.

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Les articles de presse, à l’image du dernier dossier de Libération, font état d’une augmentation inquiétante du nombre de tentatives de suicide chez les jeunes, parallèlement à l’épidémie de Covid. Des jeunes plus exposés que les autres tranches de la population ?

Une tendance que les chiffres de Santé Publique France semblent confirmer ces dernières années. En novembre 2020, 2,8 % de la population déclare avoir pensé à se suicider au cours des douze derniers mois. Chez les 15-24 ans ce chiffre monte à 5%.  

Le Covid, un facteur aggravant

La plateforme d'aide « Dites je suis là » a lancé sa campagne de communication en mars 2021 soit un an après le début de la crise sanitaire. « On retrouve clairement à ce moment-là une augmentation du nombre de tentatives de suicide chez les jeunes » explique l’un de ses responsables.  

Pour Yann Massart, « le suicide est multifactoriel ». « Il y a toujours d’autres causes auxquelles vient se rajouter la pandémie ». « On est face à un public de jeunes adultes qui physiologiquement subissent des évolutions. Le mal-être fait partie de l’adolescence. On a tous été « pas bien » quand on était ado » recontextualise Nicolas De Schryver.  

Le facteur déterminant dans cette épidémie c’est l’absence de perspective et la modification de nos organisations de vie ou de travail

Nicolas De Schryver, psychanalyste

Mais pour ce psychanalyste toulousain, le Covid a aggravé la situation, notamment chez les étudiants. « Le facteur déterminant dans cette épidémie c’est l’absence de perspective et la modification de nos organisations de vie ou de travail. Le dérèglement global de la société que nous vivons n’est pas un facteur motivant pour avancer ».  

« Les dernières publications, dès la première année de pandémie, montraient une nette augmentation des consultations en maison des adolescents. On notait aussi une hausse du nombre de passage aux urgences chez les jeunes femmes en particulier » reconnait Yann Massart.  

Les chiffres dans notre région sont éloquents. Si l’on considère la semaine de Noël et les moins de 15 ans, le passage aux urgences pour gestes suicidaires a bondi de 45%, ceux pour troubles de l’humeur de 15%. Chez cette même population, les actes de SOS Médecins pour angoisse ont explosé : + 156%.  

A son niveau, Jean-Baptiste Dethieux n’a pas constaté cette augmentation depuis le début de la crise sanitaire. « Expression de morosité, de dépit voire de formes dépressives oui, mais sans aller jusqu’au suicide » observe ce pédopsychiatre concernant sa patientèle. Mais, il constate toutefois une « augmentation croissante des consultations » des adolescents et jeunes adultes.  

Le psychiatre et psychanalyste toulousain parle de « malaise » et de « sentiment d’amputation » chez certains jeunes. « Ceux qui quittaient le lycée pour accéder à l’université par exemple ont vécu un double deuil » raconte le thérapeute. « En 2020 ils faisaient le deuil de leurs années lycée et se voyaient privés de la possibilité de faire du lien dans le nouveau groupe élargi qu’ils intégraient ».  

Isolement et idées noires

Des jeunes aussi désemparés face à leur isolement et donc plus enclins aux idées noires : Julia Pineau-Koziel en a aussi fait le constat. L’ambassadrice de « Dites je suis là » pour l’Occitanie prend l’exemple « des étudiants qui se sont retrouvés seuls, sans plus aucune soirée pour faire le lien ». « Et ça peine à revenir… » regrette-t-elle.  

Nicolas de Schryver qui gère la cellule d’urgence médico psychologique du CHU de Toulouse voit aussi beaucoup d’étudiants en difficulté : « par exemple celui qui devait s’expatrier pour ses études est empêché par la crise et voit ainsi sa perspective de carrière universitaire affectée ».  

Phénomène d'usure ?

Le psychanalyste poursuit : « on a aujourd’hui des 3èmes années qui sont très touchés parce que depuis le post-bac, ils n’ont pas connu une seule année en total présentiel. Et depuis janvier, ils sont encore plus confrontés à cette désorganisation avec là encore un nouveau semestre, un nouveau groupe de travail à découvrir, quand ils ne sont pas eux-mêmes atteints par le Covid ».  

De là à évoquer un phénomène d’usure et d’épuisement qui accentuerait les tentatives de suicide chez les jeunes après deux ans d’épidémie de Covid : « trop tôt pour le dire » selon Julia Pineau-Koziel. « En revanche on voit des troubles anxieux s’installer, y compris chez des personnes qui n’en avaient pas du tout avant la crise » relate la déléguée régionale de la plateforme d’écoute. Pour des chiffres plus précis, elle attend la journée régionale de prévention du suicide qui devrait se tenir début février.  

Des phénomènes d'addiction

Pour Nicolas De Schryver, la conséquence de ce mois de janvier très perturbé est concrète : « c’est pour certains « je n’ai plus envie d’étudier, ni de vivre ». Des étudiants qui étaient déjà en souffrance personnelle ou familiale vont parfois faire des tentatives de suicide, souvent accentuées par des phénomènes d’addiction. Là on arrive à un cocktail détonnant ».  

Si les données d'EpiCov rapportent des taux de consommateurs réguliers d'alcool et de cannabis en baisse par rapport aux données antérieures, elles font état d'une progression de plus de 20 % de consommateurs de psychotropes au cours de l'année 2020. « L’anxiété est prédominante dans l’acte suicidaire » prévient Nicolas De Schryver. Le psychanalyste note que des phénomènes d’auto-séquestration ont même été relevés chez certains jeunes.  

« Certaines personnes ont sombré dans l’addiction aux jeux vidéo, poursuit-il. Elles ne se posent plus certaines questions essentielles sur elles-mêmes comme « comment je mange », « comment je me sociabilise », « comment je me cultive », « comment je dors ». Sans aller jusque-là, d’autres sont plutôt dans l’absentéisme ou le « je vais baisser les bras », « je ne m’inscris plus dans cette vie car je n’entends que des messages flous ».  

Une prévention réactivée à maintenir à long terme  

Yann Massart de la plateforme d'aide « Dites je suis là » trouve toutefois un point positif à la pandémie que nous traversons. « On a vu des outils émerger à nouveau comme des lignes d’écoutes, notre plateforme ou encore le 31-14 ce numéro accessible aux proches et mis en place par le gouvernement ».  

Pour Jean-Baptiste Dethieux les pouvoirs publics ont joué leur rôle. « Il y a notamment eu le remboursement des consultations chez les psychologues » relève le médecin. Mais pour le pédopsychiatre toulousain, « on manque encore de professionnels sur le terrain pour les enfants et adolescents ».  

Et pourtant « il ne faut pas hésiter à consulter » martèle Nicolas De Schryver. Selon lui, il faut aussi former les parents à l’écoute car souvent « ils ne voient rien arriver ». « La meilleure des préventions reste la re-sociabilisation » assure-t-il. Elle ne sera possible que si l’on vient à bout du Covid.

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