L'agonie aura duré un peu plus d'un mois. Tétraplégique depuis sa blessure par un toro le 1er mai dernier à Ciudad Lerdo, le matador Rodolfo Rodríguez "El Pana" est mort le 2 juin à l'hôpital de Guadalajara.
El Pana avait 64 ans. Certains diront que c'est sûrement la mort qu'il aurait préférée, des suites d'une blessure par la corne d'un taureau.
Son cigare, ses tenues voyantes, son amour immodéré pour les femmes, toutes les femmes : El Pana s'était construit un personnage de torero bohème qui a fait le bonheur des chroniqueurs des deux côtés de l'Atlantique. Ces dernières années, il semble bien que le public était plus attiré par les extravagances que par la tauromachie de Pana.
Pourtant, dans le droit fil de la tradition mexicaine, El Pana travaillait avec le plus grand sérieux des suertes inédites et s'obstinait à toréer chaque jour plus lentement. Toute la volupté du toreo, disait-il, est dans sa lenteur.
Le 26 novembre 2010, j'étais allé le voir chez lui à Apizaco en compagnie de Jean-François Pilès (qui allait devenir son apoderado aux côtés de Robert, son père). À trois heures de route de Mexico, Apizaco est une ville sans le moindre charme construite autour de la ligne de chemin de fer. Dans les arènes, Rodrigo s'entraînait seul, mobilisant la moitié de la piste. L'autre moitié était occupée par les gosses de l'école taurine qui faisaient de leur mieux pour rester concentrés sur leurs figures de toreo de salon. On voyait bien qu'ils crevaient d'envie de rejoindre le vieux maestro.
Je suis resté trois heures à filmer les lentes arabesques du Pana.
Puis je l'ai interviewé. Je suis un lecteur acharné de Balzac m'a-til dit, je vais essayer te répondre en français. Mais j'ai préféré l'espagnol. Il m'a parlé des femmes, de toutes les femmes. Elles sont, avec les cuisiniers, les meilleures compagnes du torero.
Je laisse à ceux qui comprennent l'espagnol le plaisir de découvrir ces délicieux propos. Et aux autres, je suggère de trouver un ami qui les traduise.
L'entraînement fini et l'interview faite, il s'est changé et nous sommes allés déjeuner dans une cantina près de la gare ou Pana est un héros. Il y avait du poulet au chocolat. Quand j'y repense aujourd'hui, je trouve qu'il avait un goût amer.
JJ