A Remoulins, dans le Gard, une clinique a ouvert en 2018 une unité d’hospitalisation pour prendre en charge de manière globale les victimes de psychotraumatisme, un traumatisme qualifié de complexe. Reportage au cœur de cette unité de soin novatrice.
Des événements violents, récents ou parfois bien enfouis, peuvent un jour bouleverser l'équilibre de chacun. C’est l’histoire de Marie*, une Gardoise, victime d’inceste dans son enfance qui, à l’âge adulte a fait deux tentatives de suicide consécutives. “Moi j’appelle ça des appels au secours”, confie-t-elle. “Je vivais avec ça depuis des années. Entre temps, je me suis mariée, j’ai eu des enfants mais j’avais toujours des épisodes dépressifs, de mal-être".
Après ses deux tentatives de suicide, la quinquagénaire est admise à la clinique du Pont du Gard, dans l’unité psycho-trauma. Il y restera pendant presque 4 mois. “Je suis passée par des phases très difficiles”? témoigne-t-elle. “Tout ressortait, mais c’était le but. Il fallait que tout ressorte pour me soigner convenablement. J’ai finalement appris à avancer, à ranger mon trauma dans un coin, et à vivre avec, parce qu’il existera toujours”.
J’ai finalement appris à avancer, à ranger mon trauma dans un coin, et à vivre avec, parce qu’il existera toujours.
Avant son arrivée à la clinique, Marie avait multiplié les tentatives de soins, enchaînant les psychothérapies sans résultats. Mais dans cette unité spécialisée, la prise en charge du patient est bien différente.
C’est comme un cocon. On est pris en charge du matin au soir par des professionnels de santé.
D’abord, la victime est invitée à parler, à se confier sur son vécu. “On cherche à ce que la personne soit dans de bonnes conditions pour qu’elle puisse parler et que nous, on comprenne leur histoire traumatique et qu’on puisse intervenir de manière judicieuse”, explique Aurianne Parry. Elle est psychologue clinicienne et chargée du premier contact. “Et ensuite, dans cette relation thérapeutique, on instaure un climat de confiance. C’est le plus important, car on peut ainsi poser des mots sur une histoire traumatique, ce qui souvent n’a pas été fait avant”.
Le climat est d’autant plus difficile à obtenir que les traumatismes rencontrés sont bien souvent liés à l’enfance, à des cas d’abus ou de maltraitance de la part d’un ou plusieurs parents. La victime se construit alors avec l’idée que la relation à l’autre, bien qu’indispensable, est dangereuse.
Une prise en charge pluridisciplinaire...
Une fois le lien établi, c’est tout un parcours de soin qui attent le patient. Dans cette unité, l’apprentissage du bien-être est central à travers par exemple la pratique du sport ou la balnéothérapie.
Plongée dans l’eau tiède, le patient se détend et se laisse aller. “On en profite pour proposer des séances d’entretiens à nos patients parce que dans ces moments, il peut y avoir des choses qui vont ressortir et qu’ils auront besoin d’évacuer”, précise Myriam Ferrer, coordinatrice des ateliers bien-être. “Souvent, on fait face à des remontées émotionnelles, ça peut-être des pleurs, pas forcément des pleurs négatifs, mais des émotions fortes qui reviennent. Mais ils sont en sécurité, et nous sommes là, à l’écoute”.
Des ateliers de réalité virtuelle, de méditation et de musicologie sont également utilisés comme outils thérapeutiques. “L’idée est de permettre des phases de stabilisation émotionnelles, des phases de stabilisation neuro-psychologique”? affirme Alain Lecluse, responsable des soins. “L’idée, c’est d’utiliser les 5 sens de la personne pour faire redescendre la pression.”.
... pour diminuer la prise de médicaments
Une méthode qui permet aux patients de continuer ces traitements une fois sortie de la clinique. Elle a aussi l’avantage d’alléger les traitements médicaux, ce qui paradoxalement facilite la guérison. “Les patients qui souffrent de psychotrauma arrivent souvent avec des symptômes dit de pro-activation, c’est-à-dire que pour rester à distance de l’événement traumatique, le cerveau donne des sensations d’engourdissement, la personne n’est plus vraiment là”, analyse le psychiatre Mehdi Ghozzi. “Certains médicaments accentuent ces phénomènes-là et empêchent l’intégration de la mémoire traumatique". A l’inverse, le psychiatre cherche à favoriser l’ancrage dans le présent de ses patients afin de diminuer l’anxiété due à la mémoire traumatique.
Une unité novatrice
Le docteur Mehdi Ghozzi est à l’initiative de cette unité créée en 2018. Elle traite spécifiquement les psychotrauma. “Un psychotrauma, c’est la conséquence d’un événement violent vécu par une personne et qui va engendrer un stress physiologique tellement fort, que par survie, cet événement ne va pas être intégré comme un événement normal et va être responsable d’une mémoire traumatique”.
Par la suite, cette mémoire se déclenche de manière incontrôlable et occasionne un débordement émotionnel. Les conséquences sont lourdes : dépressions, instabilité émotionnelle forte, troubles du comportement, de la conduite alimentaire, addictions voire même conduites suicidaires.
Le psychotrauma toucherait environ 2% de la population française. “Personne n’est à l'abri de développer un stress post-traumatique”, complète le psychiatre. “Les personnes qui ont eu des traumatismes durant l’enfance vont être plus susceptibles de développer des trauma complexes par l’avenir et auront encore moins de capacités à pouvoir intégrer les événements violents de la vie, comparé à des personnes qui ont eu une enfance beaucoup plus équilibrée.”.
Le docteur Mehdi Ghozzi a mis en place cette approche globale dans le traitement des psychotraumatismes. Les patients sont hospitalisés pendant 3 mois en moyenne, le temps de pouvoir se stabiliser. Ils sont ensuite suivis à distance.
Un manque de structure en France
Aujourd’hui, l'équipe traite 20 patients victimes de traumatismes complexes. Mais la liste d’attente pour être pris en charge s’allonge. Attentats, mouvement “me too”... la demande flambe mais rares sont les unités de prise en charge dans le pays. “Des centres de psychotrauma fleurissent en France et c’est une bonne chose. Mais l’offre de soins proposée est complètement insuffisante aujourd’hui au regard du taux d’incidence très élevé et sous-estimé des personnes qui souffrent de traumatismes complexes”, déplore le docteur Mehdi Ghozzi.
Le médecin forme régulièrement des confrères et participe à la création d’un réseau de traitement des psychotrauma. Un nouveau centre de prise en charge vient d’ailleurs d’ouvrir au CHU de Nîmes.
*Le prénom a été modifié