Quartier du Valdegour, à Nîmes. Depuis 1986, Madani Marzuk a constitué un trésor inestimable. Peu après son arrivée, en 1979, il a cherché comment s’investir dans la vie de cette cité. Pour cela, il a pris une caméra, un micro, et a filmé son quotidien. Il en a tiré un film documentaire, et une multitude de souvenirs, devenus précieux.
On n’a pas vu le temps passer, mais nous sommes déjà en 2022. Ils commencent à se faire vieux tous ces bâtiments des quartiers populaires. Les cités aussi ont leur histoire, leurs mouvements, leurs tendances. Et si vous ne vous en souvenez pas très bien, ce n’est pas grave, demandez à Madani Marzuk, il a tout filmé. Il est arrivé à Nîmes dans le quartier du Valdegour en 1979, et, très rapidement, a commencé à vouloir agir dans son quartier.
À la fin des années 80, une poignée de leaders associatifs dynamisent la vie citoyenne de la cité nîmoise. Ils organisent des débats, créent des structures, montent des festivals, forment les jeunes à la captation vidéo et à la responsabilité politique. Ils créent l’association Espoir en 1988, puis Espace Création Vidéo en 1994. Acteur essentiel de ces mobilisations, Madani ne se contente pas d’animer les événements.
Il fallait garder une trace de tout ça, de ces témoignages, de destructions même parfois, de ces mobilisations, de ces fêtes.
Madani Marzuk
Chaque fois qu’il peut, il sort sa caméra. Pendant plus de 30 ans, il filme chaque épisode notable de la vie de la cité, et conserve précieusement les bandes. "Je sortais ma caméra tout le temps, explique-t-il. Je ne sais pas très bien pourquoi je le faisais, mais j’avais quand même au fond de moi l’intuition qu’il fallait garder une trace de tout ça, de ces témoignages, de destructions même parfois, de ces mobilisations, de ces fêtes. Je me disais qu’un jour ça allait avoir de la valeur. Ce n’est pas pour moi que je l’ai fait, c’est pour ceux qui allaient reprendre la lutte, pour ceux qui allaient reprendre la musique. Qu’ils aient des images de leurs ainés, qu’ils se souviennent quelles notes on a joué."
Pendant des années, il travaille avec une petite équipe à assembler quelques images, et en 2018 il diffuse pour la première fois un documentaire qu’il appelle « S’hab la ZUP ». « C’est comme ça qu’on s’appelait entre nous, explique Madani. « S’hab » ça veut dire « les gars de » en arabe. » Un film qui reprend les grandes lignes des mouvements de sa cité de Nîmes, et qui entre au patrimoine de l’histoire des quartiers populaires.
Transmettre
Aujourd’hui, il n’y a plus autant de monde qu’avant, chacun a fait son bout de chemin et la plupart des leaders d’hier ont préféré verrouiller un poste à la mairie ou ailleurs. Toutes les associations ont été fermées, et les festivals n’existent plus. "La mairie a repris les événements qu’on avait créé, avec beaucoup plus de budget mais ça n’a jamais vraiment marché. Ils ont fini par tout arrêter." Ou presque.
Avec l’association AMIS qu’il crée en 2006, Madani continue tout seul d’apprendre à des jeunes comment régler une caméra, cadrer, ou prendre le son. "Capturer la mémoire ça s’apprend. J’invite tous les jeunes à filmer ce qu’il se passe chez eux. Parce que dans le temps ça deviendra quelque chose d’important." Quand il nous fait visiter son quartier, on a la nostalgie de ceux qui se déplacent sur des vestiges. "Là, on est sur la place Avaugadro, commente Madani. C’est ici que tout se passait. Les gens se retrouvaient pour partir sur des mobilisations ou pour partir à la plage".
Honorer les monuments
Les quelques vieilles personnes qui discutent sur un banc ajoutent à la mélancolie d’un temps bien révolu. À l’un des angles de cette place, un immense bâtiment s’élève. Tout en haut, au-dessus des fenêtres du dernier étage on y voit marqué « MERCI » en lettres majuscules au milieu d’un énorme coeur rouge. "C’est une tour historique. La plus haute de tout le quartier, raconte Madani. Depuis son toit que les pompiers venaient regarder s’il y avait des incendies alentours, c’est aussi de là-haut que les jeunes faisaient de la descente en rappel. Ils vont bientôt la détruire, plus personne n’habite dedans. Cette inscription c’est une manière pour les jeunes de lui dire au revoir."
Que reste-t-il ?
Ils ont manifesté, et ils sont partis. Les Fatiha, les Nordine et les autres. Il nous reste les souvenirs et les slogans. Les luttes, les mobilisations, les espoirs enveloppés dans les isoloirs des années 90. Des photos sépia où des mecs sourient et ont l’air de se dire des trucs dont personne ne se souvient, dans des survêtements Sergio Tacchini.
Le souvenir des filles aux cheveux bouclés et aux jeans remontés jusqu’au nombril "J’ai un ami qui me disait toujours : on ne tourne pas la page tant qu’on n’a pas écrit l’histoire." Reste à l’écrire. Madani résiste encore, comme les tags des années 90 sur la place Avogadro. Pas besoin d’être des milliers, suffit d’un seul témoin pour sauver toute l’histoire.