Les dégâts provoqués par la vague de gel sont colossaux. "Une catastrophe"pour les professionnels qui n’avaient pas connu un épisode aussi dévastateur depuis 1991. Viticulteurs et arboriculteurs demandent des mesures d’urgence et d’accompagnement pour affronter "une année blanche".
"Le bilan n’est pas bon", explique Françoise Roch, arboricultrice à Moissac dans le département du Tarn-et-Garonne et présidente de la fédération nationale des producteurs de fruits.
C’est une catastrophe, toutes les régions françaises sont touchées, 80% du vignoble français est perdu et côté arboriculture ce n’est guère mieux, cela dépend des producteurs et des régions, le Tarn est très touché et dans le Tarn-et-Garonne, premier producteur français de pommes et de prunes entre 70 et 100% des cultures sont détruites.
Demain lundi 12 avril, avec Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA, ils s’entretiendront en visioconférence avec le ministre de l’agriculture et de l'alimentation Julien Denormandie. Ils vont demander des mesures d’urgence et d’accompagnement. "Pour les viticulteurs c’est la double peine après une année très compliqué en raison de la crise sanitaire ils accusent le coup avec les dégâts causés par la vague de gel", précise Françoise Roch.
On a eu une vague de gel hivernale avec des températures qui sont descendues jusqu’à -5 et -6 degrés dans les vergers et les vignobles, rien à voir avec des gelées de printemps et à ce stade de maturité les vergers et les vignes n’ont pas tenu le coup malgré les mesures de préventions déployées, tour à vent, bougies et système d'aspersion en eau.
Des gelées dévastatrices
Dans l’Hérault, toutes les vignes ont cramé, dans les départements du Tarn et du Lot, le bilan est lourd. Chez nous dans le Tarn-et-Garonne pour les arboriculteurs c’est une catastrophe, énormément de vergers ont été touchés, chez certains c’est toute la récolte de prunes qui est foutue, 80% de la production d’abricots et de pêches est anéantie par le gel.
Lucie Filippa Bertrand est arboricultrice à Nègrepelisse dans le Tarn-et-Garonne. Dans son exploitation les gelées de ces derniers jours ont engendré des dégâts importants :
On a perdu six hectares de prunes, toute notre récolte. On n'a jamais connu un tel coup de froid à cette saison. C’est une gelée noire : un air froid glacial ça ne pardonne pas pour les fruits. Dans certaines zones, les protections ont fonctionnées mais à certains endroits, rien n’a résisté au gel.
Françoise Roch, arboricultrice à Moissac a perdu 40% de sa récolte de pommes, prunes et raisins de table sur ses 15 hectares d’exploitation.
"Seuls ceux qui ont sorti la grosse artillerie, ceux qui avaient des systèmes hyper performants antigel ont pu faire face. Je pense notamment au système d'aspersion de l’eau mais pour la majorité qui a fait marcher les tours à vent et bougies, le bilan est lourd. C’est la double peine, j’ai investi dans plus de 10.000 euros de bougies et cela n’a servi à rien. En plaine, c’est 100% de la récolte de prune perdue, sur les coteaux on a pu en sauver quelques-unes".
Arboriculteur à Lizac dans le Tarn-et-Garonne, Gérard Lacombe qui s’était préparé à cet épisode de gel a perdu 40 % de sa récolte, l’équivalent de deux hectares qu’il n’a pas pu protéger.
La question de l’eau
Face à cette "catastrophe", la question de la ressource en eau se pose, selon Françoise Roch.
Le système d’aspersion de l’eau fonctionne bien à condition de couvrir l’ensemble des vergers et de pouvoir investir dans ce système très couteux et gourmand en eau. L’accès à l’eau c’est une vraie question: est-ce que l’on peut sacrifier sur des accidents climatiques tout un pan de notre culture ? L’Etat doit nous aider et investir dans les retenues d’eau collinaires.
Gérard Lacombe précise: "on n'a pas accès à l’eau, je sais que c’est un débat qui fait polémique mais il faudrait installer des retenues d’eau. En Espagne ils ont multiplié les retenues d’eau pour aider les agriculteurs, chez nous c'est compliqué".
Pour Lucie Filippa Bertrand, "il faudrait investir pour nos vergers en Tarn-et-Garonne investir dans un système de pompage pour l’arrosage, c’est ce que l’on a fait sur notre exploitation en Aveyron mais le système est couteux, 95000 euros hors taxe, très onéreux même si on a accès aux aides de la Région".
Des mesures d’urgence et d’accompagnement
Samedi 10 avril, le premier ministre Jean Castex a promis la mise en place d’enveloppes exceptionnelles pour venir en aide aux agriculteurs. Mais la situation est grave et les professionnels du secteur comptent sur un accompagnement à long terme pour affronter cette "année blanche".
"La situation est telle que certaines fermes ne se relèveront pas si des mesures fortes ne sont pas mises en place pour leur venir en aide", rajoute Françoise Roch.
Demain, les professionnels vont demander au ministre de l’agriculture et de l'alimentation Julien Denormandie, des mesures d’urgences comme repousser les annuités de prêts ou encore "le déplafonnement du régime d’indemnisation des calamités qu’il faut faire jouer à fond pour affronter cette année blanche", précise Françoise Roch. Car comme l’explique Lucie Filippa Bertrand, arboricultrice : "les subventions n’arrivent jamais à couvrir les pertes de chiffres d’affaire, il faudrait un report d’échéances et des cotisations".
"A plus long terme l’Etat doit nous accompagner dans l’aide à l’investissement par exemple. On ne peut passer cette année blanche seuls, les charges courantes sont élevées, les fermes empruntent de plus en plus pour investir dans les filets de protection par exemple", précise Françoise Roch. "Malgré la perte des récoltes il va falloir continuer à entretenir les vergers, à les protéger des maladies et pratiquer la taille pendant l’été, tout cela à un coût".
"Et puis il faut préparer la reprise, 2022", rappelle Françoise Roch. "On va perdre des marchés et l’an prochain on risque d’avoir une récolte importante car l’arbre se sera reposé et donnera plus des fruits. On va se retrouver avec une offre importante et peu de clients puisqu’ils auront signé ailleurs. C’est toute une filière qu’on met à mal, il faut absolument nous accompagner".
La loi du marché
"Depuis 1991, le prix des fruits aux consommateurs n’a pas augmenté comparé à nos charges", analyse Françoise Roch. "Du coup pour être viables les exploitations grossissent, on vit difficilement avec 20 hectares. On continue à faire grossir nos fermes pour faire baisser les charges et garder les prix compétitifs c’est la loi du marché de l’offre et de la demande. Mais il faudrait peu pour que les petits exploitants vivent de leur production, 40 centimes de plus pour la prune, 20 centimes de plus pour la pomme ce n’est pas si dramatique pour le consommateur. Mais pour le moment on va à contre sens de ce type d’agriculture".
Quelques points positifs
Le chasselas de Moissac semble avoir été épargné par cette vague de gel destructrice. Les pertes ne devraient pas dépasser les 20 à 30%.
La récolte de prune dans le Tarn-et-Garonne ne sera pas abondante cette année pour Jean-Marc Boyer qui dirige une entreprise de distribution de gros de fruits et qui travaille avec plus de 150 producteurs, "les volumes devraient diminuer de 50%, le même volume atteint en 2018".
Les professionnels très touchés restent vigilants, une nouvelle vague de gel est annoncée la semaine prochaine par Météo France mais les gelées ne devraient être que printanières.