Elle a été lanceuse d’alerte dans l’affaire de maltraitances au sein de l’IME Moussaron. Céline Boussié devient l’héroïne d’une BD « Soigne, maltraite et tais-toi » parue chez « La boite à bulles »
Comme beaucoup de lanceurs d’alerte, à qui cette série de BD est consacrée, Céline Boussié n’était pas partie pour se battre pendant 10 ans. Un combat pour faire exploser la vérité et rendre leur dignité aux enfants hébergés dans l’IME Moussaron.
Des « enfants enfermés dans des cages de verre, des petits assis nus sur des seaux au milieu d’autres enfants, des plus grands pliés en deux dans des lits en fer trop étroits » comme les décrit Nicolas Bourgouin. Le documentariste qui a fait éclater l’affaire à la télévision signe la préface de l’ouvrage.
C’est d’ailleurs par la diffusion de ses images devant le tribunal que démarrent les premières planches. « Ce sont des pratiques courantes » rétorque l’avocat de l’IME. Bronca dans la salle d’audience… « Celles qui ont parlé en 1995 sont poursuivies pour diffamation. Deux éducatrices sont condamnées à payer près de 5000 euros de dommages et intérêts à l’IME » explique aussi le reportage.
La volonté d’aider
Céline Boussié a toujours eu la volonté d’aider chevillée au corps. Titulaire d’un bac sanitaire et social, elle cherche une alternance pour se spécialiser davantage. C’est un ancien collègue de maison de retraite qui lui parle de l’IME Moussaron comme d’« un bon plan » où, en plus, on recrute. Après plusieurs expériences en ehpad et à domicile, et alors ouvrière agricole, l’héroïne du livre décide d’envoyer un CV à Moussaron.
Elle se rend à l’IME dont le château (très bien illustré dans la BD par François Sanz et Philippe Marlu) l’impressionne extérieurement… Présentée à ses futurs collègues, elle y est engagée presque instantanément comme « monitrice remplaçante » pour un CDD de trois mois Et ce, alors qu’elle dit elle-même « ne rien connaître au polyhandicap ».
La BD pour mieux comprendre
L’avantage de la Bande-Dessinée, c’est que cet art permet de comprendre rapidement certains dossiers très complexes. Par exemple, une planche en vue aérienne du domaine de Moussaron permet de saisir la répartition des pavillons et des patients, le « présentable » et le « moins présentable » au sein de l’institution.
Entre les toilettes du matin et la gestion du linge l’après-midi, Céline se rend vite compte qu’il n’y a pas vraiment de temps pour s’occuper des enfants dont elle a la charge. Rapidement, elle constate aussi la vétusté des installations pas vraiment aux normes et non entretenues (pendant que les Ferrari et Bentley du directeur dorment dans un garage adjacent).
Pas de quoi encore alerter la jeune femme. Quelques semaines plus tard, Céline Boussié signe son alternance de 18 mois pour devenir « aide médico-psychologique ». Au même moment, l’employée en congé maternité qu’elle remplaçait revient et elle doit changer de pavillon tout en accueillant un nouveau collègue.
Le choc
Le bâtiment gauche accueille « les pensionnaires polyhandicapés non-verbaux ». « Gilets de contention », « jeune adulte en turbulette souillée d’urine, de selles et de sperme », la première vision en entrant est apocalyptique : « il y a un problème à Moussaron ».
Le travail est sans fin et ne laisse toujours pas le temps de contribuer à l’autonomisation des pensionnaires. Les moments les plus difficiles restent le soir quand les enfants doivent être attachés à leur lit pour dormir, une contention quotidienne. Quant à l’équipe de nuit, elle semble bien famélique : deux salariés, un veilleur et un infirmier pour s’occuper de 80 pensionnaires…
Maltraitance avérée
L’emploi du temps de la future lanceuse d’alerte évolue et elle s’occupe de pensionnaires aux handicaps plus légers. Elle est sûre qu’ils pourraient faire des progrès si l’on s’occupait d’eux. L’une d’elle, Célia, à qui Céline s’attache est transférée dans le bâtiment gauche, soi-disant pour avoir agressé un autre pensionnaire. Là-bas, elle sombre.
Céline s’aperçoit que la nourriture est rationnée, que les radiateurs vétustes brûlent les pensionnaires et surprend une de ses collègues en train de gifler l’un d’entre eux. Les phénomènes de maltraitance se multiplient. Céline alerte sa direction qui fait la sourde oreille.
Menaces et entrée en résistance
Parallèlement Céline Boussié poursuit sa formation et s’aperçoit d’autant plus des manquements de l’IME. Une pensionnaire meurt. Une autre se brûle avec un tuyau défectueux. La direction la désigne comme responsable et lui demande de démissionner. Pour la première fois, elle menace de les mettre en cause, photos des installations défectueuses à l’appui.
Alors que vingt salariés démissionnent entre 2010 et 2011, Céline Boussié se retrouve en CDI malgré elle. La direction de l’IME a en effet continué à la faire travailler alors que son alternance était terminée. Les violences verbales ou physiques sont quotidiennes, sans que les parents se doutent de quoi que ce soit. Céline s’oppose de plus en plus à ses supérieurs.
C’est lorsqu’on lui demande de signer une lettre de décharge que l’aide médico-psychologique se rend compte qu’il y a déjà eu deux affaires Moussaron en 1995 et 1999. Et que les employés qui les avaient révélées ont été condamnés pour diffamation. Céline craque, tombe dans la dépression, essaie d’aller voir un syndicat mais surtout décide de monter un dossier.
Alerte lancée
En arrêt maladie, elle a du temps et accumule les preuves grâce à des entretiens d’anciens employés, y compris ses prédécesseurs lanceurs d’alerte condamnés. Le combat sera rude face à une institution qui arrive à toucher et détourner des subsides de l’Etat et à tromper l’Agence Régionale de Santé. Associations, syndicats, politiques, elle frappe à toutes les portes.
La ministre déléguée aux personnes handicapées met finalement l’IME sous administration provisoire et diligente une mission de l’Inspection Générale des Services. L’affaire éclate et se retrouve médiatisée, tout comme Céline Boussié, prise à partie notamment sur les réseaux sociaux accusée « au choix d’avoir dénoncé ou participé ».
Le nombre de places à l’IME est réduit. Les mineurs doivent partir. Les parents subissent une double peine, après le mauvais traitement, leurs enfants se retrouvent sans solution de prise en charge. Là encore, certains salariés tiendront Céline Boussié pour responsable de la situation.
Justice rendue
Candidate aux élections municipales sur une liste qui soutient son alerte, elle sera aussi diffamée et là encore menacée. Elle portera d’ailleurs plainte pour dégradation de domicile. Surendettée, elle déménage sur Agen, dans la foulée sera licenciée pour inaptitude et devra monter un dossier aux Prud’hommes.
Pour porter la parole des parents, usagers et professionnels de santé, l’association » Handi ‘gnez vous « est montée. Ce qui n’empêche pas certains parents de porter plainte contre la lanceuse d’alerte. C’est en tant que telle qu’elle est désormais invitée sur les plateaux de télé tandis que le procureur classe neuf plaintes sur dix.
Mais appuyée par l’association, Céline frappe à toutes les portes y compris l’ONU. Mais c’est coup pour coup avec l’IME et elle est à son tour mise en examen pour « diffamation ». La mère d’un enfant décédé lui dit que ce procès doit devenir « celui de la maltraitance et non le sien ». Un comité de soutien est créé.
Céline Boussié conclura ce procès par ces mots : « je remercie l’institution de m’avoir fait vivre ce calvaire parce que j’ai arrêté d’avoir peur et je suis devenue une militante ». La justice reconnaîtra la maltraitance mais il n’y aura aucune condamnation au pénal pour les dirigeants de l’IME Moussaron. « Quant aux enfants qui vivent encore au château (ou dans tout autre IME) comment savoir si leur quotidien va dans le bon sens » s’interroge pour conclure la lanceuse d’alerte.
"Soigne, maltraite et tais-toi !", Ferenc et Sanz, "La Boîte à Bulles"