"Un arc- en-ciel après l'orage", un livre sur l'acceptation et le dépassement du handicap. Un hymne à la vie puissant, écrit par Johanna Dorso, une maman toulousaine pour sa fille Clélia. Comme une introspection pour mieux se connaître, savoir ce qui est essentiel. "Clélia m'a fait voir ce qu’était le vrai bonheur, j’ai l’impression qu’elle m’a sorti de mes futilités."
Et si on changeait notre regard sur le handicap ? Pas de fausse complaisance, pas de fuite ni de renoncement. Non, juste voir la réalité des choses. Le livre de Johanna Dorso "Un arc en ciel après l'orage" est comme un électrochoc salutaire. "Dans ce livre, je ne vais pas me plaindre. Je vais juste raconter notre quotidien, lever le voile sur les non-dits", écrit la maman de Clélia touchée par plusieurs handicaps.
Sortir le handicap du tabou
Au départ, Johanna écrit ce livre pour elle, pour poser les choses, consigner ses doutes, ses fragilités et ses colères. Elle couche les mots, quand elle peut, sans savoir quel sera leur voyage. Comme une introspection sur ce qu'elle vit, pour mieux comprendre, sans mauvaises raisons et sans faux espoirs.
C'est le premier confinement, une période hors du temps, propice à se poser. Ce qui n'était au départ qu'un récit personnel va devenir un livre puissant pour que tout le monde puisse se poser les bonnes questions sur le handicap. "Le fait d’en parler nous fait rencontrer les bonnes personnes, et nous libère des mauvaises. Le fait d'en parler permet de changer toujours un peu plus l'image du handicap en France. Le fait d’en parler permettra enfin au lecteur soit de se sentir concerné par une situation qu'il ne connaît pas, soit aidé dans une situation qu'il connaît déjà. C’est ce qui m’a manqué, à moi", écrit Johanna Dorso.
Pas facile de parler de son intimité lorsque l'on est une personne hypersensible. Johanna Dorso a trouvé le contrepoint : raconter les choses avec humour comme la naissance de son second enfant auquel est consacré le livre : Clélia.
"Nous partons pour la maternité, la même que pour mon premier. Le personnel nous installe dans une chambre digne de Lady Di. Depuis quand ont-ils des chambres comme ça ? Pour mon fils j’ai accouché dans un placard à balais, affreusement glauque, la peinture se décollait du mur. Je suis donc ravie et détendue, je m’installe... Après seize heures de travail, contre vingt-quatre pour le premier, en trois poussées Miss Monde est dehors. Elle est parfaitement parfaite. Sans une égratignure. La sage-femme est satisfaite, nous aussi. Clélia est née."
La surdité de Clélia qui rend les gens aveugles
Sans complaisance, le livre commence par raconter les traits essentiels de son auteur, pour mieux comprendre. Chaque détail de ces tranches de vie est raconté avec précision, sans s'appesantir sur ce qui est accessoire. Tantôt souriant, tantôt brutal. La vie quoi.
Nous sommes en 2012. Johanna et Christophe sont des parents comblés, comme Aaron, le grand frère de Clélia. Les premiers sourires, les premiers gestes forcément magiques pour eux. Trois mois comme une parenthèse innocente avant que la maladie ne vienne ponctuer et bousculer leur vie.
En sortant de la maternité, tout va pour le mieux. Certes, Clélia n'a pas répondu aux stimuli auditifs mais rien de préoccupant. Trois mois plus tard, l'hôpital envoie un rendez-vous pour faire des tests à Clélia. Mais sur quoi précisément ? Pourquoi ?
Le début de longues péripéties et interrogations qui n'auront pas toujours une réponse. Avec beaucoup de franchise mais aussi de recul, Johanna Dorso raconte ce premier rendez-vous manqué, la difficulté de faire les examens nécessaires à un nourrisson, l'incompréhension des parents et les colères qui s'ensuivent. Clélia est sourde.
"Mais c'est quoi cette blague ?
Elle est où la caméra cachée ?
Johanna tu n’es pas assez connue pour participer à vidéo gag.
Le docteur reformule :
- Votre fille commence à entendre au niveau d'un marteau-piqueur, J’ai bien saisi. Le mutisme m'envahit et mes yeux commencent à me chatouiller. Je m’excuse de ma réaction qui me semble excessive, des larmes coulent le long de mes joues mais sans sanglots."
Comment deviner que son bébé est sourd ? Pas facile. Comment accepter et comment faire face au regard des autres sur le handicap ?
Une fois de plus, l'humour vient à la rescousse. Avec ces phrases de Mr Tout le Monde qui tombent à plat et les commentaires ironiques de Johanna :
"C'est terrible, ne pas pouvoir communiquer avec les autres je pense qu'il n'y a pas pire comme handicap, courage Johanna". Merci, en effet c’est très encourageant.
"Vous pouvez compter sur nous, on va trouver une solution." Pourquoi, tu as une solution que les médecins ne connaissent pas et tu voudrais nous en faire part peut-être ?
"C'est pas possible, ils ont dû se tromper." Ben oui tu as sûrement raison, eux ce sont des crétins et toi tu es prix Nobel de médecine.
"Tu vas voir, je suis sûre que l'audition va revenir sans prévenir." Oui j'ai pris rendez-vous avec Merlin l’enchanteur, il y a un peu d'attente mais il va nous recevoir.
Une très originale : "Vous savez qu’une étude est sortie sur l'augmentation du taux de divorce dans le cas de l'arrivée d'un enfant handicapé ?" Euhh !!!! Tais-toi !
Ou enfin : "Ça ne vient pas de chez nous, personne n'a ça dans notre famille." Non… là on ne dit rien. Sinon je tape et je hurle en même temps.
Le sujet est très sérieux mais le lecteur est rattrapé et traversé par un rire libératoire qui donne envie d'en savoir plus.
Clélia, 10 ans de handicaps : la surdité, le TDAH, l'autisme et le mystérieux 10p15.14.
La surdité sera le premier handicap révélé. Tant bien que mal, il faut franchir le cap, ne pas sombrer. D'autres examens suivront mais il faut patienter car ils ne peuvent être réalisés avant l'âge de 5 ans. Et là, nouveau coup de massue :
"Je me présente, je suis spécialisé dans les maladies génétiques rares liées aux reins. Votre fille a été diagnostiquée, grâce au génome, positive à une maladie génétique. Il y a une défaillance sur le chromosome 10. Cette maladie est appelée GATA 3 ou HDR."
Comment encaisser ? Comment comprendre déjà tous les termes du diagnostic? Cette maladie porte un nom de code barbare : 10p15.14. Une maladie génétique polyhandicapante dont on compte seulement 9 cas en France. Quelles en seront les conséquences ? "A chaque nouvel examen, je pleurais beaucoup déclare Johanna. Jusqu'à ce que mon mari décide de m'accompagner systématiquement à ces rendez-vous. À partir de là, je n'ai plus pleuré."
L'autisme n'a pas été encore diagnostiqué à 6 ans ; il est même écarté pour finalement réapparaître à 10 ans. Pour la surdité, c'est alors que Clélia est appareillée pour renaître au monde. Il y a ces magnifiques pages remplies d'émotion sur quelque chose qui paraît banal pour des parents mais qui là prend une autre mesure.
"Ce moment privilégié est hors du temps. Nous observons le praticien faire ses branchements, préparer les tubes qui relieront les moules à l'appareillage. Il installe le système et synchronise les appareils. Elle reste sans réaction. L'audioprothésiste nous dit :
-Allez-y, parlez-lui, mais une seule personne à la fois.
Mon mari filme avec son téléphone, il lui dit :
- Coucou ma chérie. Sa tête se tourne, elle repère de suite le son, elle regarde son papa avec deux billes écarquillées, un petit sourire se colle sur son visage. Mon ventre se retourne, l'émotion est saisissante. Ce moment s'inscrit à jamais en moi. Je m'enivre. Je regarde ma fille sur mes genoux et sans savoir quel volume sonore je dois utiliser je lui dis à mon tour :
- Coucou ma belle. Je sais c'est nul, prise au dépourvu, complètement mièvre devant l'instant, je n'ai rien trouvé de mieux à lui dire."
Les mots sont simples, sans recherche de l'effet. C'est toute la force du livre. On suit le parcours de Clélia, on souffre, on respire, on rit avec les parents. On peste aussi lorsqu'une psychologue pose cette question au couple de musiciens : " C’est pas trop dur pour des musiciens d'avoir un enfant malentendant ? "
Clélia est aussi diagnostiquée d'une autre maladie peu connue du grand public et pourtant très répandue : TDAH, Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité. C'est un trouble du développement neurologique qui démarre à l'enfance et se manifeste par des symptômes d'inattention et/ou d'hyperactivité et d'impulsivité inappropriées. Une maladie handicapante pour la vie de tous les jours, la scolarité... Une nouvelle épreuve pour Clélia et ses parents.
"La valise dans une main, la convocation dans l'autre, nous cherchons une nouvelle partie de l'hôpital. Je vis chaque examen comme une chasse aux trésors pour trouver le nouveau service qui va nous recevoir. J'adore les chasses aux trésors."
Un long chemin de croix parsemé d'autres étapes médicales où les trésors cachés seront une maladie aux dents ou encore la perte de l'œil droit.
Elle va finir comme super Jaimie, bionique de l'œil. La femme qui valait 3 milliards
Christophe Dorso, le papa de Clélia cité dans le livre "Un arc en ciel après l'orage"
Rien n'épargne Clélia. Mais elle vit et elle est heureuse.
Un hymne à la vie, à l'acceptation, à la différence
"84% des couples qui ont un enfant avec un handicap divorcent." Fidèle à sa nature, Johanna en rigole. Avec Christophe son mari, ils ont toujours fait face. "Je n'ai pas participé au livre et je ne l'ai pas encore lu, reconnaît Christophe Dorso. Je voulais lui laisser cette liberté. Sinon, ça aurait été intrusif car mes réflexions peuvent entacher son raisonnement. Nous avons discuté sur chaque chapitre mais pas plus. Pour ne pas intervenir dans la relation privilégiée qu’elle a avec sa fille."
Les mots de Johanna sonnent juste, vrais, authentiques, ils interrogent. Ce ne sont pas ceux d'un auteur mais d'une maman qui doit faire face aux handicaps de sa fille. L'introspection que représente ce livre pour la maman est aussi valable pour le lecteur. Comment ne pas s'interroger et se recentrer sur les choses essentielles de la vie ?
Il y a ce très beau passage lorsque Clélia a 6 ans. Elle vient pour la première fois de tester un médicament psychostimulant. Un traitement sur lequel s'interroge beaucoup sa maman mais qui fait des miracles, avec petits moments de la vie suspendus qui font tout oublier. "Que des choses qui doivent vous paraître anodines et qui pour nous se trouvent être d’énormes victoires. Je me vois en admiration devant cette enfant. J’observe l’ouverture de toutes les cases bloquées dans sa tête. Je la découvre comme une fleur qui éclot et qui nous délivre toute sa beauté. Dans la métairie de mon petit frère, je la regarde jouer avec ses cousins, elle tombe. Je ne réagis pas. Je l'observe se mettre à pleurer en accourant en larmes pour se blottir contre moi. J'appelle mon mari. - Chéri, elle pleure."
Oubliés les nuits à ne pas dormir, les cris, les pleurs, attentes insupportables pour de nouveaux examens, le regard culpabilisateur des autres, les sacrifices quotidiens, les sorties, les voyages que l'on ne fera jamais.
"On a toujours tout vécu à fond, sans se poser la question. On veut qu’elle soit un jour libérée de nous. Je veux l’emmener vers l’autonomie mais elle est plus merveilleuse que nous : elle prend le bonheur comme il est, elle en profite. Il n'y a pas de jalousie. Ce handicap est un trésor. Il faut maintenant le protéger."
Ce livre changera sans doute bien des choses sur notre vision du handicap et de la vie en général. C'est un livre unique d'une maman qui n'est pas écrivaine mais qui aime les mots et les défis.
Tous les bénéfices de ce livre seront reversés à l'association Codeurs LPC 31 qui favorise l'inclusion des enfants malentendants. Le code LPC est une alternative à la langue des signes pour les sourds et malentendants. C'est un code manuel et visuel autour du visage qui permet, en l'associant à la parole, aux personnes sourdes de recevoir 100% du message.
Ce témoignage prouve que l'on peut vivre des épreuves terribles sans en vouloir à qui que ce soit. "On oublie tellement de vivre sa vie, rappelle Christophe Dorso le papa. On trouve l’excuse chez l’autre. Ce serait donc l’élément extérieur qui déciderait de notre vie? Or, on est acteur et on doit en prendre conscience."
Une leçon de vie, comme une introspection pour mieux se connaître et se comprendre. "Clélia m'a fait voir ce qu'était le vrai bonheur. Elle m'a sorti de ma futilité."