PORTRAIT. Une famille de commerçants installée depuis 70 ans dans le Gers lutte pour ne pas baisser le rideau

Deux confinements, des fermetures imposées depuis mars 2020, des fournisseurs à payer, certains petits commerces baisseront peut-être le rideau pour toujours à l’issue de ce second confinement. Portrait à Samatan dans le Gers de l’un de ces petits commerces en mode survie.

C’est l’histoire d’une petite entreprise familiale de chaussures et maroquinerie à Samatan dans le Gers qui lutte bec et ongles pour que les confinements à répétition n’aient pas raison d’elle… Françoise Forner et ses 3 employés, Rémi, Yaël et Christiane, considèrent cette entreprise comme bien plus qu’un travail, une vraie famille. Ils se soutiennent dans les épreuves de la vie et celle du double confinement, ils comptent bien la traverser ensemble.

Une entreprise familiale partie de zéro

Il faut remonter à la seconde guerre mondiale pour comprendre la genèse de l’histoire. Ubaldo Bei est Italien, il vit à Gubbio près de Rome avec sa femme. A l’époque de Mussolini, ils quittent précipitamment leur pays. Arrivé en France, Ubaldo est fait prisonnier par une rafle de la Gestapo. A la Libération, il s’installe à Samatan avec sa femme. Son métier, c’est cordonnier-sabotier, il crée des chaussures à la main. Il n’a pas d’argent pour payer les marchandises et commence par des dépôts vente puis monte en 1951 une toute petite échoppe au rez-de-chaussée de la maison qu’il occupe dans une petite rue du village.
Françoise, l’une de leurs deux filles, est née quelques années plus tard et elle se rappelle encore précisément de l’escalier qui montait au 1er étage et servait de réserve pour les boîtes de chaussures. Ses souvenirs d’enfance sont encore prégnants.

Le souvenir d’enfance que j’ai, c’est l’odeur de la colle et les coups de marteau quand mon père travaillait sur les chaussures.

Françoise Forner, gérante du magasin


En 1965, la micro-boutique du sabotier déménage à l’endroit du magasin actuel à Samatan. Cette petite boutique a traversé les époques. Françoise, gérante depuis 1995, a diversifié l’offre avec du prêt-à-porter féminin et de la maroquinerie.

Jusqu’à présent, avec un grand choix d’articles et une clientèle fidèle, la boutique tournait très bien. Mais le premier confinement a été un « coup dur » pour Françoise et son équipe. Elle confie que cela a été « moralement terrible… je me suis effondrée, il m’a fallu 15 jours pour réagir ».

Mes parents n’avaient jamais pris de vacances et jamais fermé la boutique, même le jour de mon mariage, ils ont travaillé ! Le dimanche, si quelqu’un toquait au volet, mon père ouvrait, on était là pour servir.

Françoise Forner, gérante du magasin

Françoise confie que la mentalité de travailleurs acharnés de ses parents l’a façonnée et c’est précisément cette volonté qui lui a permis de survivre au premier confinement. Mais aussi les liens quasi familiaux que les quatre employés entretiennent. Comme le confient Yaël et Rémi, salariés depuis 2014 ou Christiane, présente depuis 2003, « plus qu’un travail, ils ont trouvé une seconde famille ». Tous les quatre se considèrent « sur le même bateau » et se serrent les coudes pour sauver la maison. Car depuis quelques mois il s’agit bien de survie.

Confinement après confinement, le trou financier se creuse

Post confinement numéro 1, la perte de chiffre d’affaires à déplorer en l’espace de deux mois était déjà de 100 000€. Entre le 11 mai et le deuxième confinement, il manquait encore 40 000€ à récupérer. D’ici la fin janvier, c’est 170 000€ qu’il faut sortir pour payer les fournisseurs. La collection hiver a été commandée et reçue. Ces commandes sont passées des mois à l’avance (quasiment un an) pour la saison suivante. Françoise était alors bien loin d’imaginer l’éventualité d’un confinement suivi de son petit-frère !

Lorsque la boutique était fermée pendant le confinement, les charges fixes continuaient de tomber et les remboursements sont alors monumentaux quand il n’y a quasi pas de rentrées d’argent.  Ce petit commerce a bénéficié à deux reprises d’une aide de 1500€ de l’Etat mais ce coup de pouce est loin de suffire.

Tous les 10 jours, j’ai plus de 10 000€ à payer ! Quand il y avait des rentrées, ça tournait mais là on est très inquiets.

Françoise Forner, gérante du magasin

Comme cette commerçante le rappelle, « quand on a un petit commerce, on est caution, s’il y a faillite, ce sont vos biens personnels qui sont impactés et donc votre vie personnelle et non plus seulement professionnelle ».

Lorsque Françoise Forner parle des récentes manifestations pacifiques des commerçants, qui ont eu lieu place du Capitole à Toulouse notamment, cela ne lui évoque pas l’insoumission ou la désobéissance en période de confinement mais bien "l’instinct de survie".
Loin de se laisser abattre malgré la gravité de la situation, l’équipe très soudée s’est organisée dans l’urgence, avec l’aide de la famille également.


S’adapter encore et encore et encore …

Leur force c’était le contact, l’accueil, le service propre aux petits commerces. On les a privé de cela pendant plusieurs mois. Alors, ils mettent les bouchées doubles et comptent sur la solidarité et la fidélité de leur clientèle. Le site internet qui était alors un site « vitrine » a été transformé en site marchand pour pouvoir proposer le « click & collect ». Une salariée a même été détachée pour ajouter au plus vite un maximum de références sur le nouveau site. Ils ont toutefois bien conscience de ne pas faire le poids face aux géants du web …

On a conçu un autre commerce, un commerce de confinement.

Françoise Forner, gérante du magasin

Quel avenir pour nos petits commerces ?

L’adaptation en toutes circonstances, la capacité à rebondir … Ont-il d’autres choix ? Ils n’envisagent en tout cas pas autre chose. L’équipe compte sur un bon mois de décembre. Le chiffre d’affaires de ce premier weekend de réouverture fin novembre est encourageant. Il est doublé sur cette première journée par rapport à la même date l’an dernier.
Dans 2 ans, si tout va bien, Françoise prendra sa retraite et Yaël et Rémi reprendront alors l’affaire. Alors laissera t-on l'un des derniers commerces de prêt-à-porter du village disparaître ou cette petite entreprise pourra t-elle bientôt fêter ses 70 ans ?
 
 
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