Comme beaucoup d’autres, le climatologue Christophe Cassou, qui a récemment été la cible d’attaques en ligne de la part de climatosceptique, a suspendu son compte X, anciennement Twitter. Pour comprendre ce qu’il a subi et pourquoi il a pris cette décision, France 3 a pu échanger avec lui.
Tandis que ce vendredi 18 août, 19 départements sont toujours placés en vigilance orange canicule et 21 autres en jaune, la Première ministre, Élisabeth Borne, a activé hier une cellule interministérielle de crise canicule. Selon les récents relevés de l’agence européenne Copernicus, juillet 2023 est le mois le plus chaud jamais enregistré à l’échelle planétaire, avec 16,95° de température moyenne.
Si le réchauffement climatique se rappelle à nous de plus en plus souvent, des internautes, eux, n’hésitent pourtant pas à attaquer quiconque va en ce sens. Scientifiques et climatologues sont ainsi devenus la cible de ces comptes très organisés.
Christophe Cassou, climatologue et directeur de recherche du CNRS au Cerfacs de Toulouse, en a fait les frais. Face à cette vague de haine en ligne, le toulousain de 52 ans a décidé le 5 août dernier de suspendre temporairement son compte X, anciennement Twitter. Lui qui a coécrit, avec plus de 700 collègues de toutes nationalités, le dernier rapport du GIEC est pourtant persuadé de la nécessité de partager ses connaissances, comme il le faisait sur son profil @cassouman40.
Qu’est-ce qui vous a poussé à suspendre votre compte Twitter ?
Je postais des publications assez longues et explicatives sur les enjeux climatiques, rapportant des faits scientifiques sur le fonctionnement du système climatique et de l'influence humaine sur le climat, et ce que ça implique en terme d'actions et choix nécessaires pour limiter les risques. Mon intention portait sur le partage de connaissances pour monter en compétences, pour éclairer des débats non binaires et introduire de la complexité dans ces nombreux enjeux. L’objectif était de donner les informations les plus précises, factuelles et traçables pour que les acteurs et communautés se les approprient.
Avec le rapport du GIEC 2022-2023, mon activité sur Twitter a augmenté. Je voulais expliquer et vulgariser les faits scientifiques contenus dans ces 3.000 pages pour établir la littérature scientifique. Mais rappeler les faits scientifiques est maintenant considéré comme du militantisme. Dire que les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer de tant de pourcent pour arriver à la neutralité carbone et limiter le réchauffement, c’est un fait, pas une opinion.
Ça a commencé il y a un an et demi. Au fur et à mesure que je publiais, les faits étaient détournés, puis rapidement ça a basculé sur des attaques ad hominem et des hordes de climato-sceptiques qui venaient remettre en doute et questionner l’honnêteté intellectuelle et la déontologie du métier de chercheur. Quand on ne peut pas attaquer le message qui est robuste et établi, on s'en prend aux messagers. C’est ça qui était compliqué et lourd à gérer : de nous faire passer pour malhonnête, corrompu, manipulé dans un esprit complotiste et nauséabond, avec qui il est impossible de discuter. Ça génére une charge mentale car je passe alors plus de temps à extraire de l’information positive qui intéresse, même si une partie de cette dérive est peut-être dû aussi aux algorithmes et à l’arrivée d’Elon Musk. J’en avais marre, ça commençait à déborder dans ma sphère personnelle, donc pour faire baisser la charge, j’ai suspendu Twitter.
Comment avez-vous perçu l'évolution des attaques ?
J’ai senti le virage. Pendant le covid puis de nouveau il y a environ deux mois, où j'ai commencé à recevoir des messages de haine par mail, 5 ou 6 par semaine sur les dernières. Et ça, c’est nouveau. C’est sournois car en objet il n'est pas écrit "gros con" mais “merci pour votre intervention” ou "sollicitation d'intervention" pour obliger à lire. Depuis que j’ai supprimé mon compte, je n’en ai reçu que deux ou trois. Est-ce que c’est dû au fait que je n’y sois plus ? Je ne sais pas.
J’interviens aussi assez souvent au journal de la météo et du climat sur France Télévisions. Au début du mois de juillet, lors de l'une de mes interviews, j’avais le visage un peu tuméfié suite à une opération chirurgicale. J’ai reçu des messages de haine et des attaques sur mon physique, on m’a dit que j'étais alcoolique, que je m’étais fait tabasser… Arguments classiques pour décrédibiliser.
À l'inverse, après mon départ de Twitter, j’ai reçu des messages encourageants et très bienveillants me disant que mes contenus étaient utiles, de la part d’anonymes ou de collègues et ça fait plaisir. Ça veut dire que les réseaux sociaux servent quand même un petit peu à quelque chose, pas seulement à nourrir la haine.
Comment analysez-vous ce regain de violence dans un contexte de réchauffement climatique qui s’intensifie ?
Pour la sphère complotiste, les climatologues sont manipulés, nous représenterions de grandes forces. C’est très pernicieux. Ce qui est hallucinant, c'est que ces personnes ne se rendent pas compte qu’elles sont elles-mêmes embarquées dans un récit bien piloté, souvent en lien avec des entreprises politiques comme l’extrême-droite, la droite américaine ou la Russie, comme l’a montrée l’étude de David Chavalarias sur les stratégies des réseaux climatosceptiques sur Twitter.
L'ensemble de ces attaques montrent que l’on est entrés dans le dur, dans une phase d’action pour l'adaptation à un climat qui change, et que ces choix s’inscrivent dans des changements sociétaux. De fait, on se rapproche de la politique et clairement les programmes de certains partis ou encore les stratégies de certaines grandes entreprises, syndicats, communautés, ne sont pas compatibles avec les objectifs climatiques qui sont inscrits noir sur blanc dans l'accord de Paris. Il s’agit d’une guerre indirecte.
Mais la riposte ne sert à rien, les climato-haters ou autres ne cherchent que ça. On m’a quand même dit que c’était dommage d’avoir quitté Twitter, que c’était une sorte de défaite et qu’il fallait quand même être présent et je suis d’accord : ils ne pourront pas m’empêcher de revenir. Je vais revenir en septembre en limitant certainement les interactions avec mes publications. C’est un moyen de dire ‘je suis là, personne ne peut m’empêcher d’être là’.