Les tensions d'approvisionnement s'intensifient ces dernières semaines sur plusieurs médicaments comme le paracétamol et l'amoxicilline. Entre inquiétude et rationnement, notre consommation va devoir s’adapter aux ruptures annoncées.
Depuis deux semaines, à Toulouse comme partout en France, les pharmacies sont confrontées au même problème : impossible de se fournir en amoxicilline. Un antibiotique particulièrement utilisé pendant la période hivernale. "Les ruptures de médicaments ce n’est pas nouveau, nous y sommes souvent confrontés depuis un an ou deux", explique Jean-Marie Guillermin, président de l’ordre des pharmaciens de la Haute-Garonne. Mais cette fois, la situation est différente. "Là on touche aux antibiotiques, nos solutions de repli sont limitées."
A l'heure actuelle, s’adapter aux ruptures de stock est devenu la norme. Il y a plus d’un mois, les pharmaciens ont d'ailleurs reçu des indications de distribution du paracétamol de la part de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Parmi elles, reporter une partie des prescriptions vers des médicaments génériques, limiter la distribution à deux boîtes par usager et vérifier à ce que les patients ne fassent pas des réserves inutiles.
Mais toutes ces précautions ne s’adaptent pas à l’un des antibiotiques les plus utilisés en médecine de ville. "Ce traitement représente plus de la moitié de la consommation des antibiotiques en ville. Sachant que 80% de la prescription des antibiotiques se fait en ville, on parle d’un énorme volume", précise Bernard Castan, médecin infectiologue au centre hospitalier de Périgueux et président de la Société de pathologie infectieuse de langue française. Un grand volume, mis sous tension depuis une dizaine de jours, à l’entrée d’une période où, d'après les pharmacies, près de 70% des prescriptions d’antibiotiques de l’année sont réalisées.
Selon l’ANSM, "les formes de ces antibiotiques les plus impactées sont principalement les suspensions buvables en flacon", particulièrement utilisées chez les enfants. Et si la situation n’est pas encore dramatique, elle pourrait s’intensifier rapidement. "Si les formes pédiatriques viennent à manquer, on se reportera sur les formes adultes pour soigner des jeunes enfants et on assistera à un effet domino jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien", prédit Bernard Castan.
Des causes "multifactorielles"
Mais d’où proviennent ces pénuries à répétition ? Pour les pharmaciens, les informations sur le sujet ne sont pas très claires. "Pendant la crise de Covid-19, la demande en antibiotiques s’est réduite, donc une partie des laboratoires a orienté des chaînes de fabrication vers d’autres productions. Relancer toute la machine prend du temps", souligne Jean-Marie Guillermin. Une explication confirmée par l’ANSM, qui indique "des origines multifactorielles", comme des capacités de production insuffisantes, des difficultés de production des matières premières ou encore des défauts de qualité sur les médicaments pour justifier les ruptures de stock régulières.
Pour le président de la Société de pathologie infectieuse de langue française, le véritable problème ne se situe pas dans la chaîne de production, mais bien après. "Nous alertons depuis des années sur la mauvaise utilisation des antibiotiques, s’agace Bernard Castan, mais personne n’y prête attention." Alors, là où les pharmaciens tombent de haut face à la pénurie qui se profile, les infectiologues ne sont pas surpris. "Il y a huit jours, je prévenais déjà lors d’un colloque que la situation allait devenir très tendue si on ne prenait pas le taureau par les cornes", ajoute-t-il.
Selon l’infectiologue du centre hospitalier de Périgueux, la France, comme la plupart des pays de l’Europe du sud, surconsomme les antibiotiques. "Environ deux-tiers des prescriptions n’ont pas lieu d’être, car elles concernent des maladies virales." Sauf qu’un antibiotique n’agit que sur les bactéries et se révèle donc totalement inutile lorsque le système immunitaire doit se défendre seul. "Nous devons concentrer nos efforts et nos prescriptions sur les cas qui le méritent vraiment, pour que les indications formelles puissent être honorées", martèle-t-il.
Des solutions temporaires
En 2021, l’ANSM a reçu 2160 signalements de ruptures de stock et risques de rupture. Le phénomène n’est donc pas nouveau et s’anticipe mieux. Dans le cas du paracétamol, dont le marché est tendu depuis plusieurs semaines, la situation n’est pas encore critique et malgré le rationnement des doses, les pharmacies parviennent à se fournir.
La chose est moins aisée pour l’amoxicilline. "On nous demande de vérifier avec le médecin que la prescription d’un antibiotique est bien obligatoire et de veiller à ce que les patients n’en aient pas plus que nécessaire", confirme Jean-Marie Guillermin. Pour réduire les risques de prescriptions inutiles, les pharmacies peuvent aussi réaliser des Trod, tests rapides d’orientation diagnostiques, afin de déterminer si une infection est virale ou bactérienne en quelques minutes.
En ultime recours, les médecins peuvent prescrire d'autres antibiotiques pour traiter certaines pathologies, tout en restant très vigilants. "La plupart du temps, c'est difficile de prescrire un autre antibiotique, il sera soit moins efficace, soit risque d'avoir plus d’impact sur le microbiote intestinal, voire même créer une forme de résistance des bactéries à long terme", s'alarme Bernard Castan. Une vision partagée par les pharmaciens. "Se rabattre sur un autre médicament risque aussi de causer des pénuries ailleurs, ce n'est pas une solution à long terme", complète Jean-Marie Guillermin.
"On a peu de temps pour s’organiser mais c’est encore possible de passer l’hiver. La seule solution est d’arrêter de croire que les antibiotiques peuvent traiter tous nos maux", conclut Bernard Castan. Dès lors, cette pénurie sera peut-être à l’origine d’un changement de consommation des médicaments en France.