Ils sont neurologues, infirmiers ou internes, tous sont venus exprimer ce jeudi leur désarroi face à " l'effondrement " de l'hôpital public.
Témoignages, dans la manifestation toulousaine, de professionnels de santé à bout de souffle qui nous livrent leur sombre quotidien.
L'un est neurologue, les autres sont infirmières ou internes. Tous ont manifesté ce jeudi à Toulouse pour réclamer des moyens pour l'hôpital public. Rencontre avec ces soignants unanimes dans leur colère et dans leur désarroi.
"Mon quotidien c’est de travailler tous les jours en sous-effectif"
Le docteur Philippe Martinez est neurologue et chef de pôle à l’hôpital de Montauban depuis 1999. Il n’est pas là pour demander une augmentation de salaire, ni pour diminuer ses heures supplémentaires… Après plus de 20 ans de carrière, il est dans les rangs de la manifestation aujourd’hui, entouré de son équipe, pour exprimer le malaise d’une profession dans un hôpital public au bord du précipice.Les effectifs : la peau de chagrin pour l’hôpital public
L’hôpital manque cruellement de personnel et 20% des postes médicaux ne sont pas pourvus, explique-t-il. Selon lui, la situation est dramatique à l'hôpital de Montauban où neurologues, cardiologues et pneumologues effectuent une astreinte tous les 4 jours et où aucune équipe de spécialité médicale n’est jamais au complet."Mon quotidien c’est de travailler tous les jours en sous-effectif, je demande juste une équipe au complet pour travailler décemment et aujourd’hui cela n’est plus possible".
"Il y a une pénurie d’infirmiers, du coup on a un "turn-over" d’intérimaires important. Le personnel n’est pas assez expérimenté et ce sont les équipes en place et les patients qui en subissent les conséquences.
C’est désolant, on expédie le patient sans projet de soin. Impensable, aujourd'hui!"
Un sentiment de désolation et de culpabilité
Le Neurologue explique aussi son sentiment de culpabilité lorsqu’il doit recruter du personnel : "qu’ai-je à leur proposer, quelles perspectives ? Est-ce que j’ai le droit de leur offrir cette ambiance et ce rythme de travail ? Ce sont les questions qui me taraudent en entretien.""Je suis là aussi parce que l’effet de seuil est atteint, le risque d’effondrement est réel. C’est la première fois en plus de 20 ans de carrière que je pense à aller dans le secteur privé. Si je reste c’est pour mon équipe."
"Tous les jours, je me dis qu’un drame va se produire"
Vanessa, 35 ans, est infirmière dans le service de cardiologie, neurologie, diabétologie et pédopsychiatrie à l’hôpital des enfants de Toulouse.
En grève depuis le 8 mars, elle ne se fait plus guère d’illusions sur l’avenir de l’hôpital public mais tenait à être là aujourd’hui avec l’ensemble des professionnels de la santé. Marquer le coup, peut-être le dernier. Entourée de ses collègues de travail qui partagent le même sentiment de désarroi.
Changer de métier à contrecœur pour sauver sa peau
Comme la plupart de ses collègues, aujourd’hui Vanessa pense à quitter l’hôpital public. Difficile de faire le deuil d’un métier qu’elle aimait tant, qu’elle a choisi par passion. Mais il y a des sentiments qui ne sont plus supportables : "rentrer le soir chez soi avec la boule au ventre, avec cette peur d’avoir oublié quelque chose, d’être même obligée d’appeler ses collègues parce qu’on n'a pas eu le temps de les voir, de débriefer dans la journée… On soigne des enfants, vous vous rendez-compte !"
Non à la maltraitance des petits patients
"Il faut être minimum 3 pour s’occuper d’un enfant" explique encore Vanessa "et quand on est deux c’est déjà bien… C’est une course permanente, sans compter le nombre d’arrêts maladie de collègues pour burn-out qui ne sont pas toujours remplacés.""On est dans une situation de maltraitance des patients et quand on travaille avec des enfants, ce n’est plus possible. La direction nous enlève des auxiliaires alors que les demandes de prises en charge des patients ne cessent d’augmenter."
"Quand un enfant hurle, qu’il a mal et que l’on se retrouve impuissante, voilà un quotidien qui n’est plus supportable, on n'a plus le temps de les rassurer, de faire notre travail correctement, on fait ce qu’on peut. Tous les jours je me dis qu’il va arriver un drame, le décès d’un enfant en espérant que cela ne tombe pas sur moi. Malheureusement c’est le seul évènement qui pourrait servir d'électrochoc, même si évidemment c'est ce que je veux à tout prix éviter."
"A Albi, c'est difficile mais je pense être mieux lotie que d'autres"
Marion, 32 ans, est infirmière anesthésiste à l’hôpital d’Albi. Elle aussi est venue dénoncer le manque de moyens au sein de l’hôpital public.Marion se dit quand même reconnue par ses pairs et passionnée par son métier."Nous, par exemple, on manque de curamètres pour travailler dans les blocs opératoires : c’est comme si vous commandiez une pizza sans la pâte !"
"Je crois en l’hôpital public, je suis persuadée que l’offre de soin y est bien meilleure que dans le secteur privé, le patient n’est pas une marchandise."
"On fait 86 heures par semaine quand la loi en impose 48 !"
Bastien, 28 ans, est interne en pédiatrie à l’hôpital Purpan à Toulouse. Il est venu dénoncer lui aussi le manque de moyens et des conditions de travail qui se dégradent de jour en jour.
Il explique le rythme de travail effréné pour les internes, avec des semaines à 86 heures alors que la loi en impose 48. "On est de moins en moins nombreux dans les services et on subit de plein fouet la baisse des effectifs au sein de l’hôpital public." explique-t-il.
"On sert de variable d'ajustement, au détriment de notre formation. Beaucoup d'internes sont en burn-out ou changent de voie. Quand on voit le rythme de vie des médecins et chirurgiens, ça fait réfléchir... Tout le monde n’a pas envie de cette vie où l’on s’oublie au travail !"