Coronavirus. "Ma vie à la maison" : journal de bord d'une journaliste confinée chez elle près de Toulouse

Comme de nombreux français Stéphanie est en confinement à la maison avec ses enfants en raison de l'épidémie de coronavirus. Journaliste à France 3 à Toulouse, elle raconte ce "nouveau" quotidien. 

Journaliste à France 3, j’ai été placée en quartorzaine par mon employeur. J’ai été en contact rapproché avec une personne atteinte du coronavirus Covid-19, j’ai été priée de rester chez moi.
N’ayant pas de symptômes et avec la fermeture des écoles, c’est moi qui m’occupe de mes deux enfants de 6 et 9 ans pour faire l’école à la maison, une expérience inédite que nous allons tous vivre ces prochaines semaines et que j’ai décidé de vous faire partager.

JOUR 1. Lundi.
C’est parti pour un mois...L’enthousiasme est là.
Il est déjà 8 h15 passé quand la maison se réveille.
Le plus petit de 6 ans se lève d’abord puis l’aîné de 9, lui emboîte le pas.
Les habitudes ont la vie dure, je ne sais pas pourquoi mais j’accélère le petit déjeuner, de peur d’être en retard. L’école sur notre commune ouvre en effet entre 8h 20 et 8h 30.
Mais très vite je réalise que l’école est fermée. Et c’est parti pour durer. Le temps de l’intégrer, mon petit dernier a déjà sauté sur la zapette pour lancer un dessin animé.
Eux, n’ont pas oublié. Ils n’oublient pas ces choses là.
Très vite, le ton monte, « non pas de télé pendant la période scolaire, nous ne sommes pas en vacances ! », j’éteins.
Le petit me regarde dépité : « Et maintenant on fait quoi? »
Il n’est que 9 heures!

A situation exceptionnelle, organisation inédite...
Je décide donc d’installer des bureaux autour du mien pour lancer le concept de l’Ecole à la maison...
Les maîtresses nous ont donné des cours, avec un programme... alors soyons sérieux, prenons de bonnes habitudes.
Je suis enthousiaste, j’ai toujours rêvé d’être enseignante.
Cet enthousiasme va vite redescendre.

J’ai deux niveaux : CM1 et CP.
Les cours débutent, la division pour la grande, le son « gne » pour le petit.
Très vite le mot « pédagogie » prend tout son sens.
Car très vite, je bloque sur un :
 « Dimitri a 34 euros. Il voit des petites voitures qui valent toutes le même prix et il veut en acheter le plus possible. Il en achète 5 et il lui reste 4 euros. Combien coûte une petite voiture? »
En soi le problème est simple mais je n’arrive pas à expliquer la logique.
Ma grande soupire face à mon incapacité à simplifier. Moi aussi je souffle quand je réalise que ces incompréhensions vont se renouveler...
Au fil des heures, mon admiration pour les enseignants ne fait qu’amplifier.

Entre temps mon petit s’est déjà levé 5 fois de son bureau et a sifflé 3 fois la récré avec un sifflet.
Il n’est que 10h30, la matinée va être longue...

Finalement nous arrivons à bout des devoirs vers midi. D’enseignante, je deviens cantinière.

Le repas nous permet de nous poser mais l’agitation est palpable. Déjà éreintée par la matinée, je proclame relâche pour l’après-midi, ou plutôt récréation à durée indéterminée car j’ai moi aussi du travail.
Ma chambre est improvisée en aire de jeux avec roulades et fous rire au programme.
Le niveau sonore est à son maximum dans la maison.
Moi, j’essaye de travailler au milieu.
Je réalise que demain je vais aussi devoir leur trouver une activité en journée. Surtout avec un confinement total qui nous pend au nez.
Bref de maîtresse, je sens bien que je vais aussi devoir m’improviser animatrice d’Alae (centre de loisir).
Ce premier jour est déjà passé, mais il va falloir s’organiser. Je suis encore pleine de bonne volonté.

JOUR 2. Mardi. Ca y est… Les mesures de confinement sont renforcées.

Il est déjà 8 h 40. Le réveil des enfants se décale peu à peu, comme le mien. Le rythme s’allège déjà.
Deux jours pour commencer à relâcher, c’est tôt.
Mais avec les annonces du Président la veille, il flotte comme une envie de laisser-aller.

Comme tous parents connectés, je laisse trainer le petit-déjeuner, le temps de lire tous les articles de presse qui nous explique ce qui nous est désormais interdit.
Comment les nouvelles règles de circulation vont s’appliquer, et comme beaucoup, j’ai dû mal à y voir clair.
Les déplacements doivent être justifiées par écrit et strictement limités.
Mais on peut faire du sport, seul.
Et nos enfants alors ?
Je lis chez un de mes confrères que « oui, on peut les promener, comme pour son chien ».
Je n'y comprends plus rien.
J’essaye d’imprimer les attestations pour circuler, ce qui me prend une partie de la matinée. Evidemment je n’ai plus d’encre, comme à chaque fois qu’on a vraiment besoin de son imprimante. Or là impossible d’en acheter, tout est fermé. Je vais devoir faire sur papier.

Il est déjà 10h, l’école à la maison n’a même pas encore commencé.
Résultat mes enfants ont déjà sorti deux jeux de société, étalés avec les pièces de chacun qui se se sont toutes mélangées.
Je me ressaisis, le temps de ranger et je décide de lancer la classe.
Il est 10h30.

La grande de 9 ans en CM1 se penche sur l’Ecole de la IIIème République et les lois de Jules Ferry, j’essaye de vulgariser mais le petit de 6 ans trépigne à côté face au manque d’attention.
La jalousie entre fratrie n’est jamais bien loin, mon petit quitte ma classe avec un : « On ne s’occupe jamais de moi ! ».
Il n’est que 11h30, on n’a pas vraiment avancé.

Bref, au vu de l’inertie, voyant midi approcher et n’ayant pas rédigé mon attestation pour circuler, j’improvise un cours de sport. Vélo à 2 kilomètres de la maison pour acheter du pain et de quoi manger, les placards sont vides.

Sur la route, il y a du monde malgré les mesures de confinement, les files d’attente sont impressionnantes devant la pharmacie et le supermarché.
Mais ma patience est déjà bien entamée par mes enfants qui cherchent sans cesse à se doubler sur la route, je décide donc de me passer de caféine encore pour quelques jours.

A la boulangerie, je les prie de m’attendre dehors.
Ils restent à côté d’un basset, puni lui aussi à l’entrée, ils sont désormais les « persona non grata » dans les magasins.
Potentiellement porteurs sain du virus et touchant à tout, la présence de mes enfants, même dehors, me vaut des regards inquiets voire désapprobateurs.
Mais pas le choix, il me faut bien acheter du pain.
La boulangère, au vu du masque que je porte (car potentiellement porteuse du virus), me tend la baguette de très loin pour respecter les 2 mètres de distance, ce que je comprends…mais je rentre légèrement chamboulée par cette atmosphère particulière où tout contact physique est désormais prohibé.

Du coup, c’est à nouveau jeux et détente à la maison.
Le petit de 6 ans, légèrement stressé par tout ça, ne trouve rien de mieux que de se lancer dans un accrobranche géant pour décompresser…
Il s’agrippe à un de nos rideaux, la tringle finit par céder.

Promis demain, il n’y aura plus de récrée.


JOUR 3. On trouve notre rythme…

Malgré les nouvelles difficiles sur le front de l’épidémie, ce mercredi s’annonce radieux. Le soleil est au rendez-vous, le réveil se décale.

Il est déjà 9 h quand mes deux enfants de 6 et 9 ans émergent. L’ambiance est joyeuse. Ils se sentent loin du coronavirus. Tant mieux.
Leurs rires amènent une réelle légèreté dans la maison. Mais au petit-déjeuner, tout bascule.
Les céréales sont quasiment terminées ( il n’y en a pas assez pour deux), il ne me reste que deux toasts, un fruit qui a trop bronzé et plus du tout de la célèbre pâte à tartiner au chocolat qui apaise bien des peines en cas de coup dur.
Avec le confinement renforcé, les magasins ont été dévalisés, j’ai préféré attendre avant de refaire mes courses pour protéger les autres (étant cas porteur potentiel) et moi aussi du coup.
Bref je n’ai pas de quoi les faire manger.
Mais à la guerre comme à la guerre, après un conseil de classe avec moi-même suivi d’un vote à l’unanimité, je décale l’heure du début de la classe à 10h et décide de me lancer dans la fabrication d’une pâte à tartiner au chocolat faite maison (marmiton.fr vient de me sauver).
Ma grande est joyeuse et m’aide dans la fabrication. J’ai du chocolat, du sucre glace aussi, du sucre, du beurre, etc… en moins de 10 minutes, le tour est joué, mon chocolat est prêt. Nous voilà sauvé.
Mes testeurs sont ravis et se délectent de cette pâte à tartiner artisanale.
Le petit émet tout de même une critique : « c’est bon mais ce n’est pas du tout du Nutella! »
Moi : « Mais si ! C’est pareil ! Et puis tu sais la marque qui fabrique cette célèbre pâte à tartiner cache sa recette secrètement. Difficile de l’égaler! »
Ma grande : « Oui enfin maman surtout tu n’as pas mis des noisettes ! Du Nutella sans noisettes, c’est compliqué. »
C’est pas faux.

Je déclare alors la classe ouverte.
Nous rattrapons le retard de la veille sans problème. Ma grande en CM1 devient de plus en plus autonome et reste très appliquée. Le petit en CP m’impressionne avec ses progrès en lecture.
Je réalise que de pouvoir travailler avec eux est un moment précieux et privilégié. Que finalement cette période de confinement imposée et nécessaire m’amène à mieux les connaître. Après avoir bien fait connaissance pendant plus de 2h, je les autorise à aller jouer.
Nous sommes des privilégiés, nous habitons dans une impasse, ce qui leur donne 100 mètres aller-retour pour faire du vélo.
On est loin du Tour de France, mais c’est assez pour qu’ils puissent se défouler.
Moi je décide que nous sommes mercredi et que l’après-midi, il n’y a pas d’école.
Je profite avec eux du soleil. Et je ris des messages d’amies mamans quand l’une dit sur ce confinement :
« Quelqu’un a du lexomil? » et qu’une autre lui répond : « Je suis allée chercher une pelle, ça marche beaucoup mieux ».

 



JOUR 4. Ma vie sociale ressemble à celle de mon chat, le numérique en plus.

Nous avons tous besoin d’habitudes. Les nôtres commencent à être bien réglées.
Petit-déjeuner le matin, survol de l’information, le bilan de l’épidémie est de plus en plus inquiétant, il s’alourdit de jour en jour.
Pour penser à autre chose, j’ouvre ma classe plus tôt, dès 9h. Nous avons pris un bon rythme.
Ma grande de CM1 apprend l’heure. Horloge à la main, décrochée du mur de la cuisine, je tente de lui expliquer le temps qui passe.
Les heures, les minutes, les secondes.
Elle : « On va  encore rester longtemps à la maison ? Dans combien d’heures je revois mes copines ? »
Mon dernier de 6 ans qui a bien compris que ça allait durer: « A ben là à mon avis pfff, vu ce qu’à dit le président de la santé publique à la télé, dans très longtemps !!! »
Ma grande le prend de haut : « On dit président de la République !!»
« Ben il s’occupe bien du Coranavirus en ce moment? non?! »
« Corona! », lui crie la grande.
Je me sens obligée de recadrer:
« Non ça c’est le nom d’une bière, et si tu es trop exposée, ça peut aussi faire des dégâts. Quant au président oui il s’occupe de notre santé en ce moment c’est vrai, mais c’est bien « de la République». La classe est joyeuse.
Je sonne la récrée vers 10h15.

Je regarde mon chat qui se prélasse au soleil.
Je me dis que notre vie en ce moment ressemble à la sienne.
Dormir, manger, éviter le danger, des déplacements qui n’excèdent pas 400 mètres autour de la maison et des interactions avec ces congénères limités (excepté mes voisins que je croise de loin), je ne vois pas grand monde…comme tout le monde.
L’absence de lien social commence à peser. Heureusement les réseaux sociaux sont là. Le numérique permet de se parler, de se soutenir, de rire surtout.
A midi, une copine maman se confie sur un groupe de discussions : « Ça y est, j’ai craqué. J’ai donné la tablette au petit dernier avec des « soi disant » jeux éducatifs…J’en peux plus ».
Les conseils fusent : « Fais lui faire un parcours sportif jusqu’à épuisement!»
Les conseils pour gérer cette quatorzaine avec mes enfants, j’en ai aussi reçu pleins.
Vidéos en ligne pour apprendre la cuisine aux tous-petits, cours de yoga à la télé, apprendre à tes enfants à parler couramment anglais en deux semaines, podcasts sur l’histoire de Louis XVI, tuto pour savoir fabriquer tout seul ton cerf-volant ou encore comment réaliser un jeux de société avec deux trombones, une pince en linge, une serviette et trois cailloux…(ça c’est une fake news)
Dans nos têtes en ce moment, on est un peu tous les "MacGyver" des activités éducatives.
On découvre, on apprend, on bricole, on invente, on innove.  
Il y a aussi de vrais cours de sport interactifs à suivre en ligne pour évacuer et éviter de prendre 10 kilos pendant ces semaines de confinement.
Je réalise que je vais devoir m’y mettre sinon l’été risque d’être compliqué.
Je termine l’après-midi avec le concert donné en live mercredi par Jean-Louis Aubert de chez lui sur un réseau social.
Sa première chanson :
« Je rêvais d’un autre monde,
Où la terre serait ronde…où… la vie serait féconde… »
Je suis interrompue dans mon concert par ce message d’une amie qui circule sur les réseaux sociaux :
Après notre disparition, l’histoire retiendra que notre civilisation n’avait qu’une seule obsession : « Mourrir le cul propre ». 
 



JOUR 5. Dernier jour de la semaine : le 7ème pour moi confinée, aujourd’hui j’ai décidé que l’on s’ennuierait !

Ce matin, notre classe a débuté tôt : 8h30.
Le travail avance vite, ma grande de CM1 maîtrise désormais le futur et les droites parallèles. Mon dernier en CP s’amuse avec moi sur les additions posées. Après le déjeuner et une courte balade dans notre quartier, on reprend le travail. Nous travaillons 4 heures ce jour-là.
Je suis fière d'eux, de moi. L’école est terminée. On peut souffler.
Mais il n’est que 16 h.

Une connaissance m’envoie un article avec plein d’idées, « sur toutes les activités pour vos enfants pendant ce confinement » ou « comment éviter les écrans et les occuper intelligemment ».
Je réalise que ces textes ne précisent pas comment lancer toutes ses activités alors que l’on est en télé-travail, ou inquiet si l’un de nos proches est malade ou qu’on ne sait pas si on va perdre son travail ou son activité professionnelle.
Non, ces articles ne disent pas comment s’occuper des ses enfants quand on est stressé, inquiet ou préoccupé.
Alors je prends une décision courageuse, à contre-courant de tout ce que je lis, je décide qu’après une semaine de travail avec eux, je ne ferai rien, je ne proposerai rien et pire, il n’y aura pas d’écran!
Oui je suis téméraire.

La pression ne va pas tarder. Elle débute dès 16h10 avec le petit dernier : « On fait quoi? Je m’ennuie ! » .
Je lui réponds gentiment :  « Prend un livre ou joue avec tes jeux. Je suis occupée. »
Lui : « On fait un jeu ? »
« Non je ne peux pas. »
Il repart, déboussolé.

Un quart d’heure plus tard, c’est au tour de la grande: « On peut regarder un dessin-animé? »
« Non pas d’écran »

Je résiste à la pression.

A 17 h 30 après avoir joué, ils reviennent à deux. L’union fait la force : « On a bien joué là »
17h 40  : « On peut regarder un petit dessin-animé ? »
Il me vient une idée lumineuse : « Vous allez vous ennuyer ! Une aventure extraordinaire. Vous allez regarder les nuages passer, vous inventer des histoires…
Un grand monsieur du cinéma, du nom de Martin Scorsese, quand il était petit, il souffrait d’asthme, il était souvent confiné chez lui, sans copains, il s’ennuyait beaucoup…Il a dû développer son imaginaire pour s’occuper.
Résultat : aujourd’hui c’est sans doute l’un des plus grands réalisateurs de films au monde ! Il raconte des histoires incroyables! Alors ennuyez-vous !

Mes enfants me regardent, fascinés. Et concluent en coeur : « C’est génial !! On peut regarder son film à la télé? »
Je décide de lancer une distraction plus aquatique. Bain pour tout le monde. Cette première semaine de confinement est enfin terminée.
Demain c’est le week end, je crois qu’on va rester à la maison !
 

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