Des archéologues toulousains aux portes du désert marocain

Une mission archéologique toulousaine vient de poser ses valises au Maroc pour un mois, afin de procéder à des fouilles sur les vestiges de la cité médiévale de Sijilmâsa, dans le Sud-Est marocain. 

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Ce site majeur du monde méditerranéen fut la première « porte » pour la traversée du Sahara et le principal marché de l’or soudanais entre le VIIIe et le XVe siècle.

Huit heures du matin, lundi 12 mai, la température approche les 30 degrés. François-Xavier Fauvelle, historien et archéologue du laboratoire Traces de l’Université du Mirail, directeur de recherche au CNRS, fait visiter le site à sept étudiants marocains en archéologie islamique associés au projet. « N'oubliez pas de prendre de l'eau, il faudra beaucoup boire », prévient-il. « Nous commencerons les fouilles tôt le matin pour finir en milieu de journée, car ensuite, la chaleur est intenable. Si vous vous sentez mal, faites une pause, mettez-vous à l'ombre ». Le petit groupe fait le tour des ruines, observe les parcelles déjà fouillés. Bientôt, près de 40 personnes, vingt étudiants et chercheurs, et vingt ouvriers marocains, s'emploieront à sortir de terre des fragments de l'histoire de Sijilmâsa.

Le week-end du 10 mai, une première équipe est arrivée sur place, encadrée par François-Xavier Fauvelle  et Larbi Erbati, les co-directeurs de cette mission franco-marocaine. Avec eux, Axel Daussy, topographe de l'Institut national de la recherche archéologique (INRAP) de Montauban, Romain Mensan, géoarchéologue affilié au laboratoire toulousain Traces,  Thomas Soubira, doctorant en archéologie à l'Université Toulouse le Mirail, et Catherine Schepens anthropologue au Centre Jacques Berque de l'Université de Rabat. Les fouilles devaient commencer en début de semaine, et l’équipe s'étoffer peu à peu avec l’arrivée d’autres membres toulousains du projet. Outre l’archéologie, d’autres disciplines seront représentées : histoire, géochimie des métaux, architecture, topographie, sociologie. Deux architectes et deux étudiants de l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Toulouse, une géochimiste du laboratoire Traces y prendront aussi part. une sociologue du LISST (Laboratoire interdisciplinaires solidarités, sociétés, territoires) a déjà passé une semaine dans la ville de Rissani, qui jouxte le site, pour étudier son environnement contemporain.

« Sijilmâsa n’a pas livré ses secrets »


Fondée au VIIIe siècle, la ville a connu plusieurs siècles d'opulence. Point de départ et d’arrivée des traversées transsahariennes vers le biled al'Sudan (« le pays noir »), les richesses y convergent, y sont stockées, échangées. On y frappe de la monnaie. A une époque où l’Espagne est sous domination arabo-berbère, Sijilmâsa rayonne : on retrouvera des pièces frappées du nom de la ville jusque dans le Sud de la France. Le contrôle de la cité devient un enjeu politique. « Il y a mille ans, pour s'emparer du pouvoir dans la région, il fallait prendre Sijilmâsa », explique Larbi Erbati, Professeur de l’Institut nationale des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat (INSAP). Des dynasties berbères, les Almoravides puis les Almohades la contrôlent tour à tour. Les Arabes ensuite : Sijilmâsa est le berceau de la dynastie alaouite, qui règne aujourd'hui au Maroc.

Pourtant, le site renferme encore nombre de mystères. Les archéologues n'en savent pas beaucoup sur le temps de sa splendeur. Ni sur celui de sa ruine, quand « elle fut supplantée, par l'ouverture d'une autre route pour Tombouctou, et par la voie maritime empruntée par les Portugais depuis la côté atlantique », explique Larbi Erbati. « Sijilmâsa est loin d’avoir livré ses secrets, on n’en est qu’au début, il faudra au moins dix ans pour parvenir à une connaissance plus approfondie », affirme François-Xavier Fauvelle. Une tâche compliquée par le manque de préservation de l'endroit. Beaucoup de déchets y sont déposés. L'année passée, des entrepreneurs locaux sont venus prendre du sable pour leurs travaux. « On a vu des camions, des pelleteuses passer, on les a chassés, ils sont revenus par un autre côté, et ont même percé une muraille du XIe siècle, c’est aberrant », commente François-Xavier Faucelle. Malgré les consignes du Ministère marocain de la culture, qui en a fait un site protégé, les autorités locales peinent à le sécuriser.


Des premières campagnes engageantes


La mission fait suite à deux précédents séjours en 2012 et 2013. Ces campagnes ont permis des découvertes substantielles : l’identification d’un niveau de sol du VIIIe siècle, à 3 mètres 50 sous terre, la mise au jour d’un bassin, d'une muraille du XIe siècle. Des restes de céramiques islamiques précieuses, des fioles ayant probablement servi à conserver des parfums ou des onguents ont été envoyées à Danièle Foy, spécialiste mondiale, à l’université d’Aix en Provence. « D’autres vestiges de Sijilmâsa attendent d’être découverts. Mais les méthodes utilisées dans le passé par d’autres équipes, marocaines dans les années 70, américaines dans les années 80, se sont révélées inefficaces », explique François-Xavier Fauvelle. « Au lieu de sonder en différents endroits, nous avons choisi la méthode extensive : fouiller sur une surface assez grande de 300 m2 ».

Coopération universitaire au bout de la vallée du Ziz


Sijilmâsa se trouve aux confins de la région du Tafilalet, non loin de la frontière avec l’Algérie. Une région d’oasis. Dans une zone aride, l'oued Ziz, qui descend de l’Atlas, est bordée d'une longue coulée verte de palmeraies et de plantations sur des kilomètres. La région produit des dattes en grande quantité, grâce à un système séculaire d’irrigation et de répartition de l’eau de l'oued. Au-delà de Sijilmâsa, la mission a vocation à comprendre l’environnement du site. Thomas Soubira écrit une thèse sur les systèmes d’irrigation de la région. Pour comprendre, comment on s’approvisionnait en eau à Sijilmâsa, il ira visiter des ksars voisins (villages fortifiés) pour étudier leur appropriation de l'eau. A Sijilmâsa, on frappait la monnaie grâce à l’or soudanais, mais aussi avec d’autres métaux. Sandrine Baron, spécialiste en géochimie, ira, à cent kilomètres de Sijilmâsa, voir les mines d'Imiter, qui ont pu fournir à la ville du métal.


Sept étudiants marocains en licence à l'INSAP de Rabat prendront une part active au chantier. L'équipe accueillera aussi Ahmed Maouloud Eida El-Hilal, historien mauritanien de Nouakchott. La mission permet en effet de tisser des liens avec la Mauritanie voisine, qui compte nombre de sites archéologiques de la même époque, mais où l'enseignement de l'archéologie a complètement disparu. Français et Marocains veulent aider leurs collègues à relancer un enseignement de la discipline à la faculté d'histoire de Nouakchott.

Tout cela demande des moyens, que François-Xavier Fauvelle et ses collègues s'emploient à collecter : « Pour cette année nous disposons de près de 30.000 euros, un peu plus que l'année dernière, grâce au soutien du Ministère français des affaires étrangères ». « Cela nous permet de passer un mois sur place, en se logeant dans un hôtel voisin, dans des conditions parfois un peu contingentes », ajoute le chercheur toulousain, en quête de nouveaux financements et partenariats publics ou privés pour les années prochaines.

La mission « Sijilmâsa : ville, oasis, carrefour » dure jusqu'au 31 mai et se conclura par un colloque de restitution au Centre Jacques Berque de l'Université de Rabat, le 2 juin prochain. Les fouilles ne reprendront ensuite qu'en 2015.

 

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