Quelques jours après l’effondrement rue Saint-Rome et le classement de mise péril d'un bâtiment, beaucoup d’incertitudes demeurent sur le nombre d’immeubles considérés comme tel à Toulouse. Les mesures du projet de loi contre l’habitat dégradé devraient prochainement venir épauler les copropriétés en difficulté et donner aux maires des outils juridiques dont ils étaient démunis.
L'effondrement de la rue Saint-Rome est encore dans tous les esprits. Il laisse une plaie béante en plein cœur d'un quartier historique de la ville rose. Les Toulousains sont inquiets sur l'état des bâtiments anciens, l'immeuble au 1 rue des Puits-Clos est considéré en péril depuis quelques jours, fragilisé et évacué suite à l'effondrement de l'immeuble de la rue Saint Rome. Combien de logements sont dans ce cas?, s’interroge le député LFI, François Piquemal. Le maire de Toulouse, Jean-Luc Mouden, lui récuse toute accusation de passivité et voit dans ce projet de loi des avancées juridiques, "des pouvoirs bien utiles dans ce type de situation".
Le projet de loi contre "l'habitat dégradé " devrait donner des outils aux élus pour agir et épauler les copropriétés en difficultés. Un compromis a été trouvé ce jeudi entre sénateurs et députés sur ce projet de loi consensuel. Avec des mesures pour épauler les copropriétés en difficulté et combattre les marchands de sommeil. Le projet de loi prévoit différents mécanismes, notamment pour faciliter le lancement de travaux en amont, avant qu'une dégradation définitive ne nécessite une démolition. Des situations qui font écho à l’effondrement de la rue saint Rome à Toulouse.
Un terrain d'entente politique
Cet accord de la commission mixte paritaire (CMP) qui réunit des parlementaires des deux chambres, ouvre la voie à l'adoption définitive du texte après un ultime vote à l'Assemblée nationale le 19 mars puis au Sénat le 27 mars 2024.
"Ce texte témoigne d'une vraie co-construction et nos apports ont été confirmés. On a trouvé un terrain d'entente sur toutes les dispositions", s'est satisfait la sénatrice centriste Amel Gacquerre, rapporteur au Sénat.
📢 Projet de loi contre l’habitat dégradé
— Sénat (@Senat) March 14, 2024
L'accord entre le Sénat et l'@AssembleeNat marque une étape décisive dans la lutte contre le mal‑logement, offrant de nouvelles prérogatives aux maires et renforçant la protection des citoyens.
🔗 Le communiqué :… pic.twitter.com/NHba0REWlD
Pour soutenir les logements dégradés, au nombre de 1,5 million en France selon l'exécutif, le projet de loi prévoit différents mécanismes, notamment pour faciliter le lancement de travaux en amont, avant qu'une dégradation définitive ne nécessite une démolition. Le texte prévoit ainsi la création d'une nouvelle procédure d'expropriation des logements frappés par un arrêté de péril ou d'insalubrité.
François Piquemal, député LFI de la 4ème circonscription de la Haute-Garonne, approuve globalement ce projet de loi contre l’habitat dégradé, en émettant quelques réserves et réclame notamment davantage de transparence à Jean-Luc Moudenc, sur le nombre d'immeubles en péril à Toulouse.
Combien d'immeubles en péril à Toulouse ?
"Qu’est-ce qui est positif? C’est que dans le contexte d'augmentation constante du nombre de copropriétés fragiles ces dernières années, en fait, les outils juridiques qui sont proposés, ils apparaissent globalement utiles, même si nous, on a fait d'autres propositions, parce que leur portée réelle est difficile à apprécier. Et même si leur impact, notamment sur les habitants ou sur la concentration foncière, doit faire l'objet d'une attention particulière. Mais étant donné le contexte actuel, il nous a semblé positif, on va dire, d'encourager même les petites mesures sur ce sujet. Même si évidemment, les moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces nouveaux outils restent à prouver et à mettre en œuvre ensuite par le gouvernement".
🏚️ Effondrement rue St Rome, de nombreuses interrogations subsistent, nous interpellons @jlmoudenc sur :
— Groupe AMC 🦜 (@GroupeAMC) March 15, 2024
👉 le périmètre de sécurité
👉 le traitement des alertes
👉 l'audit réalisé en 2012 et ses suites
👉 l'obligation de réalisation de travauxhttps://t.co/LKlVZRQQ6c pic.twitter.com/Pm95dMgYoj
Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, voit dans ce projet de loi des avancées intéressantes, deux outils juridiques non-négligeables.
"Ce projet de loi crée une possibilité que nous n'avons pas aujourd'hui, nous, les maires, c'est de définir des périmètres d'habitat dégradés où les propriétaires des immeubles de plus de 15 ans devront obligatoirement réaliser un diagnostic structurel de l'immeuble. Ce diagnostic devra être transmis aux maires. Ça, c'est une obligation qui n'existait pas. C'est une possibilité que les maires n'avaient pas et c'est quelque chose dont, effectivement, on va se servir".
Le deuxième avancé, selon le maire de Toulouse, est que la loi crée un motif supplémentaire d'expropriation "(…) lorsqu’un arrêté de péril pris par le maire ne donne pas lieu aux travaux nécessaires, que les propriétaires demeurent dans l'inertie et bien, désormais, la mairie, la puissance publique a la possibilité de préempter. C’est une possibilité de préemption que nous n'avions pas".
Améliorer l’accès au crédit des copropriétés : création d’un "prêt global collectif"
Le texte crée également un prêt global collectif pour améliorer l'accès au crédit des copropriétés, assorti d'une "garantie publique". Malgré des inquiétudes tenaces sur le financement de cette garantie, cette mesure phare a bien été maintenue à l'issue des travaux des deux chambres, a confirmé Mme Gacquerre. Plusieurs mécanismes facilitant le travail des maires, introduits au Sénat, ont par ailleurs été confirmés dans le texte de compromis, comme la possibilité pour les élus locaux de faire procéder d'office à un diagnostic structurel des immeubles en zone d'habitat dégradé, y compris dans les centres-villes anciens.
Dans le cadre de ce projet de loi, les députés de LFI ont fait une trentaine d'amendements et de propositions.
"On veut donner plus de latitude aux élus locaux, notamment pour pouvoir préempter des bâtiments qui seraient fortement dégradés", précise François Piquemal. "Donc c'est quelque chose qui va dans le bon sens. Nous, on a proposé pas mal d'amendements, comme faciliter par exemple la résiliation de contrats des syndicats défaillants, obliger le syndic à donner au président du conseil syndical un accès numérique aux comptes bancaires séparés de la copropriété, ce qui permet de consulter les comptes et les opérations bancaires d'un syndic".
"Donc nous, on a pas mal de propositions et de mesures là-dessus. Bien sûr, je vous dirais aussi qu'il y a des aides à la rénovation pour les personnes. Et nous, on aimerait qu'il y ait notamment un guichet unique public pour organiser la rénovation pour les propriétaires individuels, pour les demandes de financement, réformer aussi le financement de la rénovation pour permettre aux propriétaires les plus modestes d'en bénéficier et favoriser des programmes de travaux complets, par exemple".
Les moyens de financement : le point noir du projet de loi
Le maire de Toulouse évoque cependant une critique vis-à-vis de ce projet de loi contre l’habitat dégradé : "Si le texte donne des moyens juridiques, il ne prévoit aucun moyen financier. Or, nous savons que ces opérations-là coûtent très cher. Et si jamais la mairie devait, par exemple, exproprier pour ensuite développer un nouveau projet, c'est-à-dire soit rénover l'immeuble, soit le réaménager pour créer des logements ou des commerces ou autre chose, nous savons que dans l'habitat ancien, dans les immeubles anciens, ça coûte très très cher".
"En plus, il y a les prescriptions des autorités du patrimoine, hein, qui sont des autorités de l'État. Je pense à la DRAC, à l'APF, c'est le problème auquel s'est heurté le fameux immeuble du 1 rue des Puits-Clos".
L'effondrement de la rue Saint Rome
Pour le député LFI, "il faut se saisir des outils qui vont être prévus par la loi. Mais encore faut-il qu'il y ait une volonté politique locale".
Le député ne mâche pas ses mots sur la responsabilité de Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, dans l’effondrement de la rue Saint Rome. Il parle de "négligence", de "légèreté " avec laquelle Jean Luc Moudenc, traite cette problématique depuis son élection.
Il déplore l’immobilisme de la municipalité dans la mise en place de l’évaluation des habitats dégradés à Toulouse : "Cela fait 6 ans maintenant, il n'y a eu aucune évaluation, comme le laisse entendre Jean Luc Moudenc, c'est grave. S'il y a une évaluation et qu'il ne veut pas communiquer les chiffres, c'est inquiétant. Il n'y a eu aussi aucune campagne de sensibilisation vis-à-vis des locataires et des petits propriétaires pour qu'ils sachent quel service et qui contacter le plus rapidement possible dès qu'ils voient un signe inquiétant".
Défaut de planification urbaine
Selon François Piquemal, le maire de Toulouse "brade depuis 10 ans" la ville et l'hypercentre aux promoteurs privés. "Vous savez que Toulouse est la seule grande ville avec Nice où il n'y a aucune régulation du marché locatif, aucune planification urbaine depuis 10 ans. Une planification urbaine, c'est-à-dire qu'on essaye par exemple pour la puissance publique d'être proactifs vis-à-vis des copropriétés où on sait qu'il y a de l'habitat dégradé, mais encore faut-il les avoir évalués avant. Chose qui apparemment n'a pas été faite, pour obliger les multipropriétaires à rénover leurs bâtiments et aider les petits propriétaires occupants".
Dans leur démarche, cela n'a pas été fait. Et forcément, en livrant à des multipropriétaires, vous faites qu'eux, ce qui les intéresse, c'est de la rente locative. Donc vous avez beaucoup de logements étudiants ou de logements Airbnb dans le secteur, avec des multipropriétaires qui ne vivent pas à Toulouse pour la plupart et qui sont moins investis du coup dans le devenir de l'immeuble sur lequel ils ont leur rente locative. Donc Monsier Moudenc a une grande responsabilité dans le fait d'avoir bradé l'hypercentre aux promoteurs, aux multipropriétaires et aux spéculateurs.
Jean-Luc Moudenc précise : "Après, je ne suis pas parlementaire, donc moi, contrairement à M. Piquemal, on ne m'a pas demandé mon avis, je n'ai pas participé à la discussion, je n'ai pas pu amender le texte".
Sur le manque de transparence dénoncé par le député LFI, Jean-Luc Moudenc s’explique :
"C'est vrai que jusqu'ici, on n'a jamais rendu public...nous, on a fait un travail depuis des années où, sur signalement, parce que la loi est faite comme ça, la loi ne prévoit pas un rôle, je dirais, inquisiteur du maire. La loi prévoit que nous n'agissons que sur signalement. Et donc, par conséquent, dès qu'on reçoit un signalement, on envoie rapidement nos équipes pour, je dirais, diagnostiquer l'état de l'immeuble. C'est ce qui s'est passé. le 5 mars dernier, où on a été quand même très réactifs, parce que pour la première fois, alors que les locataires se plaignaient on l'a su après, depuis plusieurs mois, de ce qu'ils remarquaient dans les immeubles du 4 rue Saint-Rome, nous on a été prévenus pour la première fois le 5 mars. Nous sommes intervenus très précisément deux heures après. Et nous avons tout de suite, à partir du diagnostic rapide qui a été fait, nous avons tout de suite prononcé l'interdiction d'habiter et l'évacuation. Et quand on s'est retournés vers le syndic pour lui dire qu'il fallait qu'il sécurise l'immeuble, qu'il organise l'hébergement, il nous a dit qu'il n'avait pas d'argent pour le faire.
Donc on a tout fait et tout financé. Et tout ce qui se fait à Toulouse depuis le 5 mars, le déblaiement, la sécurisation, tout ça, l'hébergement des gens, les hôtels, les nuits d'hôtel, tout est payé par la mairie".
Rendre public les immeubles qui ont fait l’objet d’un arrêté de la mairie?
Le maire de Toulouse récuse toute accusation de passivité et reconnaît ne pas l’avoir fait jusqu’ici, 3parce que cela concerne des personnes privées. Et que moi je n’ai pas envie de jeter en pâture, en quelque sorte, des personnes privées. Je préfère qu'on fasse les démarches. Parfois, il y a des arrêtés où on leur dit de faire des travaux, mais la situation n'est pas grave au point de partir. Donc ils peuvent continuer à habiter. S’il y a un péril qui est imminent, nous obligeons les gens à quitter des immeubles et nous demandons aux propriétaires de faire des travaux. (…) mais nous n'avons pas un pouvoir de contrainte. Alors après, est-ce qu'il faut rendre publiques toutes ces situations ? On ne me l'a jamais demandé, en tout cas et je demande réflexion là-dessus parce qu'une fois de plus, il y a toutes les situations.
Lutter contre les marchands de sommeil
Le projet de loi, premier texte défendu au Parlement par le nouveau ministre délégué au Logement Guillaume Kasbarian, contient également un volet de lutte contre les marchands de sommeil, renforçant les sanctions pénales contre ces propriétaires louant des logements indignes.
De l'avis général au Parlement, ce texte n'est néanmoins que la première pierre d'un chantier bien plus vaste pour lutter contre la crise du logement. Un nouveau projet de loi est annoncé pour la mi-juin en première lecture au Sénat et son examen s'annonce beaucoup plus mouvementé : déjà décrié à gauche, il doit notamment revoir la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), qui fixe des quotas de logements sociaux dans certaines communes.