ENTRETIEN. Toulouse : Tony Valente, le dessinateur qui a conquis le Japon avec son manga

Avec son manga Radiant, Tony Valente a connu le succès dans le monde entier. L'auteur a fait ses premiers dessins quand il vivait à Toulouse. Désormais, son oeuvre est publiée au Japon, pays fondateur du manga et elle est même adaptée en série animée par la télévision nationale nippone.

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Des États-Unis au Japon, en passant par l'Indonésie et le Brésil, Tony Valente a conquis le monde avec son manga Radiant. Il a écoulé plusieurs centaines de milliers d'exemplaires depuis la sortie du premier tome en 2013. Aujourd'hui installé au Québec, le dessinateur a passé 25 ans à Toulouse, où il a dessiné ses premières esquisses et créé ses plus célèbres bandes dessinées.

L'auteur revient sur son parcours, son enfance à Toulouse et évoque la suite de Radiant et ses projets pour le futur.

Pouvez-vous nous raconter votre enfance à Toulouse ?

Tony Valente : J'ai grandi dans le quartier Bellefontaine à Mirail. Jusqu'à mes 12-13 ans, je n'allais à Toulouse que pour le cinéma où l'école donc pour moi c'était comme Disneyland. Après être allé au collège Saint-Nicolas, je suis allé au lycée des Arènes en option Arts Plastiques. Malheureusement, on ne dessinait pas autant que je l'imaginais, mais cela a été positif pour moi car c'est ce qui m'a incité à me lancer à fond dans le dessin après le bac.

Est-ce à Toulouse que vous avez eu votre premier contact avec le dessin ?

Oui, depuis tout petit je n'ai jamais arrêté de dessiner. J'ai eu un gros déclic en regardant Dragon Ball à la télé, je n'arrêtais pas de dessiner les personnages. J'étais déjà un gros fan de bande dessinée notamment d'Astérix mais c'est quand j'ai découvert le manga que j'ai eu envie de raconter de belles et longues histoires.

Au lycée déjà, je participais à plein de concours de dessin car je trouvais que je ne dessinais pas assez. Je vivais tout seul à Toulouse et dès que je rentrais chez moi, je ne faisais que dessiner. J'ai eu la chance de grandir avant les smartphones et internet, je ne sais pas si j'en serais là aujourd'hui autrement. (rires).

Vous êtes-vous inspiré du patrimoine de Toulouse ou de la France pour créer Radiant ?

Le Sud-ouest de manière générale m'a beaucoup inspiré. J'ai rarement eu l’occasion de sortir de Toulouse quand j'étais jeune mais quand je le faisais c'était exceptionnel. Je me souviens que quand j'allais à la plage, on passait devant la cité de Carcassonne et ce truc là c’était la porte ouverte au rêve pour moi. C'est un sentiment qui te donne envie de découvrir le monde pour aller vers des choses que tu vois de loin.

Les décors des deux premiers arcs narratifs de Radiant sont beaucoup inspirés de ce que j'ai pu voir et imaginer grâce à la cité de Carcassonne.

Tony Valente

Est-ce que l'on apporte des thèmes différents ou une vision originale quand on est un mangaka français par rapport aux auteurs japonais ?

Je n'en suis pas si sûr. Les auteurs japonais s'inspirent déjà beaucoup des mythologies européennes ou de l'histoire occidentale. C'est peut-être la manière dont on raconte les histoires qui change. Après, c'est vrai que quand l'oeuvre est arrivée au Japon, on m'a souvent fait remarquer que mon traitement de la question du racisme ou de l'intégration était différente de ce qui se faisait là-bas.

L'Inquisition occupe une place importante dans Radiant ? Est-ce une volonté de faire découvrir ce pan de l'Histoire de France à l’étranger ?

Non mais tant mieux si c’est le cas. Je trouve la période de l'Inquisition intéressante car c'est une institution dont l'objectif initial était plutôt noble en accordant le pardon à des criminels. Mais cette institution a été détournée de tout cela par des individus comme Tomás de Torquemada ou Conrad de Marbourg, qui ont inspiré des antagonistes de Radiant. Tout cela fait écho au monde dans lequel on vit et la situation des infectés dans Radiant peut s'appliquer à beaucoup de personnes encore au XXIe siècle.

Que ressent un passionné de mangas quand il est lui-même édité au Japon ?

Ça fait plaisir. (rires) Ce n’était pas spécialement un objectif, cela aurait pu être un rêve d'enfant mais c’était juste un plaisir personnel de créer cette oeuvre. C'est une récompense inattendue et même en dehors du Japon, je reçois des messages du Brésil ou des États-Unis. J’existe dans des endroits où j’ai jamais mis le pied. C'est un peu surréaliste car je ne vois pas les lecteurs là où un chanteur va voir directement les spectateurs dans un concert. C'est donc une énorme fierté mais peu de choses me permettent de l’expérimenter vraiment.

Comment se sent-on lorsque l'on voit pour la première son oeuvre animée ? Quand on entend les musiques et que l'on voit ses personnages "vivre" ?

Ça fait bizarre. Le premier épisode était très bizarre à regarder. Pour la musique, je l'avais déjà écoutée avant et c'est un énorme coup de coeur. On dirait que le compositeur est rentré dans mon esprit parce que cela correspond à tout ce que j'aime. J'ai vraiment eu des frissons lorsque j'entendais la musique se déclencher sur mon histoire. J'avais l'habitude de travailler en écoutant la musique de Dragon Quest (ndlr, jeu vidéo japonais) et bien maintenant je travaille avec la musique de Radiant. C’est trop bien.

Pour l'animation, c'est un peu différent. Je travaille dans le monde du dessin et j'ai des attentes plus précises. Les premiers épisodes ont été réécrits donc le visionnage était un peu spécial. Après tous les mouvements des personnages, la musique, le doublage des comédiens ce sont vraiment des douches d’émotions. Il reste quand même parfois un petit décalage entre l’animation et l'émotion que j'ai voulu transmettre en dessinant mon manga, ce qui ne m'empêche pas d'adorer le dessin animé.

Cela fait 8 ans que Radiant existe, est-ce que l'oeuvre pourrait exister 8 années de plus ?

Je ne sais pas. Ca continue à cartonner mais je me pose des questions surtout par rapport à la fatigue que ce travail engrange. J'ai plus de liberté que les mangakas japonais qui ont des rythmes de publications très soutenus mais je m'impose quand même de faire entre deux et trois tomes par an.

Pour résumer, mon éditeur me laisse beaucoup de liberté mais personnellement je ne me donne pas cette liberté. Après, avec la pandémie cette année, il y a eu un petit trou dans la publication, c'est probable qu'un seul tome ne sorte en 2021, au début du mois d'octobre. J’aimerais bien que l'oeuvre dure de longues années encore mais je ne peux faire aucune promesse.

Est-ce que vous espérez pouvoir créer de nouvelles vocations avec le succès de Radiant ?

Pas du tout. (rires) Si certains le font je serais fier. Je reçois des messages de gens qui ont commencé à dessiner grâce à Radiant et c'est incroyable. J’aimerais vraiment que la France devienne un point chaud du manga dans le monde et aussi que nous ne soyons pas obligés d’être reconnus au Japon pour que nos oeuvres soient légitimes.

Mais je n'ai pas fait ça pour créer des vocations. Franchement, si vous avez quelque chose de mieux à faire n'hésitez pas parce que ce métier est super fatiguant (rires). C’est très incertain et je fais partie des rares à pouvoir gagner ma vie, on doit être 2 ou 3 en France à avoir cette chance. Pendant 10 ans, j’ai travaillé sans gagner d’argent donc préservez-vous.

Le prochain tome de Radiant sort en octobre, mais est-ce que l'on peut s'attendre à une troisième saison en version animée ?

Il n'y a rien d'officiel pour l'instant pour une saison 3 et il y a peu de chances que cela se fasse. Si jamais ce projet venait à aboutir, ce serait à la fin de l'arc narratif que j'ai commencé donc pas avant plusieurs tomes. Sincèrement, je pense que les deux premières saisons animées seront les seules qui existeront pour Radiant.

C’est compliqué d'avoir une série animée, il y a énormément de mangas qui n’ont le droit qu’à une saison voire juste quelques épisodes. J’ai eu la chance d’avoir deux saisons avec Radiant, c’est complètement fou. J’ai discuté avec le producteur et l'équipe d'animation, ils adoreraient prolonger l'aventure mais c'est la direction de la NHK (ndlr, chaîne de télévision publique japonaise) qui décide en fonction d'enjeux politiques ou économiques. Après si je peux avoir une troisième saison clairement je peux mourir tranquille. (rires)...

Entretien réalisé en août 2021 à Toulouse par France 3 Occitanie.

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