Une fresque de 33 mètres de haut prend forme sous le regard des habitants du quartier de Bellefontaine à Toulouse

C’est une jeune femme qui peu à peu prend vie sous les coups de pinceaux d’un duo d’artistes lotois. Cette fresque murale monumentale de 33 mètres de haut s’inscrit dans un projet artistique dans lequel les habitants du quartier ont pris part.
 

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13H30, place Niki De Saint Phalle, quartier Bellefontaine au Mirail. Sur la façade du bâtiment n°20, Le Tintoret, une silhouette accroche les regards des passants. Obligés de lever la tête, tellement elle en impose. Une jeune femme d’une trentaine d’années sans visage, fière, les pieds bien ancrés dans le sol, domine du haut de ses 33 mètres la cité.
Suspendus à ses bras, le duo d’artistes "Sismikazot". Paul Soquet-Moreau et Rémi Tournier, perchés sur une nacelle terminent cette fresque qu’ils ont commencée il y a une semaine. Une œuvre de 33 mètres de haut sur 13 mètres de large, peinte en acrylique aux pinceaux et aux rouleaux.

Mais c’est qui ? C’est la question qui revient souvent dans les échanges avec les habitants du quartier. Les deux artistes s'expliquent :
 

C’est une jeune femme oui, pourquoi la définir, lui donner une identité, on s’en fout, elle porte un débardeur et un jean, look basique, ce qui nous intéresse c’est son vecteur de valeur, l’émotion qu’elle va provoquer.

Rémi Tournier, collectif Sismikazot

La fresque murale : un projet artistique dans le quartier

Le visage de la jeune femme n’apparait pas encore. L’œuvre à 4 mains prendra fin quand les artistes apposeront leur signature. Une écriture qui fera sens selon le duo: "On ne sait pas encore, peut-être un mot, une phrase, un titre, on y pense mais ça viendra quand on sera arrivés au bout de la peinture".
Pour trouver cette signature, Paul et Rémi ont travaillé en amont avec les habitants du quartier de Bellefontaine, sous forme d’ateliers d’écritures et de créations graphiques au centre culturel Alban Minville. Une manière aussi, d’expliquer leur métier, leur vie d’artiste et l’intérêt qu’ils portent à réaliser des fresques dans les quartiers, les villes et les villages de France. Une phase importante pour les deux artistes, un moyen de rencontrer, d’échanger avec les habitants, de s’imprégner de la culture et du mode de vie du quartier.
 

Nous allons essayer d'apporter quelque chose de différent en expliquant notre métier, montrer les  possibles. La culture ce n’est pas un bonus c’est primordial. Et puis cela peut créer des vocations. C’est beau, ça ouvre des mini brèches, on est fiers de vivre ça, quand une personne est émue, touchée ou bouleversée par des choses qu’elle ne connaissait pas, c’est une victoire et ça concerne tous les âges.

Rémi Tounier, collectif Sismikazot


En terminant ces ateliers et dans le but d’enrichir et nourrir ce travail de fresque murale, Paul et Rémi avaient envie de donner la parole aux habitants du quartier. Dans leur recherche concernant la fameuse signature, ils ont distribué un questionnaire pour recueillir leurs sentiments. "Quelles sont les choses que l’on vous a inculquées depuis petit et que vous aimeriez déconstruire en grandissant" ? Ou encore "Quelle place prennent les femmes dans votre vie ? Que représentent-elles à vos yeux" ? 
 

Avec tous ces retours, ces écrits qui relèvent de l’intimité des habitants, on va trouver un mot, un titre, une phrase qui illustrera notre peinture. La place de la femme dans l’espace public faisait partie de la thématique.

Paul Soquet-Moreau, collectif Sismikazot

Pour ce projet financé par les bailleurs sociaux, les deux artistes avaient carte blanche, "on a choisi de peindre cette femme-là à partir d’une photographie. On peut lui donner tous les titres que l’on veut, ce qui donnera du sens à tout ce travail, ce sont les mots qui viendront se poser sur la peinture. Des écrits inspirés des sentiments des habitants recueillis dans leurs réponses au questionnaire. C’est essentiel".

Une autre vision du monde

Sur l’échafaudage, le duo prend de la hauteur. Perchés à plus de 20 mètres du sol ils ont une vue imprenable sur la cité. Rémi travaille sur le bras gauche de la jeune femme, une étape compliquée. Difficile de prendre du recul quand on a le nez collé au mur.
Voilà une semaine que les deux artistes travaillent sur la place et du haut de leur nacelle ils saluent les habitants du quartier qui prennent des nouvelles et bavardent avec eux. "ça va? ça avance?" lance un résident ; "ça prend forme" crie un autre depuis la place; "vous allez bien, aujourd’hui il fait beau c’est mieux pour vous", ajoute une dame. C’est puissant!" déclare un autre résident.
 

C’est des vies de village. Quand on travaille par exemple à Paris, lorsque l’on arrive sur le périph on se dit c’est immense comment les gens se retrouvent… mais en fait il y a une vraie vie de quartier, de village, on croise toujours les mêmes, on vit au rythme de la vie des gens, le départ au boulot, les gens qui amènent les enfants à l’école, le retour à la maison, l’heure du repas.

Paul Soquet-Moreau, collectif Sismokazot

La gardienne du temple

Au rythme du quartier, des voix qui s’élèvent à chaque passage de voitures de police, de la sortie des enfants de l’école, des petits goûters offerts par les résidents… petit à petit l’œuvre prend vie.
Au cours de la journée, Paul et Rémi descendent souvent de leur perchoir pour analyser leur travail. Une fois sur la place les habitants s’arrêtent pour discuter avec eux.
"On discute avec tout le monde, des gens sympas, méfiants, curieux même avec des gens qui nous disent que c’est de la merde ce qu’on fait ! Mais ce n’est pas grave, il y a contact, échange, l’art provoque ça et c’est génial".
 

Aujourd’hui, on parle des femmes, de leur place dans la cité, plus précisément de cette jeune femme qui surplombe la place. C’est la sortie des classes, Camille enseignante à l’école élémentaire Georges Bastide dans le quartier de Bellefontaine revient avec ses élèves de l’exposition de photographie "Manifesto" à Toulouse. Ses élèves sont des enfants dits "primo arrivants", des petits Syriens, Soudanais, Tchéchènes, de toutes les nationalités... des enfants de l’exil qui ne parlent pas le français. Tout le monde s'arrête au pied de la peinture et discute avec les artistes.
On prend le métro tous les jours et tous les jours on passe devant l’œuvre on la voit évoluer, on a fait connaissance par l’intermédiaire de l’œuvre.

C’est formidable de mettre des œuvres d’art au sein du quartier, que tout le monde puisse en bénéficier ; l’art appartient à la rue et à tous ceux qui veulent bien y accorder du temps et ça donne des émotions, moi je trouve ça magnifique. Nous on vient de voir une expo photo en ville et là finalement c’est l’art qui vient à nous. Ces enfants ne sont pas les oubliés de Toulouse, ils font partie de la ville, ce sont des citoyens, des Toulousains comme tout le monde.

Camille, enseignante


Tout en parlant Camille observe la fresque, elle scrute avec insistance cette jeune femme immense qui semble dominer la place. Une symbolique forte affirme avec enthousiasme l’enseignante :

La femme a une grande place dans le quartier, nous on a à faire à beaucoup de mamans qui viennent à l’école, qui participent et qui contribuent à la vie de l’école et le fait qu’elles soient mises comme ça en avant au grand jour comme des héroïnes du quotidien c’est fantastique. Elles le méritent, elles sont trop souvent dans l’ombre ; là c’est leur redonner une grande place ! C’est aussi très important pour le regard des enfants, des adolescents et des hommes aussi!
 


Depuis quelques années, le duo d'artistes travaille sur ce type de projet partout en France. Un métier fait de rencontres et d’échanges. Nourris de ces expériences, ils portent aujourd’hui un regard très aiguisé sur la vie dans les quartiers, en milieu rural comme dans les quartiers proches de la cité. Paul explique que du haut de son échafaudage il a la possibilité d’observer les gens dans leur quotidien et d’accéder ainsi à une vision différente du monde :

Le harcèlement de rue existe, il est toujours présent, partout dans tous les domaines c’est bien triste et dommage qu’une femme doit encore se poser la question de comment elle doit s’habiller en fonction de l’endroit où elle doit aller. C’est un phénomène de société et qui crée la polémique.



Tout en observant la fresque, les deux artistes discutent avec les habitants sur la place. Les langues se délient et l’on parle aussi bien de la fresque que du quotidien. Avec une personne âgée du quartier, ils abordent les problèmes de la délinquance, de la drogue, de l’insécurité et des nuits agitées.
"Ce n’était pas comme ça du temps où mes enfants étaient petits, c’était un petit paradis avant le Mirail, c’est bien triste tout ça", raconte cette dame.
C’est au tour de Melissa de rentrer dans la danse. Elle a 17 ans et revient du Lycée. Tous les jours elle s’arrête sur la place pour observer la fresque qui évolue sous ses yeux :

C’est super bien, c’est la première fois, qu’ils font une fresque dans le quartier, les femmes ne sont pas valoriséeq ici notamment les jeunes femmes, j’espère que cela permettra de changer les regards, de dire que les femmes ont leur place.

Melissa, lycéenne


Fin des échanges, le duo reprend le chemin de la nacelle, il y a encore du travail la haut. Le visage de la jeune femme n’est pas encore peint. La fresque prendra toute sa dimension artistique lorsqu’enfin des écritures viendront s’y greffer. Les deux artistes s’inspireront peut-être de l’analyse très touchante de Camille, l’enseignante? 
 

Tous les jours on lui dira bonjour en passant, ça pourrait être la gardienne du quartier, comme la gardienne du temple.


Mystère, mystère… fin du suspens jeudi, quand la fresque prendra définitivement sa place dans le quartier de Bellefontaine sur la façade du bâtiment n°20, Le Tintoret.
Paul Soquet-Moreau et Rémi Tournier espèrent bien qu'une fois partis, les habitants du quartier s’approprient la fresque.
 

Moi je saurai parler de Bellefontaine, des gens du quartier. J’ai appris à les connaître grâce à mon métier, je sais comment ils vivent, je connais leur problématique. Et puis au-dessus tout la haut sur mon échafaudage, on voit tout, on ressent tout.

Rémi Tournier, collectif Sismikazot

Le duo d’artistes poursuit sa route. Paul et Rémi interviendront sur d’autres projets dans d’autres quartiers pour faire résonner l’art dans la cité. Sous leurs brosses et pinceaux naîtront de nouvelles fresques murales monumentales. Des images et des mots, une forme de langage né du dialogue établi avec les habitants des quartiers.

Le diaporama de la finition de la fresque.

L’intégralité du projet est à retrouver sur le site internet du duo d’artistes Sismikazot.


 
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