"Il faut des leviers et des moyens" Florence Sèdes, professeure d'informatique, trace le chemin pour que les femmes s'imposent dans la Tech

Les femmes sont sous-représentées dans les filières scientifiques et notamment dans les domaines informatiques. Florence Sèdes, professeur d'informatique et chercheure en science des données à l'Université Toulouse 3 Paul Sabatier dresse le constat et donne des pistes pour y remédier.

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Ce sont des chiffres qui donnent le tournis. En France les femmes sont toujours sous-représentées par rapport aux hommes dans les filières scientifiques. Moins de 5% des femmes ont reçu le prestigieux prix Nobel depuis sa création en 1901. Elles ne sont pas non plus nombreuses à avoir obtenu la médaille Field qui récompense les travaux de mathématiques. Un constat qui se retrouve dans les études supérieures. Dans les formations en ingénierie elles ne sont par exemple que 28% de femmes.

Florence Sèdes, Vice-Présidente Responsabilité Sociétale de l'Université Toulouse 3 Paul Sabatier, professeur des universités en informatique et chercheure en sciences des données, explique la situation dans les métiers et les filières en lien avec le numérique. Son portrait figure dans un nouveau livre concernant les femmes qui travaillent dans la cybersécurité.

Quel est le constat dans les filières en lien avec le numérique ?

C'est un problème de "tuyaux percés". Un problème qui se retrouve tout au long de la carrière des femmes. Au départ, on a très très peu d'étudiantes ingénieures mais aussi de lycéennes. C'est tout un mécanisme. On a l'impression que le domaine du numérique peut se féminiser, mais ce sont principalement des sociologues côté IA et des juristes côté cyber. Mais la Tech en elle-même, reste très difficilement accessible aux femmes. Mais je pense qu'on est dans une période intermédiaire.

Concernant les lycéennes, chaque année, on a des modalités différentes pour le baccalauréat et l'an prochain, on va encore avoir une évolution, donc c'est difficile de tirer les leçons. Après, il y a cependant plusieurs éléments qui ressortent. On a eu la chance d'avoir la création d'une spécialité avec la réforme du bac qui s'appelle NSI : Numérique et sciences informatiques, ce qui est positif. Mais, cette spécialité requiert de professeurs formés, mais nous n'en sommes qu'à notre deuxième génération agrégés, puisque l'agrégation d'informatique a été créée il y a de cela deux ans. Donc d'autres personnes dans d'autres disciplines scientifiques ont dû se former.

De plus, cette spécialité n'est pas ouverte dans tous les lycées alors qu'on peut faire partout une spé math ou svt. Cela réduit déjà considérablement la couverture du territoire. Et on se rend compte que dans cette spécialité il n'y a que très peu de filles. Avec une moyenne par académie en 2022 qui tourne à 9.93% de filles en premières qui suivent cette spécialité. Et deux fois moins en terminale. Cette option est souvent arrêtée entre les deux années.

Il y a une deuxième étape qui induit les choses, c'est par exemple une section qui a ouvert dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les prépas scientifiques : les MP2I, qui sont un peu dans la suite de cette spécialité au lycée. La première génération de cette section est sortie et dans les écoles, il n'y a pas eu de classes pour accueillir et valoriser ces élèves.

Comment expliquer que les filles soient si peu nombreuses ?

On hérite de cette inexistence de la visibilité des femmes dans la science corrélée à celle de la visibilité dans la politique. On cite toujours la première femme qui a obtenu son baccalauréat, celle qui a réussi à passer médecine, il y a toujours " la première femme pour quelque chose". Donc on peut se dire que c'était compliqué d'exister avant.

Après historiquement ça ne concerne pas que mon domaine, le numérique, qui est assez jeune. On voit dans l'histoire que des femmes n'ont pas pu être diplômées dans certains domaines ou qu'elles ont dû parfois se travestir en homme. Quand on regarde, ce n'est pas si vieux, mais les femmes ont le droit de vote tard et la possibilité d'ouvrir un compte bancaire seule aussi après. Donc si les femmes ne s'autorisent pas des choses et ne sortent pas des cadres, c'est compliqué. Il y a toujours une histoire de stéréotypes et de biais. . Certaines filles ressentent le syndrome de l'imposteur en pensant que ce ne sont pas des formations pour elles.

Les étudiantes peuvent aussi être écœurées par les ambiances misogynes dans certaines formations. Pour vous donner un exemple, ma plus jeune fille, je pensais qu'elle ne vivrait plus cela, mais lors de son oral de Telecom, on lui a dit de plutôt faire une école de management.

Comment remédier à cette sous-représentation ?

Mettre des quotas dans les formations ce n'est pas forcément la solution, ce n'est pas si simple. Dans une université américaine, ils ont réalisé une expérience que je trouve très intéressante. Cette université a recruté deux personnes qui travaillent avec les filles pour que celles qui pouvaient se le permettre et qui avaient envie de se tourner vers l'informatique puissent le faire. Et les effectifs sont montés à 40-45% de femmes dans ces filières. Cela montre qu'il y a une forte volonté politique. Cela ne se fera pas tout seul en France. Cela ne sera pas juste une injonction du ministère, du Medef ou des entreprises de la French Tech. À un moment donné, il faut des leviers et des moyens. Il y a aussi une question d'éducation des filles et des garçons pour briser les stéréotypes des métiers.

À l'échelle de l'université de Toulouse, avec l'association Femmes et Science , on met en place différents dispositifs et actions. Dans mon département, on fait des visites de collégiennes et de lycéennes avec lesquelles on échange et elles peuvent poser des questions à mes étudiantes. On a aussi des déambulations dans le campus, où les voies portent les noms de femmes scientifiques. Ce qui permet de les mettre en avant et de rappeler leurs histoires. Cela permet de visualiser que c'est possible pour les filles de faire ce métier.

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