"Il n'y a pas de recherche en astronomie sur une planète morte" : l'observation de l'univers à l'épreuve du réchauffement climatique

La neutralité carbone d'ici 2050 pour lutter contre le réchauffement climatique, c'est l'objectif ambitieux inscrit dans les accords de Paris. Comment les chercheurs en astronomie peuvent-ils, eux aussi, y prendre part ? Un scientifique du CNRS présente quelques idées.

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Observer les étoiles, explorer la galaxie, cela a un coût pour notre planète. Et depuis 4-5 ans, des scientifiques s'interrogent sur l'impact de leurs recherches sur le réchauffement climatique. Voyages en avion pour rejoindre un observatoire, consommation d'énergie pour mener à bien leurs travaux au sol et dans l'espace... En 2022, une première étude établit le bilan carbone de la recherche au sein de l'institut de recherche en astrophysique et planétologie : 36 tonnes d'émissions de gaz à effet de serre par chercheur et par an (l'empreinte carbone moyenne d'un Français est de dix tonnes).

Directeur de recherche au CNRS, Jürgen Knödlseder milite pour un changement des pratiques pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver la Terre. "Bien sûr, c'est toujours un peu difficile d'expliquer aux collègues, qu'il faut réduire les moyens d'observation", nous confie-t-il. Mais à travers une nouvelle étude, le chercheur de l'IRAP à Toulouse invite à passer à l'action. Et il a un argument de poids : "il n'y a pas de recherche en astronomie sur une planète morte. Donc il vaut mieux quand même réfléchir à comment on peut s'adapter."

"Passer de l'esprit de compétition à celui de la coopération"

A-t-on besoin d'autant de missions spatiales vers Mars ou la Lune ? Faut-il absolument multiplier les moyens d'observation ? Pour Jürgen Knödlseder, il y a aujourd'hui une forme de course en avant qui plombe de plus en plus l'empreinte carbone de la recherche.

"On multiplie le même moyen pour des raisons de compétition ou des raisons géopolitiques. Juste un exemple : l'Europe est en train de construire le plus grand télescope optique au monde, au Chili. Les Américains veulent faire la même chose. Et ils veulent même le faire deux fois. Et après, il y aura certainement les Chinois, explique le chercheur de l'institut de recherche en astrophysique et planétologie.

Pour avoir de nouvelles connaissances, un seul télescope suffit. En fait, il faut sortir de cet esprit de compétition et aller vraiment vers un esprit de coopération.

Jürgen Knödlseder, directeur de recherche au CNRS

Et selon le chercheur, il est une question essentielle à se poser aujourd'hui avant de se lancer dans de nouveaux projets : "est-ce que ça vaut vraiment le coup en termes de progrès scientifiques ou est-ce qu'on le fait juste pour maintenir une activité et occuper nos ingénieurs ?" Jürgen Knödlseder en est convaincu, il y a des pistes à explorer.

Exploiter les données archivées

Pas besoin d'envoyer une nouvelle sonde dans l'espace pour faire avancer la recherche. Et Jürgen Knödlseder sait de quoi il parle. Le chercheur va bientôt publier un article de recherche sur la base de données datant d'il y a 30 ans, recueillies par le biais d'un satellite lancé par la NASA dans les années 90. Son objectif : répondre à une question "qui se pose depuis un demi-siècle" dans le domaine de l'astronomie gamma. 

Pour exploiter ces données archivées, il a d'abord fallu concevoir un logiciel. Puis avec ses étudiants, il est parvenu à une vraie avancée scientifique sur le thème de l'antimatière dans la galaxie. "Avant, on avait plein de théories, plein de modèles sur cette antimatière observée avec les rayons gamma, sans savoir quelle en était la source, explique le chercheur. Pour la première fois, on a pu apporter des réponses. Diminuer à deux possibilités la source de cette antimatière."

Pour Jürgen Knödlseder, ce résultat est particulièrement gratifiant. Preuve qu'il est possible de faire autrement. Le directeur de recherche au CNRS avance d'autres possibilités comme l'éco-conception et la consommation d'énergie des observatoires au sol, bien souvent dans des lieux isolés.

"On a un exemple sur une île. Sur une île, c'est très difficile à produire de l'électricité. Donc, qu'est-ce qu'on fait ? On brûle de diesel. Et brûler de diesel, c'est très impactant.
Mais si on passe à des systèmes d'énergie renouvelable, on peut baisser les émissions de ces observatoires", avance le chercheur.

Et puis, pourquoi ne pas remplacer certains voyages par des visioconférences, travailler à diminuer l'impact environnemental des moyens de test des instruments qui nécessitent des salles blanches où l'air doit être purifié.

Une année de prospective

Depuis sa première publication en 2022 sur le bilan carbone de l'observation astronomique et spatiale, il enchaîne les conférences, mais sent encore un clivage générationnel sur le sujet. "Les jeunes se posent de vraies questions. Est-ce que je peux vraiment continuer à faire de l'astronomie en faisant beaucoup de voyages en avion ou en utilisant des instruments impactants ? Et il y a aussi des collègues qui disent, mais non, ce n'est pas si grave."

Mais Jürgen Knödlseder se veut confiant. "En France, on est dans une année de prospective avec l'organisation de séminaires au CNES. À la fois au niveau astronomie et astrophysique ainsi que dans le secteur spatial. Et dans la préparation de ces deux séminaires, à chaque fois, il y avait un groupe de travail sur les questions environnementales", se félicite-t-il.

La décroissance du nombre de moyens d'observation. C'est sur la table. Après, il faut voir jusqu'où ça va, si vraiment il y a une action qui va suivre.

Jürgen Knödlseder, directeur de recherche au CNRS, chercheur à l'IRAP

Garder la tête dans les étoiles et continuer de faire avancer la recherche de manière durable. Le défi est lancé.

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