Journée de la femme : à Toulouse, les femmes pompiers assurent la garde

Les femmes pompiers du secteur de Toulouse ont choisi d'assurer des gardes exclusivement féminines pour la Journée de la femme. Cette année, la caserne de Colomiers a été choisie. Steffie, Julie et Laure ont accepté qu'on les suive. 

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19 heures : début de garde. Elles sont toutes réunies au standard. Uniquement des femmes. Les sapeurs pompiers de la nuit (19h-7h) prennent le relais de celles de la journée. Image rare : elles sont plus d'une trentaine, joviales, à discuter, se chamailler en attendant le passage d'un reportage-télé tourné dans la caserne le matin même. Les rires fusent. Atmosphère détendue de salle de garde à la fête.
Mais pas pour longtemps. A peine la dernière image visionnée, les équipes se forment. Je vais suivre cette nuit Laure Baqué, Steffie Mandonnet et Julie Ruiz. Elles ne se connaissent pas. Seule Steffie est pompier volontaire ici. C'est le charme de cette journée particulière. Professionnelles et volontaires viennent de 5 casernes de Toulouse et des environs. Toutes ont signé pour cette garde exceptionnelle qu'elles ont mis plusieurs mois à planifier.
 

Des gestes précis, ultra-rapides

Pas de perte de temps en palabres, les filles sont déjà dans l'ambulance. Laure, chef d'agrès, 38 ans, mène le groupe. Pompier pro depuis 17 ans, elle exerce à Muret. Blonde, 1m65, les yeux bleus, décidée et directe. Elle respire à la fois l'efficacité et le naturel. Je la trouve en train de vérifier le bon fonctionnement du matériel.

Julie, une brune énergique de 27 ans, est pompier volontaire depuis plusieurs années. Ostéopathe dans la vie, c'est elle ce soir qui fera le point sur l'état de santé de chaque victime. Pour l'heure, elle s'occupe de la check-list des équipements. L'essentiel tient dans un grand sac à dos.
 
 

Une mécanique bien huilée

Rien ne doit manquer. Les combinaisons coronavirus évidemment, les masques, mais aussi et surtout le matériel nécessaire aux premiers soins : compresses, produits désinfectants, gants jetables compris. Les gestes sont précis, ultra-rapides. La mécanique est bien huilée. Objectif : que chacune trouve ce dont elle a besoin dans l'instant, en cours d'intervention.
 

Steffie a 32 ans, 9 années de volontariat. Une grande blonde, calme et stoïque. Son métier : consultante en sécurité incendie... ça ne s'invente pas ! Colomiers, c'est sa base. Mais ce camion, elle ne le connaît pas. C'est un véhicule de réserve. L'autre, celui qui a le GPS, est en révision. Elle installe son propre portable sur le tableau de bord.
 

Tout est vérifié

C'est elle qui conduit ce soir. Elle s'occupera de tout ce qui est transport, y compris acheminer la victime au camion en brancard ou en chaise roulante. Chaque fonction du véhicule, des phares au frein à main, est essayée, validée. Pas de première jeunesse cette ambulance, mais elle s'avère opérationnelle. Tout est sécurisé. On n'a plus qu'à attendre. Direction la salle de restaurant. Un lieu fonctionnel sans apparat, réchauffé par la présence des équipes autour d'une grande table rectangulaire. On boit un verre mais pas le temps de s'installer, les bips sonnent. Départ.
 

"On décale !"

Une femme de 80 ans a fait une chute. Elle est au sol, chez elle. C'est son voisin qui a donné l'alerte. "On décale". Direction Tournefeuille. Les pompiers sont sur les sièges avant. Je passe à l'arrière, face au lit. Arrimée à mon siège, je compte les minutes. Sirène hurlante et virages très serrés. Sujet au mal des transports s'abstenir ! Le camion réagit bruyamment mais au final, plutôt bien à cette conduite sportive.
 

On arrive en quelques minutes devant un pavillon. Le voisin nous accueille. Huguette vit seule. Sa famille est loin. Elle a chuté dans son jardin et s'est littéralement traînée jusqu'au téléphone pour alerter son voisin. Elle est au sol, consciente mais dit qu'elle a mal. Laure la laisse parler.

La douleur au centre des préoccupations

Elle explique sa prothèse de hanche, les circonstances de la chute, la douleur à 8 sur une échelle de 10. La prise en charge se fait dans le calme. A chaque instant, on demande à Huguette comment elle se sent, si on peut découper une jambe de son pantalon pour voir si un os a bougé. La douleur est manifestement très vive. Laure fait le constat suivant :

On prend beaucoup plus en compte la douleur aujourd'hui. C'est ça qui a changé. On ne matraque pas les gens de questions. On se rend compte que quand on les laisse s'exprimer, ils répondent à presque toutes nos interrogations. Et ça instaure la confiance.

 


Exit l'infantilisation

"On utilise aussi la communication positive et même l'hypnose pour alléger la souffrance et détendre la victime car l'accident provoque de l'angoisse" poursuit-elle. "C'est très important. Dans les cas de pathologie cardiaque par exemple, on sait que le stress est un élément déterminant."

C'est frappant. Le contact est facile, familier sans être intrusif. Bienveillant mais exempt de toute condescendance ou infantilisation. On sent Laure à l'aise. Elle est dans ce qu'elle aime faire, c'est flagrant. Autour d'elle, Julie et Steffie s'activent. Laure prévient la régulation médicale au Samu. Curieuse impression : l'atmosphère est sereine. On a le sentiment que l'équipe prend le temps. Pourtant, pas une seconde n'est perdue.
 

L'apport des femmes

Huguette est mise sous contention dans un matelas gonflable pour lui éviter de souffrir inutilement du transport. On surveille ses constantes pour s'assurer qu'elle ne fait pas d'hémorragie interne du fait d'une fracture. En 2 temps 3 mouvements, les informations sont prises sur les antécédents médicaux, les traitements, les personnes à prévenir.  

Steffie étudie le parcours pour transporter Huguette jusqu'à l'ambulance. On passera par le jardin. Les meubles dans la maison gênent le passage du brancard. Une fois la victime hissée, on traverse la pelouse, l'allée avec précaution. Huguette a été opérée de la hanche à la clinique Ambroise Paré. Direction Toulouse donc.  

Pas d'urgence vitale. On prend le temps de passer les dos d'âne en souplesse. Rien à voir avec l'aller. Mon impression : tout est allé très vite mais dans une étonnante fluidité, une douceur même. Julie commente sur le chemin du retour à la caserne :

C'est ça l'apport des femmes. On trouve sans doute plus facilement les bons mots. On a le tact. ça change des hommes qui rassurent par le côté force. On est complémentaires.

Fiefs masculins

Julie sait de quoi elle parle. Elle a été l'une des premières, femme et pompier volontaire, à intégrer la caserne Lougnon au centre ville de Toulouse. Un vrai challenge car ces lieux constituaient jusqu'à il y a à peine 2 ans, un des fiefs masculins de pompiers professionnels peu décidés à céder du terrain.

Quand on est une femme, il faut prouver, prouver et encore prouver. On doit prouver qu'on est opérationnelle, qu'on a des connaissances et une technicité sans faille.

dit Julie qui estime qu'elle a été plutôt pas mal accueillie.

Mais elle ne s'est pas laissée faire. Toutes ont d'ailleurs ce point commun : elles ont du caractère et le font savoir d'entrée. Pas question de faire profil bas. "On est de plus en plus formée et informée" renchérit Laure. "On recadre des collègues hommes qui nous posent des questions personnelles qui n'ont pas lieu d'être par exemple. On décrypte, ce qu'on ne faisait pas avant. Du coup, on leur répond que ça ne se justifie pas. ça aide à poser les bonnes limites."


L'image du super héros

Mais il y a quelques règles basiques : savoir s'imposer, ne pas être susceptible ni prendre les choses au premier degré... "Sinon c'est fichu". Et faire preuve d'humour. "Les gens ont encore l'image du pompier super-héros, le beau gosse avec les muscles. Même certains pompiers restent là-dessus. Ils entraînent parfois les autres", déplore Laure. "Et ça met du temps à bouger. Heureusement, ça pousse à la base. On a de plus en plus de jeunes femmes qui entrent comme volontaires. Mais quand on voit les échelons, plus on monte, moins elles sont présentes. Les postes à responsabilité sont encore exclusivement occupés par les hommes."

Dommage car ces femmes amènent une autre approche. "Quand il y a un conflit, que quelqu'un sur une inter(vention) s'énerve, là où un homme va être dans l'affrontement, commencer à monter, nous, on va essayer de trouver un autre interlocuteur, chercher à contourner. Et ça porte aussi bien ses fruits." Parfois même mieux, devine-t-on.

Détresse sociale

Ce qui frappe ces femmes : la détresse sociale. Il y a par exemple, de plus en plus de femmes qui ne sont pas suivies sur le plan gynécologique, donc les accouchements se font à domicile dans des conditions parfois très limites. Laure constate :

Les écarts de ressources se creusent chaque jour un peu plus. Et les services publics sont en train de disparaître. Donc on élargit de plus en plus nos missions. On nous demande de remplacer l'infirmière, le médecin, l'assistante sociale, l'hôpital, la famille...

Des accidents violents

A ces réalités parfois très difficiles, comme les accidents violents qui impliquent des bébés, des enfants ou même des proches, ces femmes font face avec leur professionnalisme. Elles échangent au départ de la mission et en cours de route. "Tout-à-l'heure, j'ai eu un doute. J'ai demandé à ma collègue si ça allait en pleine inter. On veille l'une sur l'autre et Laure veille sur nous deux".

C'est une constante chez les pompiers. Ca va au-delà de l'esprit de corps. Une unité qui tisse des liens forts. Mais les femmes l'expriment. A chaque étape, début et fin d'intervention, la chef d'agrès demande comment se sentent ses équipières. On fait un débriefing, un vrai. Pas pour la forme.
 

Toujours s'améliorer

Avec les victimes aussi, le dialogue est là. En permanence. "Ca ne s'apprend pas à l'école ou en formation. C'est sur le terrain. C'est pour ça que je demande aux victimes et à leurs proches en fin d 'inter s'ils ont des questions, si tout s'est bien passé pour eux", explique Laure. 

Cette nuit sera assez calme. Une seule autre sortie, de 0h30 à 2h30 pour une urgence vitale cette fois-ci. Un homme de 62 ans aux multiples antécédents cardiaques qui se plaint d'une forte compression à la poitrine. 

Interview de Julie dans l'ambulance au retour d'intervention...
 

Demain, à 7h Steffie repart. Elle doit être à 9h au bureau. Julie se repose un peu avant ses consultations de l'après-midi. Quant à Laure, elle rentre chez elle en attendant la prochaine garde.

Au vestiaire, Steffie me confie : "c'est dur parfois. Mais quand j'ai dû arrêter un an pour des questions d'organisation car j'avais déménagé, il manquait quelque chose à ma vie. Quand je voyais un camion de pompiers, je me sentais comme une môme qui voit passer le camion rouge. Je trépignais et j'avais envie de leur crier : attendez moi !"
 
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