La France est championne d’Europe des jeux de société. Chaque année, 30 millions de boîtes s'y vendent, soit une par seconde. Un loisir qui doit beaucoup à la créativité des auteurs français. L'Occitanie en compte une centaine. Rencontre avec Benoît Turpin et Florian Sirieix qui commencent à vivre de leur passion.
Dans l'univers des jeux de société, la France est l'un des pays les plus créatifs et les plus joueurs au monde. Le secteur pèse 640 millions d'euros. Plus de 200 nouveaux jeux sortent chaque année imaginés par 500 auteurs dont une centaine en Occitanie. Mais seulement une cinquantaine parvient à vivre de leur passion.
Au cœur de la ville de Bram (Aude), la pièce de 15 m² ferait frémir n'importe quel passionné de jeux de société.
A gauche, une étagère géante expose fièrement une collection de 400 jeux, des plus connus aux pépites venues d'Asie ou d'Allemagne. En face, un grand bureau accueille une imprimante "indispensable pour un auteur de jeux de société" souligne le propriétaire des lieux. A droite se trouve un coin atelier pour fabriquer les prototypes. Au centre, une table dévoile un jeu de cartes "qui devrait sortir en 2024".
Le regard se pose enfin sur une seconde étagère. Elle abrite les créations de Benoît Turpin, auteur de jeux de société depuis une dizaine d'années. Dans les casiers, une multitude de boîtes en carton conservent ses idées. Avec un peu de chance, elles pourront passer à l'étage supérieur où trônent les jeux édités.
A 43 ans, le Toulousain Benoît Turpin est à l'origine de 11 jeux dont plusieurs best-sellers : "Welcome to your perfect home", "Welcome to the Moon" ou encore "La Planche des Pirates".
Entre 1 à 6 ans pour éditer un jeu de société
Pour espérer voir une famille ouvrir sa boîte sur sa table de salon, l'auteur de jeux de société doit s'armer de patience. "Entre l'idée et la sortie d'un jeu, il faut compter entre 1 à 6 ans" assure Benoît Turpin.
Tout commence par un prototype fabriqué à la main ou en récupérant des accessoires de jeux existants.
Souvent, on s'inspire avec ce qu'on voit. Et comme on joue souvent, il y a des éléments dans des jeux qui nous font envie. Par exemple, un de mes prototypes vient d'un jeu japonais qui se joue avec des ficelles. Ça m'a donné envie de créer un jeu, évidemment différent.
Benoît TurpinAuteur de jeux de société
L'auteur va ensuite tester son jeu dans des salons, des ludothèques ou avec des amis. "Le jeu doit être à la fois original et accessible à un grand nombre de joueurs" poursuit-il.
Pour gagner du temps dans le processus créatif, Benoît Turpin n'hésite pas à s'allier avec d'autres concepteurs. C'est le cas avec Florian Sirieix. Originaire de Montpellier, cet ancien instituteur compte 22 jeux édités dont les célèbres "Imaginarium", "Oh Capitaine !" ou "After Us".
On teste dans le temps. L'objectif d'un jeu est de provoquer des émotions. Sinon, le prototype part directement à la poubelle.
Florian SirieixAuteur de jeux de société
Une fois le prototype finalisé, le créateur part à la conquête d'un éditeur. Des rencontres et des concours sont organisés aux quatre coins du pays comme au Festival Alchimie du jeu de Toulouse. Mais cela relève du parcours du combattant.
"La concurrence est forte entre auteurs. Nous sommes 500 en France pour 200 sorties par an. Cependant, il n'y a aucun heurt entre nous" assure Benoît Turpin.
Vendre des milliers de boîtes pour espérer un smic
Les Français adorent les jeux de société. 91% d'entre eux déclarent y jouer selon une étude d'OpinionWay en août 2021. 52% y jouent au moins une fois par mois et un quart au moins une fois par semaine. Chaque année, 30 millions de boîtes sont vendues. Et le phénomène a doublé depuis les confinements du Covid-19.
Une manne qui profite peu aux auteurs.
Sur un jeu de société vendu à 25 euros, l'auteur va gagner 50 centimes par boîte.
Benoît Turpin
Ce montant peut monter jusqu'à 1 euro pour les jeux qui dépassent les 45 euros.
Le reste du prix d'achat se répartit entre le vendeur, l'éditeur et le distributeur. Une réalité économique qui complique la vie des concepteurs.
"Très peu vivent pleinement de leur métier. Seulement une cinquantaine en France et 5/6 en Occitanie" déplore Benoit Turpin qui vient de prendre la présidence de la SAJ (Société des Auteurs de Jeux).
Des négociations avec les éditeurs sont en cours pour essayer de professionnaliser le secteur. "Etre auteur, c'est un travail à temps plein" précise le Toulousain, ancien professeur d'Anglais.
J'ai pu stopper mon travail de professeur des écoles après 10 ans de conception
Florian Sirieix
Si tout va bien, le succès peut être au rendez-vous. "Welcome to" et ses extensions se sont vendus à 650 000 exemplaires dans le monde. "La Planche des pirates" conçue par les 2 auteurs vient de dépasser la barre des 100 000.
En général, "un jeu de société vendu à moins de 3000 exemplaires est un échec" expliquent les 2 concepteurs. "A 5000 exemplaires, on rentre dans les coûts de production. Au-dessus, on commence à dégager des revenus. Et à 100 000, on se dégage un smic. A plus de 300 000, c'est un succès".
Mais le jeu peut vite lasser les joueurs. Alors, "il faut se mettre immédiatement à trouver une nouvelle idée qui trouve son public" complète le duo. "Car il faut attendre au moins 2 ans pour commencer à toucher le premier euro... si tout va bien".