Le salon de l'agriculture fête ses 60 piges et moi ma première. Une journée au salon c'est intense, déboussolant, festif, bruyant. A la fois le rendez-vous des spécialistes et des néophytes. Récit d'une journée pas comme les autres.
Dans un monde agricole en pleine tourmente, le salon de l'agriculture fête ses 60 ans. Ce qui était la vitrine du monde paysan est aussi devenu un lieu d'expression : de la colère des agriculteurs et de politiques en quêtes de solutions mais aussi de soutiens électoraux.
Une agriculture désorientée
Porte de Versailles, le monde agricole prend place. Loin des fastes d'antan de la royauté, les productions agricoles se présentent sous les meilleurs auspices. Seulement voilà, depuis 40 ans les campagnes se vident et le monde paysan meurt à petits feux ou parfois violemment.
Symboliquement, les paysans tarnais ont commencé à renverser les panneaux signalétiques à l'entrée des villes et villages. Et à Paris, juste devant le salon, ils affichent une agriculture désorientée qui a perdu ses boussoles.
60 ans et un drôle d'anniversaire
À l’extérieur toujours, le chiffre 60 s'affiche de partout. Cette 60e édition est assez particulière. Dans une ambiance plutôt bon enfant, les agriculteurs présentent ce qui les rend fiers de leur production, tandis que les petits parisiens apprennent que le lait ne pousse pas dans des Tetra-Brick.
Les Français et l'agriculture, c'est un peu "Je t'aime, moi non plus". Au début de la mobilisation des agriculteurs, les sempiternels sondages nous apprennent qu'à une grande majorité, ils soutiennent le mouvement. Tiens donc. Quelques mois auparavant, l'agribashing était pourtant la tendance, où agriculteur rimait avec pollueur.
Alors célébrer 60 berges dans un tel contexte, avec une inauguration plus proche du combat de catch que de la fête populaire, est-ce vraiment possible ?
Un groupe laitier et une grande distribution discount
Dans le salon, les stigmates présidentiels ont été gommés mais la contestation s'invite. Le groupe laitier Lactalis en a encore fait les frais. "C'est le premier groupe laitier au niveau mondial mais ça ne ruisselle pas jusqu'aux producteurs" clame une femme. "Lactalis s'engraisse, ils font fortune sur notre dos" lâche un visiteur.
Le leader mondial voit jaune, entre les interpellations de la Confédération Paysanne et les bonnets (jaunes) de la Coordination Rurale.
Jaune comme les gros sacs à emplettes fournis par la seule marque de la grande distribution à s'être aventurée sur le salon. Une marque discount, comme un présage pas franchement festif.
La fête sur le stand de l'Occitanie
Pour trouver un exemple festif, il faut se diriger vers le hall où se trouve la Région Occitanie. Et le Sud, il faut le gagner. Cette année, les organisateurs ont placé la région dans le hall 7, à l'autre bout du hall 1 très prisé car il y a les vaches, moutons et autres cochons.
Mais arrivé sur place, les fanfares raisonnent. On entend même "siffler sur la colline". Lai lai lai lai !
Pour cette 60ème édition, l’Occitanie c'est :
- 134 producteurs régionaux réunis dans le pavillon 7.1
- 121 éleveurs régionaux (Porc Noir de Bigorre, bœuf gascon, chevaux de Merens et de Camargue,
ovins…) rassemblés au sein du pavillon 1. - Le plus grand stand des 13 régions de France : 2000m2
- Plus d’un millier de produits à découvrir.
La présidente Carole Delga n'a pas ménagé ses efforts pour être présente aux côtés de Gabriel Attal ou des producteurs. Toute honorée d'une médaille d'honneur reçue au salon "récompenser des femmes et des hommes qui ont donné de leur temps, de leur énergie, de leurs initiatives ou idées au salon en particulier, à l’agriculture en général". Carole Delga a été la seule personnalité politique distinguée pour l’édition 2024.
Ça valait bien L'Encantada du groupe Nadau, le tube des bandas de la région.
À croire que la bonne humeur est contagieuse. À l’extérieur, dans les méandres des nombreux halls du salon on peut entendre : "Je suis Landais et j'aime l'apéro... L'apéro et le saucisson". Moment de poésie ultime.
La star c'est Jérôme
Dans les interstices du salon, chaque stand propose ses animations ; des jeux, des dégustations, chacun essaie de gagner les faveurs du visiteur. Il y a des tables rondes très sérieuses, d'autres qui vous mettent la tête au carré, c'est à la fois studieux et bruyant.
Il y a ceux qui se retrouvent tous les ans, ceux qui se découvrent. Les stars de l'agriculture ou de la politique. Gabriel Attal a battu tous les records de présence en étant là depuis 7h du mat pour la traite jusqu'à 20h pour battre en retraite. "Et encore il est parti car il avait un dîner à l'Elysée avec les Qataris", me souffle un politicien présent.
Le landerneau politique est là, en quête de suffrages et de candidats pour les européennes. Ils aimeraient bien pêcher un gros poisson. Et incontestablement, la star du salon, c'est Jérôme Bayle.
Il a pris la tête du mouvement de révolte, la lumière et aussi les critiques. Depuis la mi-janvier, Jérôme Bayle est partout. "Depuis le 15 janvier, on parle de l'agriculture dans tous les médias, tous les jours et à toutes les heures." Un franc-parler, teinté d’accent du sud. "Personne n'allait plus sur les plateaux tv pour parler d'agriculture. Aujourd'hui c'est parce qu'un mec avec une casquette à l'envers le fait. L'élément déclencheur c'est quand des amis envoient des messages et vous disent : si j'avais pas eu des enfants, j'aurais fait comme ton père et je me serais tiré une balle en pleine tête."
Les gens l'arrêtent, le reconnaissent, le remercient. Il dégage une force tranquille et un discours qui ne change pas en fonction des circonstances. Qu'il parle à Gabriel Attal, aux journalistes ou à ses potes, les mots sont les mêmes. "Je suis quelqu'un de droit, quelqu'un de parole. Je l'ai montré même si certains pensent que j'ai lâché trop vite. J'ai engagé ma ferme pour entrer sur l'autoroute. Ma ligne de conduite est simple : il faut que l'agriculture laisse une bonne image."
Apôtre de la non-violence, il se targue d'avoir mobilisé les agriculteurs sur l'A64 "sans que ça coûte un centime au contribuable"! Un brin de facétie, l'ancien rugbyman pratique avec malice le recadrage débordement. Il renvoie dans leurs 22 jalousies et critiques. "Es atal" (c'est ainsi en langue occitane) comme il aime le dire en référence à Gabriel Attal.