L’ancien correspondant de Libération à Toulouse, Gilbert Laval, analyse sous sa casquette d’historien, dans un livre qui vient de sortir, un demi-siècle de mutation de la société française au travers des retentissantes affaires judiciaires du couple d’avocats.
On connaissait Gilbert Laval journaliste envoyé spécial permanent du journal Libération à Toulouse pendant 30 ans. On découvre au travers de son dernier livre "Les Etelin avocats. Ne rien lâcher !", aux éditions Talaia (1), distribué dans les bonnes librairies, le docteur en Histoire qui publie une analyse passionnante d'un demi-siècle d'histoire politique et du droit au travers des affaires retentissantes plaidées par le couple de robes noires toulousain, Marie-Christine et Christian Etelin.
Ces affaires portent des noms devenus célèbres : Puig Antich, le dernier garotté de Franco, José Bové, le leader paysan démonteur de Mac Do et briseur d'OGM, Jean-Marc Rouillan, le fondateur d'Action Directe, les voyous révolutionnaires Pierre Goldman et Charlie Bauer, Bruno Sulak, le braqueur ami des lettres, les gangsters Jacques Mesrine et Francis le Belge ou le tueur jihadiste au scooter Mohamed Merah.
Le récit que Gilbert Laval nous en fait, des barricades étudiantes à la désobéissance civile, du braquage de banque à la révolte des prisons, de la délinquance des cités au terrorisme assassin, restitue une tranche de 50 ans d'histoire politique, sociétale et d'histoire du droit.
Son ouvrage est préfacé par le sociologue Daniel Defert, l'ancien compagnon de feu le philosophe Michel Foucault, lui-même ami des Etelin et à l'initiative de l'engagement de Marie-Christine Etelin dans la profession d'avocat par le biais du Groupe d'information sur les prisons (GIP). Daniel Defert écrit notamment à propos de l'ouvrage :
"Les Etelin nous font pénétrer dans l’intimité de leur passionnant métier d’avocat, ses risques, ses proximités, les distances à savoir tenir ou plus exactement dans la passion qu’ils y mettent pour que ce métier ne s’inscrive pas seulement dans l’histoire souvent douloureuse de la personne qu’ils défendent, mais aussi dans la nôtre, celle de la justice, des avancées difficiles du droit."
Trois questions à Gilbert Laval sur son livre "Les Etelin avocats. Ne rien lâcher !" :
- Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur ce couple d’avocats toulousains ?
L'envie d'écrire ce livre, c'était l'envie de boucler la boucle. La constance et la fidélité à son histoire m'ont toujours semblé des vertus cardinales.
J'ai cessé d'écrire dans les journaux le 15 janvier 2015 après 35 ans d'exercice de cette profession. Au même moment ou presque Marie-Christine Etelin prenait sa retraite du métier d'avocat. Christian son époux plaide encore, mais comme un comédien de Molière décidé à ne quitter la vie que sur les planches. C'était peut-être le moment de se poser sur un banc et de considérer ce quasi demi-siècle depuis 1968.
Ce demi-siècle d'aventures militantes et professionnelles nous a constitués, nous constitue encore par ce qu'il a transformé de notre société. Restait à évaluer en quoi, et dans quelle part, les idées et les mots portés par les aventuriers Etelin ont pu, en toute dialectique, constituer ce demi-siècle. Ce récit était pour moi l'occasion heureuse de confondre l'historien que j'ai été et le journaliste que je suis devenu ensuite.
Les Etelin comptent parmi ces gens qui n'ont rien lâché, jamais. Ils sont de ceux qui ont toujours touillé et épicé le grand bouillon qui a révolutionné le monde d'avant 68 et ses rigidités. Et j'ai moi-même tellement aimé ce bouillon !
- Pourquoi ce couple d’avocats toulousains s’est-t-il retrouvé constamment sollicité pendant un demi siècle pour des affaires qui n’ont cessé d’occuper les prétoires et l’actualité nationale ?
Ce n'est en tout cas pas par hasard ni par la volonté d'occuper les écrans de télévision ou les colonnes des journaux. C'est parce qu'ils étaient depuis le tout début dans la bataille militante, avec le droit pour seule arme, quand partir plaider pour des marginaux dans l'Ariège ou pour des prisonniers du général Franco à Barcelone, quand travailler à côté de l'à peine émergent Michel Foucault ne valait encore aucun écho dans la presse. Ils étaient déjà là quand il s'agissait juste de laisser souffler des vents nouveaux sur l'air vicié du vieux monde social.Ils n'ont ensuite naturellement pas quitté le mouvement. L'anti-franquisme, le Larzac, la liberté d'avortement, la révolte des prisons, puis aujourd'hui les cités sensibles ou les luttes anti-OGM : ils n'ont pas squatté les prétoires ni couru derrière l'actualité. C'est l'actualité qui est venue à eux. Plus précisément, ce sont les mouvements qu'ils ont impulsés en temps que militants des droits et des libertés qui sont devenus actualité.
Le monde n'est pas une suite aléatoire de modes. Il est donc parfaitement indémodable de travailler toujours à le transformer.
- En quoi votre livre recouvre-t-il un demi siècle de combat judiciaire et d’histoire de la justice et des avancées du droit ?
Il est entendu que ce livre n'est surtout pas une biographie. Il est d'abord le récit des évolutions de notre société. Les Etelin étudiants maoïste et situationniste ont d'abord dénoncé le droit comme un élément de l'appareil répressif d'État, ce qu'il était en grande partie et qui a pu pousser des manifestants à envahir les palais de justice. Les Etelin avocats ont ensuite mis la pratique de ce droit au service de la part la plus faible ou démunie de la société en lutte contre la racisme, le viol et toutes les oppressions. Du droit européen pointant ses alinéas dans les années 80, ils ont fait une arme pour les libertés. Ils ont enfin subverti le droit où l'on voit des faucheurs volontaires d'OGM réclamer d'être mis en examen et transformer leur procès en autant de tribunes.Ces deux-là n'ont pas révolutionné le monde comme ils l'avaient imaginé sur les bancs de l'université en 68. Ils ont produit du droit. Ils ont ainsi accompagné au mieux les mouvements qui ont révolutionné ce monde. Ces mouvements qui ont fait que le monde de José Bové démontant le McDo de Millau n'est plus tout à fait celui du jeune Daniel Cohn-Bendit à la tête des Enragés de Nanterre en 68.
Question subsidiaire : Si vous deviez à titre personnel choisir un avocat, solliciteriez vous plutôt Christian ou plutôt Marie-Christine ?
La question arrive un peu tard. La réponse a été donnée en 1975. C'est elle qui m'a alors défendu. Le professeur de philosophie aujourd'hui défroqué Christian Etelin n'était pas encore avocat quand je me suis fait prendre à distribuer des tracts appelant à la création de comités de soldat dans une caserne de parachutistes à Albi un dimanche de journée portes ouvertes...
(1) "Les Etelin avocats. Ne rien lâcher !", par Gilbert Laval, préface de Daniel Defert, Président fondateur de l'association Aides. Aux éditions Talaia. 15 euros.