"Les patients attendent cinq ans en moyenne. C'est catastrophique": Greffe annulée faute de personnel, le cri d'alarme d'un malade et d'associations au CHU

Il arrive que le CHU de Toulouse décline l'attribution d'un organe auprès de l'agence de biomédecine, faute d'équipe de soignants dédiés en nombre suffisant pour assurer les opérations. Et ce malgré un nombre de patients en attente de greffe qui progresse. Conséquence, les délais pour programmer une opération s'allongent, comme le dénoncent plusieurs associations de patients.

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Mardi 3 septembre restera une journée noire dans la mémoire d’Abdallah. Une journée de perte d’espoir, dont il témoigne ce mercredi dans Le Parisien. Gravement malade et atteint d’une insuffisance rénale, ce citoyen Syrien est réfugié en France depuis 2022 grâce au dispositif du couloir humanitaire. L’homme est en attente d’une double greffe de rein et du pancréas. Il vit et il est soigné dans notre région, au CHU de Toulouse (Haute-Garonne). Comme plus de 21.800 personnes, il est en attente d’une greffe pour enfin pouvoir se passer des dialyses, reprendre une vie normale, pouvoir travailler, s’intégrer dans son nouveau pays.  

Début septembre, un coup de téléphone. Soudain, l’espoir : un rein ainsi qu’un pancréas compatible avec son groupe sanguin rare sont disponibles pour lui. Un chirurgien accepte de l’opérer. Le 3 septembre, Abdallah se presse à l’hôpital de Rangueil. Mais la journée ne se passe pas comme prévu. Il patiente, patiente encore. Puis, au cœur de la nuit, la terrible annonce tombe : il n’y a pas d’équipe de soignant complète disponible pour assurer sa greffe. La double opération est annulée au dernier moment.

Deux patients, un seul bloc

Ce jour-là, ils sont deux, Abdallah et un second patient, à avoir été convoqués pour bénéficier d’une opération. Mais une seule équipe est disponible, seule la greffe de foie de l’autre patient a pu être effectuée. Contactée, la direction du CHU explique : "Les organes des deux patients sont arrivés en pleine nuit, et il aurait fallu pouvoir les greffer en simultané. Mais notre organisation est faite pour permettre la greffe d’une seule personne par nuit, pas de deux". À demi-mot, on reconnaît par téléphone une raréfaction des infirmières et infirmiers de blocs opératoires compétents pour compléter une équipe de greffe. Faute d’une deuxième équipe de soignants complète disponible cette nuit-là, l’espoir s’est envolé pour Abdallah. Le CHU de Toulouse a décliné l’attribution du rein et du pancréas auprès de l’Agence de biomédecine.

Dans un communiqué daté du 30 septembre, la direction du CHU qualifie "de situation exceptionnelle" la nécessité de réaliser deux greffes en simultané au cœur de la nuit. Elle dit "entendre l’incompréhension et la déception du patient qui n’a pas pu bénéficier de la greffe rein/pancréas".

Une situation "catastrophique"

D’après plusieurs associations de patients contactées ce mercredi par nos soins, les délais pour organiser une greffe ont tendance à largement s’allonger au CHU de Toulouse, ces dix-huit derniers mois, faute de bloc et d’équipe disponible en nombre suffisant pour faire face aux besoins.

"La situation devient catastrophique pour les patients ! Il se murmure même que des greffons ne seraient pas prélevés bien que disponibles, ou même jetés, faute de bloc et d’équipe de soignants disponibles !" déplore Frédéric Escala, président de France Rein Midi-Pyrénées.

Il a lui-même bénéficié d’une greffe il y a quatorze ans. "À cette époque-là, le délai d’attente était déjà de 2 à 3 ans, mais aujourd’hui, les patients attendent cinq ans en moyenne" assure Frédéric Escala. Selon lui, c’est la conséquence d’un manque de donneurs mais aussi d’un manque de personnel soignant disponible, dans un système de santé en crise. "On suppose que des arbitrages sont faits. Nous avons alerté la direction du CHU par e-mail au mois d’avril mais nous n’avons pas obtenu de réponse", affirme ce représentant de patients. D’après lui, le cas d’Abdallah est "malheureusement récurrent".

Alors avec d’autres associations de patients, ils entendent continuer de questionner la direction du CHU quant à son organisation. "Il faudrait que deux blocs puissent être disponibles en même temps", s’écrie Thierry Gesson, lui aussi bénéficiaire d’une greffe il y a plusieurs années, et aujourd’hui président de Midi Cardio Greffe Occitanie. "Le cas d’Abdallah n’est pas un cas isolé. Nous sommes tout à fait au courant qu’il y a des difficultés à obtenir la programmation d’une greffe, en particulier lorsqu’il s’agit de transplanter un rein donné par une personne en vie. Mais la direction ne nous a jusque-là donné aucune explication et les équipes continuent de travailler à flux tendu", affirme Thierry Gesson. Contacté ce mercredi, le professeur en charge de la coordination du département Néphrologie et Transplantation d’Organes du CHU indique attendre l’accord de sa direction générale pour pouvoir s’exprimer publiquement sur le sujet et répondre à nos questions.

En France, le nombre de personnes en attente d’une greffe augmente fortement d’année en année. Au 1er janvier 2016, 14 500 personnes étaient dans l’attente d’une greffe d’organes en France. Début 2024, elles étaient au nombre de 21 800, d’après les statistiques de l’agence de biomédecine, et même encore davantage d'après le collectif d'associations de patients Greffes.

Moins de greffes

Pourtant, entre 2016 et 2023, le nombre de greffes au CHU de Toulouse a diminué de 2,4%. En effet, d’après les chiffres rendus publics par la direction, 286 patients y ont été greffés en 2023 (source : communiqué envoyé à la presse), contre 293 en 2016 (source : site du CHU).

En avril dernier dans les colonnes de La Dépêche, le coordinateur du département de Transplantation d’Organes du CHU de Toulouse tirait d’ailleurs la sonnette d’alarme, évoquant sa crainte d’une baisse de 18 à 30% des greffes de rein à partir de donneurs vivants en 2024.

Dans un communiqué, la direction du CHU de Toulouse assure que "l’activité de greffe constitue une priorité du projet médical du nouveau projet d’établissement, validé en avril 2024" et que le nombre de greffes réalisées sur la période allant de janvier à août 2024 est en progression de 8% sur un an.

Abdallah, lui, continue de se rendre à l’hôpital trois matinées par semaine pour bénéficier d’une dialyse, mais confie au Parisien avoir "perdu tout espoir" de recevoir une nouvelle greffe.

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