Quelques semaines après Merck, le fabricant du Lévothyrox qui avait changé sa formule à l'insu des patients, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a été mise en examen lundi 5 décembre pour "tromperie". Les victimes y voient un signe positif malgré des procédures qui n'avancent pas, au fond.
Nouveau coup de gong dans l'affaire du Lévothyrox. 5 ans après. En octobre, le laboratoire pharmaceutique allemand Merck a été mis en examen pour "tromperie aggravée" dans le dossier du changement de formule du médicament administré contre les troubles de la thyroïde. C'est au tour de l'ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) de faire face à la justice. Elle a été mise en examen lundi 5 décembre pour "tromperie".
Le Lévothyrox avait changé de formule en 2017. Des centaines de patients, parmi les 2,5 millions qui l'utilisent quotidiennement en France, avaient alors souffert d'effets secondaires parfois invalidants comme des douleurs musculaires, des maux de tête, des vertiges, des pertes de mémoire, des dépressions ou des pertes de cheveux.
"L'ANSM n'a rien vérifié"
En réponse à cette mise en examen, l'organisme incriminé communique : "l'ANSM apportera sa pleine contribution à la manifestation de la vérité mais conteste fermement les reproches formés à son encontre car aucune infraction pénale n'a été commise (...). L'ANSM n'a jamais nié les difficultés rencontrées par certains patients au moment du passage à la nouvelle formule du Levothyrox et se préoccupe de manière constante et quotidienne de la sécurité et de la santé des patients".
Pour les victimes, cette mise en examen constitue une avancée notable. "On n'attendait que ça, réagit Sylvie Chéreau du collectif des victimes du Levothyrox en Occitanie, le premier à avoir vu le jour en France en 2017. Cela prouve que l'ANSM est soupçonnée de n'avoir pas fait son travail concernant la sécurité du médicament. Elle a pris les analyses données par Merck et n'a rien vérifié... Elle s'est fiée aux analyses produites par le labo. C'est un peu comme si on demandait à Boeing d'enquêter et de faire des expertises sur le crash d'un Boeing !".
"Je suis un mort-vivant aujourd'hui''
Pour Lucette Fenet-Lasseube, une Toulousaine qui souffre comme Sylvie Chéreau de séquelles invalidantes, il s'agit d'une nouvelle douce-amère. "Ce n'est que justice que l'ASNM soit mise en examen mais ça ne nous rend pas notre santé. Depuis 2017, pour moi, c'est indescriptible ! Les douleurs sont telles que j'ai l'impression de devenir dingue. Je suis en déprime permanente, j'ai même parfois des idées noires, il faut bien l'avouer".
"Ça a des conséquences sur toute ma vie, je ne profite pas de mes petits-enfants, de ma famille, de mon couple à cause de cette fatigue permanente, ces nuits perturbées. J'ai perdu mes cheveux, mes sourcils, j'ai dû subir une restructuration dentaire alors que j'étais en pleine forme. J'organisais un festival, je sortais beaucoup. J'étais faite pour vivre longtemps, ma mère est morte à 95 ans, j'en ai 75, on me dit que c'est l'âge mais ce n'est pas la vérité. J'étais vivante, je suis un mort-vivant aujourd'hui".
Question sans réponse
Lucette Fenet-Lasseube estime que la nouvelle formule du Lévothyrox l'a littéralement "bousillée". "C'est un empoisonnement" affirme-t-elle. Sur le plan judiciaire, elle ne se fait pas d'illusion. "C'est l'inconnu et vous sentez cette puissance contre vous. On a aujourd'hui une lueur d'espoir mais c'est comme le Médiator, on a le sentiment qu'ils attendent qu'on soit mort. Ça me dégoûte !".
Les victimes espèrent que cette seconde mise en examen va "secouer le système". Sylvie Chéreau constate en effet que des blocages fondamentaux subsistent sur le plan judiciaire.
On n'arrive pas à savoir ce qu'ils ont modifié dans le médicament. Le noyau est là. Si on arrive à savoir ce qu'ils ont changé, on pourra prouver qu'ils nous ont utilisés comme cobayes.
Sylvie Chéreau, collectif Victimes Lévothyrox Occitanie
En attendant, Sylvie Chéreau prend un traitement pour des troubles de la mémoire handicapant, "un traitement pour la maladie d'Alzheimer alors que j'ai 50 ans". "Je ne peux plus lire un livre, moi qui en lisait trois à la fois... Je ne me souviens pas de l'histoire".
Les victimes espèrent donc que les analyses du médicament réclamées à la justice par leur avocat, Maître Lévy, vont être effectuées et leur résultat rendu public. Elles veulent savoir, plus que tout, ce qu'on leur a administré. On leur doit la vérité, estiment-elles. La justice ira-t-elle au bout ? Dans quel délai ?
Dans un autre volet, au civil, la Cour de cassation a rejeté en mars le pourvoi de Merck condamné en 2020 à indemniser plus de 3.300 personnes ayant souffert d'effets secondaires à la suite du changement de formule.