Lundi, à Toulouse, des élèves vont pouvoir débattre avec les auteurs sélectionnés pour le prix Goncourt des lycéens. Trois d'entre eux, Ruben Barrouk, Jean-Noël Orengo et Etienne Kern évoquent ce qu'ils attendent de cette rencontre.
Le Prix Goncourt des Lycéens permet à près de 2 000 lycéens, issus de 53 lycées en France et 3 lycées français à l'International (Jordanie, Canada et Etats-Unis) de se plonger dans une lecture passionnée et de faire entendre leur voix pour élire leur lauréat, parmi les 14 auteurs de la sélection.
Durant plus deux mois, ils vont lire et étudier l’ensemble des ouvrages. Pour nourrir leur réflexion, ils ont l’opportunité d’échanger et de débattre en présentiel avec les auteurs en lice lors des rencontres organisées par la Fnac, entre le 7 et 17 octobre dans 6 villes de France à commencer par Toulouse ce lundi.
Ruben Barrouk, Jean-Noël Orengo et Etienne Kern, trois des auteurs sélectionnés évoquent ce qu'ils attendent de cette rencontre.
Ruben Barrouk : "Une rencontre assez fascinante"
Ruben Barrouk, 27 ans, est le plus jeune prétendant au Goncourt. Dans "Tout le bruit du Guéliz" (Editions Albin Michel), son premier roman, il raconte l'histoire de sa grand-mère, Paulette, l'une des dernières représentantes de la communauté juive de Marrakech. L'auteur n'y a plus mis les pieds depuis dix ans et il y retourne avec sa mère car Paulette est inquiète, elle entend un bruit. "Ce bruit gâche ses nuits, ses jours, sa vie et pourtant c'est le bruit de la paix, un bruit qui veut qu'on l'écoute," explique Ruben Barrouk.
Un appel nécessaire à l'union entre les peuples. Comme une résistance à l'oubli, à cette époque de la cohabitation pacifique entre juifs et musulmans il y a 60 ans. Puis Israël a bombardé l'Egypte et tous les Juifs, ou presque, ont quitté le Maroc, sauf Paulette. "Rien n'a succédé à la paix au Maroc. Seulement le vide, pas la guerre."
Mais cette ode à la paix, à la fraternité, résonne implacablement face aux évènements actuellement au Proche-orient. "J'ai écrit ce livre avant le 7 octobre. C'est un appel à la paix. Un mot hébreu indique: "souviens-toi que tout ça a été possible un jour". Aujourd'hui, pourtant, la paix nous semble extrêmement lointaine".
J’ai écrit un livre sur la paix en espérant qu'il arrive entre les mains de ceux qui y croient encore.
Ruben Barrouk
À Toulouse, Ruben Barrouk va rencontrer une délégation de lycéens. "Pour moi, c'est une rencontre assez fascinante. C'est beaucoup d'émotion. Je veux leur parler de ma grand-mère et qu'ils me parlent de leur grand-mère. Beaucoup de choses se transmettent par les mots, les gestes, les traditions. C'est un bel héritage.
Puis je leur parlerais d'histoire et de paix. J'aimerais qu'ils comprennent que la paix a existé et que c'est aussi à eux, malheureusement et j'en suis désolé pour eux, d'accepter à un moment que ce monde-là nous a été confisqué par la violence et qu'ils ont en eux les clés pour porter le message, celui de choisir cette paix que j'essaie d'amener entre leurs mains."
Jean-Noël Orengo : "Toujours conserver l'esprit critique"
Dans "Vous êtes l'amour malheureux du Führer", (Editions Grasset), Jean-Noël Orengo évoque un des plus grands mensonges de l'Histoire. Architecte favori d'Hitler et Ministre de l'armement et de la production du Reich, "Albert Speer a survécu à la guerre et d'une certaine manière, on peut affirmer qu'il a survécu à sa propre histoire où il aurait dû disparaître plusieurs fois."
Condamné à 20 ans de détention pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à la sortie de la seconde guerre mondiale, il est devenu une star des historiens et des médias à sa sortie de prison, un objet d'étude incomparable aux yeux du monde. "Il a provoqué la compassion de nombreuses personnes dont certaines furent les victimes du régime national-socialiste."
Au fil des pages, le lecteur ressent comme un malaise. Comment cet homme a-t-il pu devenir une star ?
"C'est un homme qui a écrit le roman de lui-même à travers ses mémoires, une autofiction. Il a quand même menti à Nuremberg, prétendant qu'il ne savait pas pour la solution finale. C'était un homme d'une ambiguïté prodigieuse".
Fake news
Albert Speer est un personnage très actuel. "Où commencent où s'arrêtent les fake news ? Toute cette déstabilisation de la notion de vérité. C'est nous qui fabriquons ces gens-là, qui leur donnons du crédit. On peut tomber sur un menteur dont l'argumentation a toutes les apparences de la vérité, mais aussi du conflit moral et c'est le cas de Speer," explique l'auteur.
"Aujourd’hui, je vois comment on peut devenir une star avec des milliers de followers, vous avez besoin de vos likes, vous vous mettez en scène. Vous vous construisez un personnage. Speer a anticipé tout cela."
Il faut sans cesse s'interroger. Le point d'interrogation est quelque chose de fascinant. Les réponses, elles, sont toujours provisoires, elles ne sont jamais définitives. Il faut garder l'esprit critique et rester libre.
Jean-Noël Orengo
Qu'attend Jean-Noël Orengo de sa rencontre avec les lycéens ?
"Je ne veux pas anticiper mais ce sont des questions qui les passionnent parce que c'est une génération qui est née avec ça. Moi, je ressens beaucoup d'espoir. Je pense que la jeunesse est beaucoup moins soumise à ces choses-là. Je suis très impatient et j'espère être à la hauteur de ce rendez-vous avec eux.
Je vais les alerter sur le fait de toujours conserver l'esprit critique, de sans cesse s'interroger. Le point d'interrogation est quelque chose de fascinant. Les réponses, elles, sont toujours provisoires, elles ne sont jamais définitives. Il faut rester libre."
Etienne Kern, de juré à auteur au Goncourt des lycéens
Singulier destin que celui d’Émile Coué, obscur pharmacien français à Troyes devenu célébrité mondiale, tour à tour adulé et moqué. "La vie meilleure" d'Etienne Kern (Editions Gallimard) retrace l’histoire de ce précurseur du développement personnel qui, au début du XXᵉ siècle, pensait avoir découvert les clés de la santé et du bonheur.
" Il y a un homme derrière la méthode Coué. J’ai longtemps ignoré que c'était un nom propre, ce mot bizarre : Coué. L'histoire de cet Emile et je me suis pris de tendresse pour sa démarche généreuse, altruiste pour nous aider à aller mieux.
Finalement, l'histoire d'Emile Coué, c'est celle d'un homme qui essaie de faire quelque chose pour soulager toutes les détresses de ses semblables," explique Etienne Kern.
Professeur d'optimisme
Sa méthode, l'autosuggestion qui peut contribuer à la guérison: " il faut se penser mieux que nous sommes." Emile Coué est un professeur d'optimisme. Sa méthode ? "Une joie qu'on invente." Le fameux mantra : "Je vais bien, tout va bien."
Les adeptes affluent, il fait le tour du monde, la Une du New York Times lors de son arrivée aux Etats-Unis en 1926. Il écrit des livres à succès. Cela n'empêche pas les doutes, les blessures : son père le traite de charlatan, il n'aura pas d'enfant avec sa femme bien-aimée.
L'optimisme suppose beaucoup de courage dans le monde d'aujourd’hui.
Etienne Kern
" L'optimisme suppose beaucoup de courage dans le monde d'aujourd’hui. Il faut être courageux pour réussir à rester joyeux quand les choses vont mal. C'est un peu ce qu'Emile Coué essayait de nous apprendre à faire et je suis convaincu que c'est le rôle des livres.
Je suis sûr que les lycéens vont tirer beaucoup de cette aventure du Goncourt, de ces lectures à haute dose, de ces débats, de cette passion autour des livres, ça peut les accompagner vers une sorte de joie et je crois que c'est la chose la plus précieuse."
Il y a 25 ans, il participe au Goncourt des lycéens
Lundi, la rencontre avec les lycéens va lui rappeler de très bons souvenirs. "Je suis extrêmement heureux. Il y a 25 ans, lorsque j'étais moi-même en 1ère, à Strasbourg, ma classe a participé au Goncourt des lycéens. Ma prof de Français nous avait encouragés à envoyer une lettre aux auteurs de la sélection.
À l’époque, j'avais adoré un livre : "La demande" de Michèle Desbordes. Je lui ai écrit et elle m'a répondu. Je suis allé plusieurs fois chez elle et elle m'a encouragé à écrire. Ces paroles encourageantes ont vraiment été libératrices.
Lorsque l'on est professeur de lettres comme moi, on se sent encore plus illégitime pour écrire. On a un syndrome d'imposture encore plus fort parce que l'on passe notre temps avec des vrais livres. Pourquoi en ajouter de nouveaux ?
Ma rencontre avec Michèle Desbordes, je la dois au Goncourt des lycéens. C'est quelque chose de symbolique, de magique. Pour moi, c'est très fort."
Les 14 romans sélectionnés pour le prix Goncourt des lycéens 2024:
Ruben BARROUK, Tout le bruit du Guéliz (Albin Michel)
Thomas CLERC, Paris Musée du XXIe siècle (Les éditions de Minuit)
Sandrine COLLETTE, Madelaine avant l'aube (JC Lattès)
Kamel DAOUD, Houris (Gallimard)
Hélène GAUDY, Archipels (L'Olivier)
Philippe JAENADA, La désinvolture est une bien belle chose (Mialet-Barrault)
Maylis de KERANGAL, Jour de ressac (Verticales)
Étienne KERN, La vie meilleure (Gallimard)
Emmanuelle LAMBERT, Aucun respect (Stock)
Rebecca LIGHIERI, Le Club des enfants perdus (P.O.L)
Thibault de MONTAIGU, Coeur (Albin Michel)
Olivier NOREK, Les guerriers de l'hiver (Michel Lafon)
Jean-Noël ORENGO, "Vous êtes l'amour malheureux du Führer" (Grasset)
Abdellah TAÏA, Le Bastion des larmes (Julliard)
Le lauréat sera désigné le 28 novembre.