Ce n'est pas encore le buzz fait par l'Orchestre National de France avec le Boléro de Ravel, mais l'Orchestre national du Capitole de Toulouse a lui aussi partagé sa vidéo de confinement. Une version de la Marche Hongroise de Berlioz à l'image de la formation : joyeuse, conviviale et toujours pro.
Hector Berlioz disait avoir écrit la Marche Hongroise tirée de la Damnation de Faust en une nuit. Il a fallu bien plus de temps aux musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse pour enregistrer séparément, assembler les vidéos et pouvoir diffuser la version finale. Une prouesse technique, une aventure humaine et musicale où se glissent des traits d'humour et une joie communicative.
Les musiciens en Petite Vadrouille
Une semaine avant le début du confinement, les musiciens toulousains se sont retrouvés privés de pupitre. Très rapidement, l'idée de ne plus rien partager entre eux et avec leur public est devenue insupportable. "Nous avons échangé au sein du comité artistique. Il fallait continuer à faire vivre l'orchestre, raconte Jean-Baptiste Jourdin, violoniste. On a d’abord sondé les collègues et nous avons eu beacoup de retour positifs." Une cinquantaine de musiciens sur les 125 que compte la formation sont partants. Chacun va se filmer et s'enregistrer avec un simple smartphone. Certains repensent à Louis de Funès, chef d'orchestre de la même Marche Hongroise. Pour eux, pas de Grande Vadrouille, mais de l'authenticité : "Tout ce que vous entendez dans la vidéo, c'est le son que chacun a enregistré. Ce n'est pas le cas pour d'autres enregistrements que j'ai entendu, même s'ils sont très beaux. Là, nous avons tout fait."
De Rotterdam à Montpellier en passant par Paris et la Serbie, d'autres formations classiques ont publié des versions de confinement.
L'évidence de la Marche Hongroise.
C'est une oeuvre que l'on joue beaucoup. Cette musique nous sert pour les rappels lors de nos concerts.
Dès le départ, Jean-Baptiste Jourdin propose la Marche Hongroise tirée de la Damnation de Faust d'Hector Berlioz. "C'est exactement les mêmes orchestrations que d'habitude. Mais nous avons pris la partie finale, à partir du crescendo". L'orchestre l'a souvent jouée -notamment il y a quelques année à Vienne où elle a été créée- mais il l'a peu enregistrée.
Finalement c'est la version de l'orchestre de Paris dirigé par Tugan Sokhiev qui servira de support à chaque musicien. Pour David Minetti, clarinetiste, ce choix sonne comme une évidence : "La Damnation de Faust est une musique française et l’orchestre du Capitole est son ambassadeur partout dans le monde. On l’a beaucoup jouée avec Tugan. C'est une oeuvre qui ne met pas en valeur un soliste mais l'ensemble de l'orchestre. C'était très important pour nous. "
Et ça tombe bien, il y a une soixantaine de parties dans cette pièce pour une cinquantaine de musiciens qui participent à cette expérience. Juste les trompettistes ont fait parfois 2 ou 3 parties. Chaque musicien a mis son casque sur les oreilles, son instrument dans les mains. Clap de début pour synchroniser, mais pas de chef d'orchestre pour guider.
Une oeuvre à découvrir ci dessous.
L'ombre de Tugan Sokhiev
Jean-Baptiste Jourdin précise : "on voulait que notre chef Tugan Sokhiev soit là. On a essayé de le convaincre. On lui a même envoyé des extraits. Connaissant le potentiel de ses musiciens en temps normal (rires) il a préféré nous laisser agir seuls." Il faut dire que le chef est confiné à Moscou où il se trouvait pour répéter avec l'orchestre du Bolchoï pour le festival franco-russe qui devait avoir lieu à Toulouse. Il a soutenu la démarche mais n'y a pas participé. En tous cas pas directement car c'est bien la Marche Hongroise sous sa direction qui a servi de support pour les musiciens, mais enregistrée avec l'orchestre de Paris. Son chef d'orchestre éloigné, le confinement n'arrête pas l'humour sur le groupe WhatsApp des musiciens du Capitole. Avec cette conclusion :
Si le chef ne vient pas, on met De Funès!
Louis de Funès, le joker humoristique
Dans la Grande Vadrouille, c'est De Funès qui dirige le même morceau. Petit clin d'oeil : on l'entend à la fin de la vidéo publié par l'orchestre. "C'était pas mauvais, c'était très mauvais! Alors reprenons " conclut la vidéo."On s'est dit qu'à partir sur une oeuvre française, autant aller jusqu'au bout et être un peu franchouillards". Jean-Baptiste Jourdin avait donné des consignes pour l'enregistrement du son, mais aucune pour l'image.
C'est ainsi que l'on retrouve le tromboniste sur le trône, le joueur de hautbois avec un collier de rouleaux de papier toilette, encore du papier qui glisse sur les cordes, le gros chien qui pose devant la grosse caisse... Certains sont en tenue d'apparat, d'autres se déguisent ou sont sur le registre confinement à la maison. Les enfants dansent et participent à la fête.
Claire Pélissier qui joue du violon alto et qui a fait office de régisseur pour cette expérience reconnaît bien là son orchestre : "On a un telle envie d’être ensemble, dans la diversité, dans l’humour. C’est vraiment particulier à Toulouse. L’orchestre s’est beaucoup renouvelé, il y a énormément de jeunes. Ca fait 27 ans que j'y suis. Je suis fière de cet orchestre, fière d'un tel enthousiasme. "
"Je n'avais jamais fait de montage et de mixage"
De quoi faire oublier la complexité de la tache, des heures et des heures passées à faire en sorte que le résultat soit bon. "Quand on s’entend tout seul alors que d'habitude on est avec tous les musiciens, on se dit que c’est vraiment pas terrible. On a fait plusieurs prises, mais assembler plusieurs instruments à cordes c’est très compliqué. Ce n'est pas le même résultat que lorsque les cordes sont ensemble à l'enregistrement. Il a fallu rassurer les musiciens. Nous avions peur de ce que ça allait donner." Comme ses collègues, Claire Pélissier a été rassurée.C'est Jean-Baptiste Jourdin et deux autres musiciens qui ont fait des miracles : "Nous avons séparé le son et l'image. Il n'y a eu aucun doublage. Tous les sons enregistrés ont été montés avec un logiciel, le son normalisé, étalonné, synchronisé. Ensuite on a refait l'équilibre de l’orchestre car chaque instrument n'a pas le même niveau sonore. Un peu de réverbe et il ne restait plus qu'à resynchroniser l'image sur le son."
Le résultat est plus que que probant. Il a redonné de la joie à l'orchestre confiné et à tous ceux qui ont partagé ce moment. Pour l'heure, pas d'autre projet en vue. Les artistes continuent de s'entrainer chez eux, à l'abri des caméras, afin d'être prêts pour le jour J. "Ce sera un tel plaisir de tous nous retrouver, clame David Minetti. En attendant, je retravaille mes bases, mes gammes, mes arpèges... Le jour où l’on reprendra, je serai encore plus en forme que d’habitude!"
L'Orchestre national du Capitole de Toulouse, comme un hymne à la joie d'être ensemble.