Les restaurateurs attendent toujours une date définitive de réouverture. Mais ils savent d’ores et déjà qu’ils vont manquer de bras. Et le redémarrage s’annonce compliqué.
La restauration est un secteur traditionnellement en tension avec à la carte plus d’offres d’emplois que de profils pouvant y répondre. Mais pour cette reprise d’activité post-confinement, la situation sera plus marquée encore, en salle comme en cuisine.
Benjamin Serra sort à peine d’une visioconférence avec des élus qui souhaitaient s’enquérir de la situation. Ce patron de 5 restaurants à Toulouse et Biarritz ne mâche pas ses mots : « ça va être encore plus compliqué que d’habitude ».
Actuellement, nous avons trois-cents offres à pourvoir à Pôle Emploi en Haute-Garonne
« Actuellement, nous avons trois-cents offres à pourvoir à Pôle Emploi en Haute-Garonne » précise Thomas Fantini. Et le vice-président du Médef Haute-Garonne de rajouter : « 20% des professionnels de nos métiers inscrits à ce même organisme ont déjà changer d’activité »
Quitter la profession pour retrouver une vie familiale
« Déjà que nous souffrons traditionnellement de pénurie de serveurs et de cuisiniers, ça va être très tendu » confirme Guy Pressenda. « En plus tout ce personnel a connu une vie familiale, avec une partie de son salaire versé. Certains ont changé de métier ou ne veulent plus reprendre le travail en restauration » assure le président général de l’Umih Midi-Pyrénées.
« C’est humain, nos salariés qui sortent d’une année sabbatique vont aussi avoir envie d’aller prendre l’air, une semaine de congés à la plage par exemple, comme tout le monde. Donc il ne va pas falloir s’attendre forcément à avoir des gens heureux de reprendre à tout prix » expose sans détours Benjamin Serra.
Beaucoup d'employés étrangers repartis
« Ensuite, une grande part de notre masse salariale concerne des employés étrangers, d’Afrique ou d’Amérique latine » poursuit le vice-président Commerces de la CPME 31. Les mexicains, argentins ou colombiens qui travaillaient chez moi par exemple sont rentrés chez eux. Ils ont lâché leurs appartements ici et n’ont pas forcément l’envie ou les moyens de reprendre un billet d’avion (s’il y en a un) à 1500 euros pour revenir ».
Le secteur perdrait donc ainsi près de 15% de sa main d’œuvre selon lui. « Certains patrons eux-mêmes vont changer de métier, soit pour des raisons économiques, soit pour des raisons familiales comme je vous l’ai déjà indiqué » précise Guy Pressenda. Et le responsable de l’Umih Midi-Pyrénées de redouter à minima 25% de fermeture d’établissements quand il faudra commencer à rembourser les Prêts Garantis par l’Etat.
Les jobs étudiants ne compenseront pas cet été
Les restaurateurs s’attendent quand même à recevoir plus de candidatures spontanées de la part d’étudiants en besoin de revenus. « Une main d’œuvre certes moins qualifiée mais souple et qui apprend vite » tempère Benjamin Serra.
En revanche Guy Pressenda, lui, n’attends pas de renforts, dans l'immédiat, venus des Centres de Formations d'Apprentis ou des lycées hôteliers : « les formations ne sont pas terminées ».
Et pour cause le cursus a été largement impacté par le Covid. « Beaucoup d’apprentis n’ont pas trouvé d’entreprises et n’ont donc pas acquis la technique » rappelle Thomas Fantini, également vice-président du CFA de Blagnac.
« Certains partent sur d’autres métiers parce qu’ils ne voient pas le bout. Une désaffectation de nos métiers s’amorce. Dans les deux, trois ans qui viennent, on va manquer de compétences si on ne réagit pas rapidement » se désole ce restaurateur patron de plusieurs établissements.
Une plateforme d'annonces
Rétablir le lien avec ces organismes de formations et suivre les chefs tout au long de leur carrière, c’est justement ce que veulent les créateurs toulousains de la plateforme « Jobs & Chefs ». « Notre objectif est d’arriver à les séduire dès le début de leur carrière et de leur donner des perspectives » explique Clément Gallais co-fondateur du site avec sa sœur Hélène.
Lui-même chef, il reconnaît le challenge d’avoir lancé maintenant ce site qui met en relation employeurs et employés mais défend un métier-passion. « Je suis moi-même cuisinier. Et on y revient souvent. « Le jus » comme on l’appelle, c’est quelque chose qui nous manque rapidement » avoue celui qui a notamment œuvré aux côtés de Michel Sarran ou Marc Veyrat.
On va tous chercher en même temps
Autre particularité en cette deuxième année de Covid où c’est l’Etat qui donnera le top départ au lancement de la saison estivale : « on va tous chercher en même temps » s’inquiète Benjamin Serra. « On va se retrouver avec des candidats très exigeants sur les salaires mais aussi sur leurs conditions de travail, le soir ou le week-end notamment » reconnaît le représentant de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises.
Dernier facteur à prendre en compte selon Benjamin Serra, « à Toulouse, ce sera tous les jours samedi les deux premiers mois ! On va afficher « complet » non-stop. On n’aura pas de temps ni pour le repos, ni pour la formation qui se fait souvent en travaillant en conditions réelles ».
Rien que sur la côte languedocienne, il manquait l’an dernier trois mille saisonniers. Alors cette année…
« Rien que sur la côte languedocienne, il manquait l’an dernier trois mille saisonniers. Alors cette année… soupire Guy Pressenda. Même si les restrictions sanitaires sont levées, les patrons ne pourront pas travailler à 100% faute de personnel suffisant » prévient l'élu de l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie.
De son côté, « Jobs & Chefs » revendique 230 utilisateurs et s’adosse à un groupe Facebook de 15000 abonnés, restaurateurs ou cuisiniers. « Nous allons développer la plateforme à l’international et en créer une autre pour les serveurs, sommeliers et barmen » annonce Clément Gallais.
Revaloriser les métiers pour contrer la désaffection
« Nous avons monté un groupe de travail avec Pôle Emploi, la Métropole, la Mission Locale et l’Umih, pour revaloriser les métiers » annonce Thomas Fantini. « On est de plus en plus en plus sollicité par des restaurateurs qui ont peur pour leur reprise. A terme on risque de ne plus avoir assez d’équipes » prévient le vice-président du Medef 31.
« Dans l’immédiat, il faut qu’on s’adapte », reconnaît Benjamin Serra. « Nous, on a fait des cartes plus simples. Que chacun fasse ce qu’il peut en espérant que les clients soient tolérants et n’attendent pas forcément le même standard qu’à l’habitude pour la reprise. Mais ce sera une joyeuse pagaille, parce qu’on sera tous contents d’être là » préfère positiver le restaurateur.