Rugby Vintage : 1971, apartheid et bourre-pifs

Le Toulousain Roger Bourgarel fut, en 1971, le premier joueur de couleur noire « autorisé » par le gouvernement sud-africain à jouer contre les Springboks. Résultat: une tournée du XV de France qui rentrera dans l’Histoire du sport mondial.

Cela paraît totalement impensable aujourd’hui mais c’est bien la triste réalité du système ségrégationniste mis en place en Afrique du Sud entre 1948 et 1991 : l’apartheid. Un terme qui vient du français "à part" et signifie "séparation"  dans la langue des Afrikaners.  "C’est là que j’ai pris conscience d’être noir. Avant, je ne m’étais jamais intéressé à cela, ça ne m’était jamais apparu comme quelque chose d’important. Mais là… " explique Roger Bourgarel (1), alors ailier au Stade Toulousain et confronté au racisme ordinaire de ce pays qu’il découvre. Classée par catégorie (blancs, indiens, métis et noirs) la population est très largement différenciée : les villes sont réservées aux Blancs, les autres communautés sont confinées dans des ghettos.
 

Bus et toilettes pour blancs et noirs


"Il y avait des bus pour les blancs, des bus pour les noirs….même chose pour les toilettes » raconte le Catalan Jo Maso qui faisait partie d’une importante colonie de joueurs de l’actuelle région Occitanie (2). « Que Roger Bourgarel puisse venir avec le XV de France montrer que nous, nous étions capables de partager avec qui que ce soit, hommes de couleur noire ou pas, je pense que cela a un peu débloqué l’état d’esprit ». C’est qu’à cette époque-là, deux positions s’affrontent quant aux moyens de lutter contre la politique d’apartheid. Certains sont favorables à un boycott pur et dur du sport sud-africain, d’autres comme le président de la FFR d’alors, Albert Ferrasse, pensent qu’il faut au contraire faire évoluer la société sud-africaine en imposant des joueurs de couleur.

J’ai reçu des menaces de mort (Roger Bourgarel)

En 1971, Ferrasse exige d’ailleurs la sélection de Bourgarel puis plus tard encourage celle d’un certain Serge Blanco qui disputera le premier match de son éblouissante carrière en 1980 en Afrique du Sud. « Avant de partir, j’ai reçu des menaces de mort de la part d’organisations anti-apartheid qui me traitaient de collabo, et de la part de racistes qui ne voulaient pas de moi en équipe de France » résume Roger Bourgarel. « Il est devenu le premier sportif de couleur noire à se rendre en Afrique du Sud, reprend Maso. C’était un évènement extraordinaire ! On allait à la rencontre des noirs, Roger était devenu leur star !  ».

Sur le terrain,  l’accueil fut du genre « musclé ». Le 29 mai 1971, contre la sélection du Transvaal à Johannesburg, Bourgarel reçut un méchant coup de crampon qui lui valut 7 points de suture à la tête. Il refusa de sortir et marqua même un magnifique essai.
 

Bourgarel face au monstre

Jo Maso se souvient surtout du premier test contre les Springboks : « J’ai encore cette image de Frik Du Preez qui s’est lancé sur 30 mètres, directement sur Roger. Du Preez représentait les avants Afrikaners, purs et durs avec son mètre 90 et ses 110 kilos face à Roger qui en faisait 70…Mais il lui a sauté au cou et l’a amené en touche ! Et là, tous les noirs, qui étaient parqués dans une tribune à part, ont crié :  Bourgarel ! Bourgarel !  C’était un moment d’émotion extraordinaire… »  Un cri de joie qui vient d’une portion de tribune de 10m sur 15 où sont entassés, debouts et gardés par la police, quelques centaines de noirs sud-africains.

La France s’incline 2 essais à 1 mais une équipe naît. Dans l’adversité. Les Bleus sont invaincus lors des rencontres contre les provinces mais les affrontements sont âpres et ils y laissent des plumes : le joueur de Beaumont de Lomagne, Max Barrau est éliminé dès le premier match. Le Toulousain Pierre Villepreux est hospitalisé avec 4 fractures des apophyses. Jo Maso, lui, y laissera la clavicule à l’occasion du second test sur un plaquage à retardement. Quelques minutes plus tard, dans un Kings Park de Durban en, ébullition, aura lieu la plus violente bagarre de l’Histoire du rugby international.

Un combat de rue

Un vrai combat de rue qui démarre après un plaquage dur sur Bourgarel. Le centre français Claude Dourthe met le feu aux poudres en s’essuyant les crampons sur l’arrière Springbok. S’ensuit une première bagarre dans laquelle les Tricolores, rodés aux joutes du viril championnat de France, ne vont pas laisser leur part aux chiens. Rebelote quelques minutes plus tard avant que les deux capitaines, Dauga et Marais, n’engagent une discussion sur le fil du rasoir : « Fini, Benoît ? ». Et Dauga dans un anglais approximatif : « Comme vous voulez. Si vous voulez vous battre, on se bat. Si vous voulez jouer, on joue ». Marais choisit l’option de l’armistice et les belligérants se quittèrent sur un match nul ( 8 à 8 ) qui valait une victoire face à ceux qui étaient considérés comme la meilleure équipe du monde avec les All-Blacks.

Très peu de monde a vu les images de ces deux tests que vous pourrez retrouver ci-dessous avec le témoignage de Jo Maso. Le pugilat du match de Durban ferait, à coup sûr, l’ouverture des journaux télévisés et vaudraient aux protagonistes des années cumulées de suspension…Il n’en fut rien.  A cette époque, le rugby lavait son linge sale en famille….

De 1984 à 1992, les Springboks seront bannis du rugby international. Aujourd’hui, ils en sont les champions du monde avec un titre conquis l’automne dernier au Japon sous le commandement d’un enfant des townships de Port-Elizabeth :  Siya Kolisi, le capitaine de couleur noire des Springboks. Roger Bourgarel lui, ne nourrit qu’un seul regret : n’avoir jamais rencontré Nelson Mandela.


(1) Sur le site de la LNR en 2009
(2) Outre Bourgarel et Maso, étaient présents lors de cette tournée 1971 en Afrique du Sud : Bérot, Villepreux et Skréla ( Stade Toulousain), Barrau ( Beaumont de Lomagne), Estève et Cantoni ( Béziers), Claude Spanghero ( Narbonne)

Dans le cadre de l’émission « Rugby Magazine » le samedi à 12h05 sur France 3 Occitanie, la rubrique « Rugby Vintage » propose de revenir sur des grands évènements du ballon ovale. En 2017, Marc Tamon et Frédéric Savinaud ont recueilli le témoignage de Jo Maso, alors ¾ centre du XV de France   
 
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