Ils sont nés et ont grandi en Nouvelle-Calédonie et vivent à Toulouse à 20 000 km du Caillou en proie à de violentes émeutes qui ont causé la mort de 4 personnes dont un gendarme. Sous couvert d'anonymat, par peur des représailles sur leur famille, ils ont accepté de nous livrer leur ressenti, médusés par ce que traverse le Caillou et ses habitants.
"Tous les matins, je me lève très tôt pour voir ce qui se passe, lire les articles Nouvelle-Calédonie 1ere, regarder les vidéos sur les réseaux sociaux, prendre des nouvelles de ma famille et de mes proches", raconte Cédric *. Âgé de 21 ans, ce Calédonien, étudiant en audiovisuel, est arrivé il y a deux ans à Toulouse en Haute-Garonne où il vit avec sa petite amie, elle aussi Calédonienne.
Tous deux suivent à plus de 18 000 km de distance les violentes émeutes qui ont éclaté sur le Caillou depuis ce lundi 13 mai 2024 où l'état d'urgence sera décrété à 20h (heure de Paris, 5h à Nouméa).
Violences en Nouvelle-Calédonie : Emmanuel Macron décrète l'état d'urgence sur le territoire https://t.co/Nfy9KOLijA
— NC La 1ère (@ncla1ere) May 15, 2024
Le bilan est déjà lourd : quatre personnes sont mortes, dont un gendarme et un "émeutier", tués par balle. 130 personnes ont été blessées en trois jours. De nombreuses entreprises, commerces, installations sportives, églises, écoles ont été incendiés, des magasins pillés. "C'est compliqué à vivre si loin, de voir les endroits où l'on a grandi à Nouméa, brûlés, détruits. Je m'inquiète pour mes proches", lâche l'étudiant. D'autant que depuis quelques heures, des vidéos circulent sur Instagram montrant des "émeutiers" entrer dans les maisons individuelles, violentant leurs occupants. "J'espère que ça n'arrivera pas à ma famille ou à l'un de mes amis", s'angoisse le jeune homme en évoquant ses vidéos surréalistes.
Soutenir ses proches
Sa mère est aide-soignante et vit dans un quartier de l'est de Nouméa, la capitale, en proie à de nombreux incendies et affrontements. "Elle est toute seule et s'inquiète pour ses patients qu'elle ne peut plus aller soigner à domicile. Des cliniques ont été détruites, les infirmières ne peuvent plus se déplacer chez les malades. Cela lui fait mal au cœur." Son père habite aussi un peu plus loin dans l'agglomération du Grand Nouméa, au Mont-Dore, en proie à de nombreuses exactions. "Il a rejoint une milice pour défendre son quartier, sa femme et sa famille. Les gendarmes sont surbookés, il sait qu'ils ne peuvent pas défendre tout le monde."
Des barricades ont été dressées à l'entrée de nombreux quartiers de Nouméa et du Grand-Nouméa où les habitants se relaient jour et nuit, souvent armés pour éviter les pillages et les incendies. "Toute ma vie, j'ai vécu avec le vivre-ensemble, les amis avec qui j'ai grandi sont dans un autre camp.
"Cela me fait mal au cœur de voir que le pays entier est divisé à ce point-là."
Cédric, étudiant en audiovisuel
"Et c'est dur de vivre ça à 20 000 km. Mon père m'avait parlé un peu des événements de 1987 (NDRL : la période dite des événements a duré entre 1984 et 1988) où c'était une guerre civile assez similaire. Jamais je n'avais imaginé que cela pouvait arriver ! "
Loin de la famille depuis 2 ans
Cédric n'a pas revu sa famille depuis deux ans. Il a du mal à imaginer l'avenir à court terme." J'ai des amis qui sont en classe prépa à Nouméa et qui doivent venir passer les concours d'entrée aux grandes écoles en juin. Je ne sais pas s'ils pourront prendre l'avion." Tous les vols commerciaux ont, pour l'instant, été suspendus. "L'ancienne vie paradisiaque, c'est fini ! ajoute-t-il médusé. Ça ne donne plus envie. La paix a pu se construire après plusieurs années après les événements, comme me l'a dit mon père. J'ai peur qu'elle ne soit à nouveau possible qu'après une guerre et on le voit, les premiers morts arrivent. L'étudiant calédonien a du mal à entrevoir des perspectives économiques pour le Caillou, au regard des nombreux dégâts. "Le pays était déjà lourdement endetté de plusieurs milliards de francs pacifiques. Là, je ne sais pas comment la Nouvelle-Calédonie va se relever de ça économiquement", analyse-t-il.
Continuer ou rentrer ?
Jacqueline*, elle, est étudiante à l'université Paul Sabatier. Cette femme de 40 ans est arrivée en août dernier pour deux ans de formation dans le cadre du dispositif Cadres avenir. "Je veux juste que ça s'arrête !" pleure la jeune femme qui n'a pas pu aller en stage ce mercredi. Épuisée par la tension générée par les émeutes, rongée par l'inquiétude. Jacqueline n'en dort plus. "J'ai du mal à me concentrer. La nuit, on parle avec nos familles et pareil le matin jusqu'à 10 h-11 h." Pour s'offrir un avenir, Jacqueline a laissé ses enfants de 18 et 14 ans à sa famille. Elle réside non loin d'une installation sportive détruite par les flammes il y a 48 heures. "Tous les jeunes du quartier ont entouré la zone pour la défendre hier soir. Quand les émeutiers passaient, ils tiraient à balle réelle !" rapporte-t-elle.
Hier mardi, elle a pu retrouver d'autres Calédoniens basés à Toulouse avec qui elle a pu échanger et retrouver un peu de cet esprit de solidarité si cher à la Nouvelle-Calédonie. "Je pense à tous ceux qui ont perdu leur emploi à cause des destructions, je pense aux blessés, aux pompiers, aux gendarmes, il y a des familles derrière". La jeune femme n'a qu'une envie : celle de rentrer au pays. "On a hâte de retrouver la paix, lâche-t-elle en sanglot. On a toujours été pour la paix !"
*Prénoms d'emprunt