Des militants d'Ultime liberté, une association qui milite pour la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie volontaire, ont fait l'objet de perquisitions ces derniers jours. L'un d'eux a accepté de témoigner.
De nombreux militants de l'association Ultime liberté ont vu leurs domiciles perquisitionnés par les forces de l'ordre le 15 octobre dernier à Toulouse et ailleurs en France. On leur reproche d'être en possession de pentobarbital, un barbiturique interdit en France. Il permet l'aide au suicide dans d'autres pays européens.
Patrice Bernardo, masseur-kinésithérapeute à Toulouse, fait partie des militants dont le domicile a été perquisitionné. L'opération s'est faite pendant ses vacances. Il assume d'avoir eu en sa possession ce barbiturique.
Plus de 100 perquisitions
Cet homme de 75 ans est adhérent d'Ultime liberté et veut voir évoluer la loi sur l'euthanasie en France. Il explique qu'il détenait ce flacon qu'il s'est procuré pour 800 € via internet, pour avoir le choix de mourir dans les conditions qu'il aura lui-même choisies.
Le 15 octobre, plus de cent perquisitions ont été menées par la gendarmerie. Elles ont abouti à la saisie de 130 flacons d'un produit suspecté d'être du pentobarbital.
Une info des autorités américaines
Déclencheur de l'enquête, ouverte fin juillet : la transmission par les autorités américaines d'une liste de Français destinataires de colis pouvant contenir cet anesthésiant, bien connu des partisans du suicide assisté.
Comme Patrice Bernardo, Danielle, qui vit en région parisienne, en a acheté clandestinement deux flacons
sur internet "pour 650 euros", sept mois auparavant. Elle n'est pas malade mais veut pouvoir choisir sa mort en buvant le produit si elle le juge nécessaire: "C'est mon droit, mon corps".
J'ai vu des gens de ma famille partir d'un cancer. Je ne veux pas traîner comme un légume, embêter mes enfants
assure la septuagénaire, qui réclame l'anonymat. "Quand j'avais ces bouteilles, j'étais bien, je n'avais plus cette angoisse de la fin de vie."
Pour une euthanasie légalisée
Patrice Bernardo estime à 120 le nombre des adhérents à Ultime Liberté en Haute-Garonne. Ils seraient 2.700 au plan national.
"Ce sont des personnes au niveau socio-culturel souvent élevé, qui n'ont jamais subi leur vie et ne veulent pas se soumettre à qui que ce soit pour leur mort", affirme sa présidente, Claude Hury.
Pour l'animal, pas pour l'homme
Parmi les gens perquisitionnés, il y avait à la fois des personnes âgées avec des pathologies lourdes et d'autres qui n'étaient pas malades, selon les enquêteurs.
Le pentobarbital, Nembutal de son nom commercial, est utilisé en Belgique et en Suisse. Pays qui, contrairement à la France, ont respectivement légalisé l'euthanasie et le suicide assisté (c'est l'individu qui accomplit le geste mortel, non un médecin).
En France, ce médicament autrefois utilisé comme anesthésiant est interdit pour l'homme depuis 1996. Seuls les vétérinaires peuvent en détenir pour euthanasier les animaux.
L'appel de Chantal Sébire
Un cas de suicide au pentobarbital avait marqué l'opinion en 2008 : celui de Chantal Sébire, quinquagénaire défigurée par une tumeur incurable. Elle avait fait appel au président de la République et médiatisé son combat en vain.
"C'est un barbiturique à action rapide et puissante, qui agit sur le système nerveux central", explique le Dr Christine Tournoud, du centre antipoison de Nancy. "Selon la dose, il provoque une somnolence, le coma et peut entraîner un arrêt respiratoire".
Une forme de désobéissance civile
Principale association pro-euthanasie, l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) "déconseille" l'achat clandestin de pentobarbital. "Ça nous fait un peu peur", dit son président, Jean-Luc Romero: "Il y a un trafic, des gens gagnent de l'argent, ces produits ne sont pas contrôlés. Et n'importe qui peut en demander : on ne se bat pas pour que quelqu'un qui a un chagrin d'amour puisse en avoir".
L'ADMD préfère "accompagner les gens en Belgique et en Suisse". Mais cette solution est plus coûteuse et les personnes n'ont pas alors forcément leurs proches auprès d'elles.
Faire évoluer la loi française
Pour Patrice Bernardo, ces perquisitions médiatisées peuvent avoir un impact positif en contribuant au débat et à l'évolution de la législation.
Les associations se rejoignent sur un point : l'Etat est responsable de la situation en interdisant l'euthanasie. Sujet de débats récurrents, elle contrevient aux règles éthiques établies. La loi Claeys-Leonetti de 2016 autorise l'arrêt des traitements sur un malade en cas "d'obstination déraisonnable" mais proscrit l'euthanasie et le suicide assisté.
Dans deux avis récents, le Conseil d'Etat puis le Comité d'éthique ont jugé que la loi ne devait pas être modifiée, tout en demandant un meilleur accès aux soins palliatifs pour les malades en fin de vie.