Contrairement à Bordeaux ou Rennes, qui ont renoncé à leurs patinoires de plein air, Toulouse maintient celle du Capitole, pourtant énergivore et pas très écolo. Des scientifiques Toulousains, qui s'interrogent sur sa pertinence, en ont calculé le bilan carbone
La patinoire de la place du Capitole, qui s’est installée dans la campagne électorale des municipales, a aussi multiplié les problèmes de fonctionnement ces derniers jours.
Ainsi a-t-elle dû fermer mardi en raison de l’avarie sur l’un de ses moteurs. Faisait-il trop chaud pour cette installation de plein air ? Toujours est-t-il que les températures dépassant les 16 degrés à Toulouse et leurs effets sur ce "réfrigérateur à ciel ouvert" n’ont pas manqué de susciter des railleries sur les réseaux sociaux. Ce tweet de la co-présidente des écologistes de la Métropole, par exemple, la présente sous forme de devinette : s’agit-t-il d’une patinoire ou d’une piscine ? Avec deux indices : « il y a de petites vaguelettes à la surface et ça fait plouf quand on tombe ».
Devinette: que trouve t'on en ce moment place du Capitole à Toulouse? Une patinoire ou une piscine? 2 indices: Il y a de petites vaguelettes à la surface et ça fait plouf quand on tombe pic.twitter.com/eGvrQJi0wi
— Michèle Bleuse (@MicheleBleuse) February 10, 2020
Au-delà des sarcasmes, la patinoire extérieure sous de telles températures, au milieu d’un hiver qui n’en est pas un, ne manque pas d’interroger.
La mairie de Toulouse présente la patinoire de plein air comme une installation aux vertus environnementales
Pour en justifier la présence, la mairie de Toulouse reprend l'argumentation de la société Syberglace, détentrice du marché, et met en avant pour cette patinoire de plein air des vertus…environnementales.
Dans un communiqué de presse il est question du caractère « durable » de cette patinoire du fait de l’ « utilisation du Glycol alimentaire comme liquide de refroidissement (…) un produit à la fois plus respectueux de l’environnement et sans conséquence nocive en cas de fuite ». « Pour compenser l’impact carbone généré par les groupes de froid, ajoute la communication municipale, le prestataire a installé sur les bâtiments de son entreprise des panneaux photovoltaïques, pour compenser les émissions de CO2 de la patinoire ».
Nous avons cherché à connaître l'avis des scientifiques qui, à Toulouse, réfléchissent aux questions des bouleversements écologiques. Nous avons donc sollicité les lumières de l’Atelier d’Ecologie Politique (Atécopol), qui regroupe autour de ce thème des universitaires et des chercheurs.
L’Atécopol nous a aidés à décrypter les fiches techniques des matériels utilisés publiés sur le site de Synerglace. Contactée, l’entreprise a pleinement joué le jeu de la transparence en apportant les précisions demandées. Les données fournies ont permis au physicien Julian Carrey, professeur à l’INSA à Toulouse et chercheur, de faire une estimation du bilan carbone de la patinoire, "information pertinente au vu de l'urgence climatique", précise-t-il, et que nous publions en encadré.
Le bilan carbone de la patinoire du Capitole : entre 6,9 et 10,5 tonnes de CO2
Attention, prévient en préambule ce chercheur, "en se focalisant uniquement sur la consommation électrique, on passe à côté d’une grande partie des impacts, l’électricité ne correspondant qu’à environ 8% des émissions totales”. Ce bilan s'établit entre 6,9 et 10,5 tonnes de CO2 soit, si on le ramène au visiteur, entre 345 g et 525 g de CO2eq/visiteur.A titre de comparaison, indique-t-il, l'empreinte carbone d’un français est actuellement de 30 kgCO2eq/jour et, selon les accords de Paris, ce chiffre devait descendre à 5.5 kgCO2eq/ jour (2 tCO2 / an).
L'impact des gaz à effet de serre pour un tel équipement, rapporté à sa fréquentation, pourrait donc paraître relativement modéré. "Les émissions attribuables à l’usager de la patinoire correspondent à la consommation de 100g de poulet", relativise ainsi Julian Carrey, qui n'est donc pas "hyper-choqué" par ce chiffre. Il l’est par exemple beaucoup plus lorsqu’il apprend que « le lycée Bellevue de Toulouse organise des voyages scolaires comprenant des voyages aériens, ce qui correspond à des émissions de plusieurs centaines de kg de CO2eq par lycéen », mais il propose néanmoins d'élargir le débat.
En effet, en ramenant les émissions de carbone par individu, le "raisonnement est un peu biaisé", explique-t-il. Car l'installation de cette patinoire a été autorisée par la collectivité, et "l’individu ne modifie pas vraiment son empreinte carbone en choisissant d’aller patiner, alors qu’il le fait plus clairement en choisissant de prendre l’avion ou de manger du poulet".
Cette empreinte carbone de la patinoire, il faut donc plutôt à l'attribuer "à la collectivité, et à un choix politique et collectif de société". Avec cette question qui en découle : "souhaitons-nous collectivement que notre métropole induise ces émissions en autorisant une patinoire sur la place du Capitole ?".
Pour le chercheur, ce choix collectif se compare à d'autres choix collectifs. Par exemple à la consommation électrique des guirlandes de Noël. Cette dernière vaut son pesant de 2 tonnes de CO2eq (avec un bilan global qui serait plus lourd en incluant le matériel). Faire venir un musicien de l’autre bout du monde pour un concert à Rio Loco représente plusieurs tonnes de CO2eq. Quant aux écrans de publicité numérique qui fleurissent dans les gares, les rues, et derrière les vitrines des magasins, "chacun d'entre eux a émis pour sa fabrication plusieurs tonnes de CO2eq". "Chaque terrasse chauffée avec des bouteilles de propane émet, au cours de la saison, plusieurs tonnes de CO2", ajoute le physicien. « C'est pour cette raison que la municipalité de Rennes a choisi de les interdire". Et si on "diminuait fortement la consommation de bœuf et de viande dans les écoles primaires (...) on éviterait plusieurs milliers de tonnes de CO2eq à l’échelle de la ville", se prend-t-il à imaginer.
L'urgence climatique nécessite la prise de décisions collectives
Pour Julian Carrey, "à l’heure de l’urgence climatique, il est important de prendre des décisions collectives". "Souhaitons nous avoir des guirlandes de Noël, des patinoires publiques, des musiciens qui viennent de l’autre bout de la Planète, des terrasses chauffées, et de la viande de bœuf toutes les semaines pour nos enfants ?", s'interroge-t-il. « La réponse peut bien entendu être « oui » à certaines de ces questions, en particulier lorsque ces activités apportent de la joie aux gens, mais il faut que les citoyens et les politiques aient conscience que l’on ne pourra pas tout avoir à la fois et continuer comme si de rien n’était »."Le patinage de vitesse ou artistique est un superbe sport, même en amateur, et ça peut être une activité populaire à coût modéré et sans ostentation particulière, lorsqu'il se pratique en patinoire urbaine, fermée, et en saison froide. Mais cette patinoire du Capitole diffère de ça par son côté ostentatoire, branché et au mépris des contraintes terrestres", renchérit le chercheur en biologie des plantes et en agronomie" Etienne Journet, également membre de l'Atécopol.
"Les faits scientifiques ne sont pas pris au sérieux par les décideurs publics"
Quant aux arguments de « compensation carbone » avancés par la mairie au motif de la présence de 2000 m² de panneaux photovoltaïques sur le site de l’entreprise, basée en Alsace, qui installe chaque hiver en France environ 300 patinoires de plein air, ont-ils du sens ? Sans parler des panneaux photovoltaïques eux-mêmes et de leur impact sur l'environnement, le site de Synerglace indique que ces panneaux correspondent à la consommation de 30 patinoires. Contrairement à la mairie, il n'utilise pas le terme de "compensation".Pour le climatologue de Météo-France Roland Séférian, chercheur dans le domaine du cycle carbone, la compensation ainsi présentée est un écran de fumée. "Cet exemple illustre bien que les faits scientifiques ne sont pas pris au sérieux par les décideurs publics", regrette-t-il. "Cela est d’autant plus dommageable qu’il existe pour les décideurs locaux des informations météorologiques et climatiques de première main pouvant servir à guider l’action publique vers des choix de collectivité plus respectueux de l’environnement", conclut-il. Et Julian Carrey d'ajouter que, "pour parler de compensation, il faudrait qu'un panneau photovoltaïque retire du CO2 de l'atmosphère, ce qui n'est bien évidemment pas le cas". "Parler de compensation des émissions, c'est dévoyer le sens des mots pour faire de la communication", assure-t-il.
Bref, prétendre "compenser" serait donc un alibi pour ne rien changer à nos habitudes et continuer à autoriser des patinoires de plein air sous de telles températures.
Renoncer à "11.000 sourires d'enfants et parents" ?
Mais alors que dire d'un prétendu engouement populaire pour cette installation dont l'accès coûte 5 euros les 45 minutes ? Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc estime que se priver d’une telle installation reviendrait à renoncer aussi aux « 11.000 sourires d’enfants et parents qui s’amusent chaque année sur la patinoire du Capitole depuis 5 ans, faute de pouvoir partir en vacances ailleurs ».
"La convivialité est importante, mais elle doit être favorisée en proposant des activités plus en accord avec les engagements et l'urgence de la situation", répond depuis l'Atécopol l'astronome Frédéric Boone, chercheur à l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie. "Alors que les glaces naturelles (glaciers et banquise) sont en train de disparaitre de la surface de la planète du fait du réchauffement climatique, vouloir maintenir de la glace artificielle sur la place du Capitole tout en contribuant, même de façon anecdotique, à ce réchauffement est un choix malheureux, une forme de déni", ajoute-t-il. "Cela fait penser aux canons à neige des stations de ski. Prendre la mesure de la situation c'est lutter contre les causes premières des désastres et s'adapter aux changements déjà en cours. Le patin à glace est une belle activité conviviale mais il y en a d'autres comme le patin à roulette qui sont plus en accord avec la situation."
La question relèverait donc d'un choix politique. De grandes villes françaises comme Bordeaux (après 11 ans de présence sur la place Pey Berland, dès 2016 Alain Juppé a choisi d'y renoncer) ou Rennes (patinoire saisonnière de la place du Parlement abandonnée cet hiver) ont pour leur part choisi de ne pas renouveler l'installation de patinoires extérieures saisonnières jugées nocives pour l’environnement. A Bordeaux, la patinoire saisonnière de Pey Berlan a laissé place à un marché solidaire. Tandis qu'à Rennes, un manège a remplacé la patinoire de la place du Parlement.
Le patin peut aussi se pratiquer... à roulettes
A Toulouse, certains élus suggèrent eux aussi que le patin peut se pratiquer…à roulettes. Cela pourrait être aussi populaire, moins énergivore et éviterait une consommation inutile d'eau.Cette consommation en eau d’une patinoire de plein air de 450 m² approcherait en effet, selon nos informations, sur une période de 15 jours 20.000 litres d’eau. A titre d’exemple, une école consomme 20l/élève/jour. La patinoire de la place du Capitole équivaudrait donc à la consommation en eau de 66 élèves sur 15 jours.
Le plan Climat Air Energie Territorial de Toulouse Métropole prévoit une baisse de 20 % de la consommation énergétique
Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse Métropole, a pourtant fait voter le Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) au mois de juin 2019, lequel prévoit une diminution de 20% de la consommation énergétique et l’adoption d’éco-gestes visant à réduire la consommation d’eau et d’énergie dans les bâtiments. Autoriser une patinoire saisonnière sur la principale place de la ville, au pied de la mairie, va-t-il dans ce sens ?
Estimation des émissions de CO2 attribuables à la patinoire de plein air du Capitole : entre 6,9 et 10,5 tonnes
Les calculs du bilan carbone ont été faits à partir des données fournies par l’entreprise Synerglace, dont il faut saluer la volonté de transparence.La méthodologie a été validée par Damien Arbault, chercheur indépendant et spécialiste en calcul de bilans carbone.
Hypothèses de travail :
· On suppose que la patinoire de 450 m2 reste 15 jours sur la Place du Capitole.
· On suppose aussi que le matériel, à l’exception du groupe froid, n’est utilisé que deux mois dans l’année, et donc pour 4 prestations similaires à Toulouse.
· Pour le groupe froid, qui est loué, on a fait deux hypothèse (une favorable, l’autre défavorable) : i) que le matériel n’est utilisé que pendant deux mois ii) qu’il est utilisé toute l’année. Les fuites de gaz et l’amortissement du groupe froid donnent donc lieu à une fourchette de valeurs.
· On suppose que 20000 personnes patinent.
· On ne prend pas en compte les trajets des usagers, dont on suppose qu’ils ont mutualisé leur trajet avec d’autres activités.
Quatre postes ont été pris en compte et estimés :
► La consommation électrique
La consommation est estimée à 2 kWh/jour/m2, soit 83 W/m2. Dans un hiver plutôt doux, comme maintenant, ce chiffre augmente probablement. Il ne peut probablement pas excéder la puissance maximale délivrée par le groupe froid, qui est de l’ordre de 190 W/m2. On utilise le fait que l’intensité carbone de notre électricité est de 57.1 gCO2/kWh.
https://www.bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-element/categorie/64
► Les fuites du gaz frigorifique
Le groupe contient 60 kg de gaz HFC134a. On prend un taux de fuite annuel de 15%, et on prend en compte le fait que ce gaz contribue 1300 fois plus que le CO2 aux émissions de gaz à effet de serre.
http://bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?prg.htm
http://bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-elemen...
► L’amortissement du matériel
L’entreprise utilise pour la patinoire du matériel dont le cout est d’environ 180 k€, avec une durée d’amortissement comprise entre 3 et 20 ans. On utilise pour estimer les émissions liées à leur fabrication les facteurs monétaires correspondant au type de matériel utilisé (entre 0.6 kgCO2/€ et 1.6 kgCO2/€)
http://www.bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-el...
► Le transport du matériel
Le groupe froid fait un voyage de 480 km (Toulouse-Montpellier AR) et le reste du matériel un voyage de 1660 km (Toulouse-Mulhouse AR) dans un camion 33t. Les émissions associées sont de 1.18 kgCO2eq/ -km.
https://www.bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-element/categorie/104
Le bilan s'établit entre 6,9 et 10,5 tonnes de CO2. Si on le ramène au visiteur on se situe entre 345 g et 525 g de CO2eq/patineur.se