C'est une maison bleue, adossée à une rue de Toulouse (Haute-Garonne). Elle va bientôt être détruite. Mais avant, elle a été transformée en tiers-lieu culturel ouvert à tous. Ce n'est pas un squat mais une belle entente entre des artistes, les riverains et les autorités locales. Une aventure artistique mais aussi humaine, une magie éphémère à visiter gratuitement vendredi 26 avril 2024.
Déjà de l'extérieur, elle a fière allure. Une maison des années trente de 300m2 tente de se dresser au milieu des immeubles.
Sa propriétaire est décédée il y a un an et la bâtisse sera détruite pour un projet immobilier. Grâce au collectif d'artistes Salade Suprème, une soixantaine de personnes lui ont donné des couleurs pour partir dignement. Bienvenue "chez Babayaga", une maison tiers-lieu culturel où se trouve encore la présence de Pierrette, sa propriétaire décédée.
C'était bien chez Pierrette
L'originalité du lieu et de la démarche, c'est évidemment l'art porté dans un quartier et précisément dans une maison. Au 114 rue de Cugnaux à Toulouse, Pierrette y a vécu presque toute sa vie. Elle est décédée l'an dernier, sans héritier. La maison a donc été rachetée par un promoteur qui va y quiller un immeuble.
Juste à côté, coincée elle aussi entre des bâtiments "coupe lumière", il y a Annie. "Pierrette c’est ma voisine depuis toujours. Je suis née dans la maison à côté. Je ne l’ai jamais perdue de vue. C’était quelqu’un de gaie, qui aimait la vie, sortir, aller au théâtre, la musique, les couleurs. Cette maison telle qu’elle est maintenant, je pense que ça lui aurait plu."
Annie n'avait pas mis les pieds dans la maison de sa voisine depuis l'intervention des artistes. "Oh, que c'est beau! Là c'était le salon. On y prenait l'apéro !" Oui c'était bien, c'était chouette chez Pierrette. 17 pièces sur 3 niveaux. De belles hauteurs de plafonds comme on dit dans l'immobilier, un jardin à fort potentiel de 600m2. Un terrain de jeu idéal pour artistes avant que l'immobilier ne reprenne ses droits. Car d'ici quelques mois, cette belle maison des années 30 sera rasée. On ne va pas vous raconter des salades.
Salade Suprème
Depuis le 8 janvier 2024, un collectif d'artiste et designers dénommé "Salade Suprème" donne un coup de peps à une maison grisée, défraîchie par le temps. En tout, ils sont une bonne soixantaine (artistes, voisins et bénévoles) à avoir réalisé cette belle transformation : de l'extérieur coloré à l'intérieur magnifié, place à l'art sous toutes ses formes.
Visite en avant-première. Reportage France 3 Occitanie B. Roux, L. Boffet J. Prudent F. Ratel
Depuis la rue, à pied, vélo, trottinette ou voiture, impossible de la manquer. Elle intrigue, attire, interpelle et donne envie d'en savoir plus. "Tout l’extérieur de la maison a été bien peint, on a tout recouvert, confie Quentin Lhommeau le coordinateur du collectif d'artistes Salade Suprême et lui-même Meubles designer. C’était vraiment ce qu’on voulait présenter. C’est la première fois dans cette rue où l’on est en zone 30 que les gens ralentissent ! On entend les voisins faire notre publicité, présenter le projet pour nous. C’est vraiment créer du lien avec de l’art."
Une véritable œuvre d'art à l'extérieur qui renferme d'autres joyaux à l'intérieur. Sur 3 niveaux plus le grenier, l'éclectisme est de mise. Une immersion totale dans chaque pièce familière à une maison, un dépaysement total tant l'emprise de l'art est forte. Chaque cm2 a été utilisé, du sol au plafond : le salon, les chambres, couloirs, salle d'eau, toilettes, sans compter les passages secrets.
Au fil des déambulations, on change d'univers : de l'art contemporain, BD, projections, sculpture, art naïf, les pièces sont habitées de partout. Une magie signée également Sozinho, un mot qui signifie "seul" ou "unique" en portugais.
Sozinho : place à l'art
L'association Sozinho existe depuis 15 ans. Elle est implantée rue Negreneys à Toulouse où elle anime le quartier des Minimes de différentes façons.
En 2018, place au Quartier d’Art Prioritaire. Un an plus tard, ouverture du lieu de vie La Passerelle Negreneys, un café culturel associatif. "Nous voulons soutenir la culture par tous les moyens possibles, la rendre accessible, faire vivre les lieux pour les habitants de différents quartiers. C’est ce que nous faisons à Negreneys. On a voulu développer ça à une autre échelle", déclare Elsa Fort, la codirectrice de l'association.
Sozinho a alors développé un partenariat avec les Nouveaux Constructeurs qui ont mis à disposition la fameuse maison du quartier Saint-Cyprien, la toute première. L'idée est simple : des lieux, des maisons vont être détruits, rénovés, modifiés. Les promoteurs proposent alors à l'association d'en disposer pour réaliser des œuvres avant travaux. "Le côté éphémère crée quelque chose, on a envie d’y être. Babayaga c’est le tiers lieu éphémère qui fait vivre un quartier. Ils avaient cette maison qui avait une histoire. Une dame y vivait depuis des années. C’est intéressant de pouvoir proposer des créations artistiques en lien avec cette vie", confie Elsa Fort.
Chez Babayaga
"Bienvenue chez Babayaga", voilà la première version de ces maisons recyclées artistiquement. Baba Yaga est une sorcière du folklore slave qui vit dans une hutte magique au milieu de la forêt. Pour certains le personnage incarne l'autonomie et l'indépendance des femmes. "C'est l'imaginaire de la sorcière, à la fois sage et flippante", reconnaît Quentin Lhommeau, le coordinateur d'artistes qui a travaillé sur la maison.
Il était une fois cette idée de départ, le fil de la pelote tiré par chaque artiste. Babayaga, c'est forcément aussi un peu de Pierrette, l'habitante du lieu. Dans la sculpture de plus de 3 mètres, dans les portraits affichés, dans les dessins du 2e étage, Pierrette veille. Ses meubles ont été retirés et de nouveaux ont pris place grâce au partenariat avec Emmaüs. Tout a été fait avec du matériel récupéré dans la rue ou ailleurs, du recyclage. Beaucoup de vert dans la Salade Suprème.
Quentin Lhommeau et Marie Sforzini expliquent qu'il sera possible de visiter tous ces univers, mais aussi de s'initier aux pratiques artistiques.
Du sol au plafond, l'art est partout, des œuvres puissantes et qui prennent une résonance particulière dans cette maison. Un cabinet des curiosités où l'on ne sait plus où donner de l'œil. Chambres et salons sont revisités, toilettes et douches redécorées pour une immersion totale. Pour ce tiers-lieu éphémère, le fondateur de Mister Freeze (l'artiste Reso) est venu prêter main-forte.
Pour cette réalisation, le collectif n'a pas eu de financement public, seulement des partenariats. "Le projet va continuer d’évoluer après l’ouverture, déclare Quentin Lhommeau. On est super contents. Le pari a été gagnant. On est déjà en train d’envisager d’autres projets pour la suite, avec plus de temps, plus de solutions en termes de logistique, de financement, de partenariat pour porter ce type de projet beaucoup plus loin."
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"Faire vivre cette maison comme ça jusqu’au dernier moment, c’est merveilleux !"
La maison peut se visiter jusqu'au 20 juillet et il sera possible de se poser tranquillement dans le jardin pour discuter ou boire un verre :
- les vendredis de 17h à 21h
- les samedis de 15h à 21h
- certains dimanches
Des horaires aménagés pour ne pas gêner les voisins qui participent activement. Aux premières loges, on retrouve Annie. "Faire vivre cette maison comme ça jusqu’au dernier moment, c’est merveilleux ! C'est mieux que de la voir fermée. C’est un bel hommage car il m’est difficile de voir le quartier sans Pierrette et de le voir revivre grâce à elle, c’est beau. Tout le monde s’arrête dans la rue, c’est étonnant. Elle aimait beaucoup la discrétion et là, elle est en pleine lumière."