Lundi 22 avril, Robert Ménard, maire de Béziers, a pris un arrêté instaurant un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans. Il avait déjà pris un arrêté similaire en 2014, annulé par le Conseil d'Etat en 2018. Avait-il le droit de recommencer ? L'arrêté va-t-il être de nouveau annulé ? Réponses avec une avocate en droit public.
Lundi 22 avril, Robert Ménard, maire Divers droite de Béziers, réputé proche du Rassemblement national, a pris un arrêté instaurant un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans. Ceux-ci n'ont plus le droit de se trouver dehors, sans être accompagné par une personne majeure, entre 23 heures et 6 heures le lendemain matin. Cette interdiction s'applique au centre-ville, dans les quartiers de la Devèze et Grangette-Iranget, tous les soirs de la semaine du 22 avril au 30 septembre.
En 2014, le maire de Béziers avait déjà pris un arrêté similaire, interdisant la circulation des mineurs de moins de 13 ans de nuit à certains endroits de la commune, du vendredi au dimanche soirs. Cet arrêté avait été annulé par le Conseil d'Etat en 2018, suite à un recours de la Ligue des droits de l'Homme. Alors, Robert Ménard a-t-il le droit de reprendre un arrêté similaire ? Celui-ci peut-il de nouveau être annulé ? On fait le point avec Clara Heullant, avocate en droit public au barreau de Paris.
Un maire a-t-il le pouvoir de prendre un tel arrêté ?
"Oui, car on lui confie pendant la durée de son mandat un pouvoir de police générale", répond Clara Heullant. Un maire a le devoir de faire respecter l'ordre public : il est notamment en charge de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publique de sa commune. En ce sens, il peut donc prendre des arrêtés qui visent à faire respecter l'ordre public.
L'arrêté instaurant un couvre-feu rentre dans ce cadre-là. "Mais il faut que la mesure soit adaptée à l'objectif, et surtout proportionnée par rapport à la réalité des faits, nuance l'avocate. Un maire ne peut pas décider d'un arrêté sans pouvoir le justifier. C'est pour cela que le précédent arrêté à Béziers a été annulé en 2018."
Le Conseil d'Etat avait en effet jugé que la mairie de Béziers n'avait pas fourni "des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze", comme inscrit dans la décision du Conseil d'Etat du 6 juin 2018. Par conséquent, l'arrêté avait été annulé. "Ce n'était pas une annulation liée à l'arrêté lui-même, mais au caractère non adapté et non proportionné de la mesure", précise Clara Heullant.
Robert Ménard pouvait-il reprendre un arrêté similaire, après l'annulation du premier ?
"Oui, il a le droit, s'il estime que les circonstances sont différentes, pose d'emblée l'avocate en droit public. Cela n'aurait pas de sens de l'empêcher à vie de prendre un arrêté au sujet des mineurs de moins de 13 ans, si le contexte le justifie."
Reprendre un arrêté qui semble similaire n'a donc rien d'illégal. D'abord, car les deux arrêtés ne sont pas tout à fait les mêmes : le premier prévoyait par exemple un couvre-feu du vendredi au dimanche soirs, celui du 22 avril 2024 comprend tous les jours de la semaine. Ensuite, car les circonstances ne sont pas les mêmes dix ans après, et peuvent appeler à la prise d'un nouvel arrêté.
Mais encore une fois, les mesures prévues dans l'arrêté doivent pouvoir être justifiées comme étant adaptées et proportionnées à la situation. "S'il y a véritablement une hausse des violences à Béziers concernant les mineurs de moins de 13 ans, alors Robert Ménard peut reprendre un arrêté, pourquoi pas, avance Clara Heullant. Mais si on l'attaque sur la légalité de l'arrêté, il doit s'assurer que ça soit justifié."
Cet arrêté peut-il être de nouveau annulé par le Conseil d'Etat ?
"C'est possible, mais pas forcément", répond l'avocate en droit public. D'abord, il revient au préfet de l'Hérault de contrôler la légalité de l'arrêté. Si celui-ci est conforme, alors des tiers ayant un intérêt à agir auront deux mois, après la publication de l'arrêté en mairie, pour contester la légalité de l'arrêté. La Ligue des droits de l'Homme, par exemple, pourrait décider de formuler un nouveau recours en excès de pouvoir devant le juge administratif, pour demander l'annulation de l'arrêté.
Mais l'issue ne serait pas forcément la même qu'il y a six ans. Car si le contexte et les circonstances ne sont pas les mêmes, alors les décisions des tribunaux peuvent être différentes. "L'autorité de la chose jugée veut dire qu'on ne rejuge pas une chose qui a été jugée, pose Clara Heullant. Mais si ce n'est pas exactement la même affaire, ou les mêmes parties, ou les mêmes circonstances, alors on ne juge pas la même chose."
En revanche, si Robert Ménard avance les mêmes justifications que pour son arrêté de 2014, alors le scénario pourrait être le même. L'arrêté pourrait même être retoqué plus tôt, par le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel. "Comme le Conseil d'Etat a invalidé leurs décisions [celles du tribunal administratif de Montpellier, et de la cour administrative d'appel de Marseille, NDLR], alors les tribunaux peuvent décider de retoquer l'arrêté" avant que celui-ci n'arrive jusqu'au Conseil d'Etat, développe Clara Heullant.
"Mais on ne peut pas préjuger d'une décision juste en fonction de ce que le Conseil d'Etat a déjà jugé, rappelle l'avocate en droit public. Ce jugement [de 2018] ne sera pas forcément suivi, car cela dépend des circonstances, des justifications." Il reviendra donc aux juges de trancher, si recours il y a, sur la légalité d'un tel arrêté dans les circonstances actuelles.