Les rues portent des noms d'hommes parce que "le patriarcat s'exerce jusque dans la mémoire collective" pour l'historien Richard Vassakos

Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul Valéry de Montpellier, Richard Vassakos démontre que la toponymie des villes - le nom donné aux rues et aux places - est une question de choix politiques depuis la Révolution française. Un monde, une histoire et une mémoire collective où les femmes commencent à gagner leur place.

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Henri IV, Voltaire, Jules Ferry... Les noms de rues ont été l'apanage des rois, des révolutionnaires puis des Républicains les plus célèbres, mais aussi et avant tout celui des hommes. La tendance commence à s'inverser. Les noms de figures féministes du 20e siècle, Simone Veil, Gisèle Halimi, apparaissent au coin de quelques rues.

Richard Vassakos est docteur en histoire contemporaine. Dans son roman La République des plaques bleues, les habitants d'un village du Biterrois se disputent le nom d'une rue, au début de la Seconde guerre mondiale.

Le "panthéon urbain", l'expression qu'il emploie pour désigner l'histoire inscrite sur les murs de nos villes, résulte selon lui de choix éminemment politiques. Et en politique, comme sur les petites plaques bleues, les féministes ont dû se faire une place elles-mêmes.

Depuis quand donne-t-on des noms aux rues en France ?

Richard Vassakos : La toponymie (les noms de lieux, ndlr) des rues remonte à la fin du 18e siècle. La nécessité de s'orienter dans des villes grossissantes pousse à accrocher des plaques à l’angle des murs. À cette époque, la monarchie saisit cette opportunité pour donner le nom des princes et des rois aux grandes places et aux avenues les plus prestigieuses.

Puis, la Révolution française va se servir de la toponymie comme instrument de propagande. C’est une première étape de politisation, avec des rues baptisées après Voltaire, ou bien Rousseau. Au 19e siècle, on assiste à des allers-retours au gré des changements de régime.

Les Républicains ignorent en très grande partie la gent féminine, dans une société où les femmes n’ont pas encore le droit de vote, où leur place politique est très limitée.

Mais c’est véritablement la 3e République qui va politiser l’espace public. Après avoir pris le pouvoir en 1870, les Républicains transforment le panthéon urbain en profondeur, en mettant les idéologies et le discours politique au coin des rues, toujours avec des personnages qui ont un fort sens politique, comme Garibaldi, par exemple.

Quelle importance accordent-ils aux noms de femmes, à cette époque ?

Les Républicains ignorent en très grande partie la gent féminine, dans une société où les femmes n’ont pas encore le droit de vote, où leur place politique est très limitée. On trouve alors très peu de noms féminins, si ce n’est dans des municipalités très à gauche, qui baptisent certaines rues après Louise Michele, Pauline Rolland ou encore Georges Sand.

À la Libération, le panthéon urbain devient résistant dans la continuité du panthéon républicain. Avec, là aussi, quelques rares figures féminines : des martyres de la Seconde guerre mondiale comme Danièle Casanova ou Berty Albrecht.

Qu'est-ce que cela signifie de la place des femmes dans la conscience commune ?

L’absence des femmes dans le panthéon urbain est un reflet du patriarcat tel qu’il s’est exercé. C’est-à-dire jusque dans la mémoire collective. Non seulement, on n'a pas seulement pensé à les honorer. Mais on les a aussi invisibilisées de la mémoire collective. Les noms de rues, ce n’est pas l’histoire en elle-même, c’est celle dont on veut bien se souvenir, celle qu'on choisit de conserver. Le fait de mettre des noms de femmes à l'angle des rues, c'est un véritable choix politique.

Non seulement, on n'a pas pensé à les honorer. Mais on les a aussi invisibilisées de la mémoire collective.

Quand, comment et pourquoi la tendance commence alors à s'inverser ?

Après une dépolitisation de l'espace public dans les années 80, avec la périurbanisation, la construction de lotissements qui nécessite de baptiser les rues en masse avec des noms de fleurs ou d'animaux, la problématique émerge à la fin des années 2000.

Par des articles presse, d'abord, qui commencent à alerter sur le fait que les femmes nomment à peine 5% des rues et des places dans les grandes villes. Puis les organisations féministes prennent le relais grâce à des actions militantes, comme les collages, ou de fausses plaques pour recouvrir celles qui portent un nom d'homme.

À quelle vitesse diriez-vous que l'espace public se féminise ?

C’est en bonne voie mais le processus reste lent, dans la mesure où l'on baptise plutôt des rues nouvelles. Rebaptiser une voie, c'est aujourd'hui très compliqué avec les systèmes d’information géographiques et les GPS. Les habitants y sont eux-mêmes parfois très réticents.

Généralement, deux options s'offrent aux communes : instaurer la parité dans les nouveaux baptêmes, ou lancer des fournées importantes, comme Montpellier qui a renommé douze voies publiques selon des femmes en 2021.

À noter que cette féminisation du panthéon urbain se fait toujours avec un fort sens politique. En effet, ce sont des noms de femmes comme Gisèle Halimi ou Simone Veil, porteuses de lourds combats féministes, qui sont généralement choisis en priorité. 

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