Quel comportement un médecin doit-il adopter pour annoncer un cancer ou une pathologie grave? Si le praticien est formé pour diagnostiquer, il éprouve souvent les pires difficultés à s'exprimer face à aux malades. Les étudiants de 4e année de médecine vont être formés grâce à des cours de théâtre.
C'est à partir de ce constat que la faculté de médecine de Montpellier a signé vendredi une convention avec l'École supérieure d'art dramatique (ENSAD) de la ville, une première en France, et peut-être même mondiale, selon son initiateur, le professeur de cancérologie Marc Ychou.
Objectif: intégrer dès la rentrée une formation de théâtre pour les 240 carabins de 4e année. Avec des cours donnés par des acteurs et sous le contrôle d'un metteur en scène, le franco-canadien Serge Ouaknine.
"Nous avons choisi de placer cette formation au niveau de la 4e année car les étudiants sont déjà en contact avec les malades - sans rôle décisionnel - mais pas encore obnubilés par le concours de l'internat", explique le Pr Ychou.
Le problème de la prise en compte psychologique du patient n'est pas récent. Le "déficit d'humanité" a régulièrement été dénoncé tandis que les malades critiquent souvent les conditions dans lesquelles on leur a révélé leur cancer: entre deux portes, par un coup de téléphone, par une secrétaire.
Depuis le début des années 2000, avec les Plans cancer, des améliorations ont été apportées. Insuffisantes encore. Car le médecin se sent toujours démuni lorsqu'il se transforme en porteur de mauvaise nouvelle. Certains se cachent derrière une carapace, d'autres dans les chiffres, ne trouvant pas toujours le bon compromis entre l'empathie et la distance professionnelle.
"Le médecin a besoin d'être un super scientifique. Mais on a oublié que le reste était aussi super important pour la relation avec le patient. Le malade attend qu'on ne lui parle pas comme à une tumeur", souligne M. Ychou, également directeur du Site intégré sur le cancer (Siric).
Molière et la science
"Ce qui compte, c'est le premier contact avec le médecin qui fait l'annonce", ajoute-t-il. "D'autant que pour un même diagnostic, la réaction va être différente d'un malade à un autre", rappelant que l'adhésion du patient au protocole de soin est souvent l'une des clés de la guérison.
"Un médecin a une formation scientifique de très haut niveau mais aucune en relation humaine", note le scénariste, Serge Ouaknine, constatant: "Molière se moquait des docteurs qui péroraient pour compenser leur absence de base scientifique. Aujourd'hui les médecins ont appris à soigner mais ne savent plus ni parler ni écouter. Et moi, mon ambition, c'est de le leur apprendre" explique Serge Ouaknine.
Il a fallu plusieurs années pour mettre sur pied cette formation totalement inédite
Tout est né d'une rencontre par hasard entre MM. Ychou et Ouaknine en 2006. Une première expérience a été menée un an plus tard avec des médecins du CHRU de Montpellier lors de week-ends. Au total, jusqu'ici, quelque soixante-dix praticiens ont appris à réagir, notamment face à la détresse de gens qui veulent parfois simplement savoir s'ils vont mourir.
Pour les étudiants, les cours de préparation à la relation avec le patient seront dispensés par M. Ouaknine avec quatre jeunes comédiens de l'ENSAD en quatre demi-journées.
A l'issue, une évaluation des cours sera effectuée. Mais d'ici à deux ans, l'épreuve sera intégrée dans l'examen et les étudiants seront notés!
"Il y aura des exercices de contacts, de jeu... Le but est de déconnecter" les patients de "leur vie médicale", détaille M. Ouaknine, qui pourrait aussi reprendre un exercice qui a bien fonctionné: écrire un CV et le déclamer.
Des saynètes seront aussi jouées avec les acteurs que M. Ouaknine a spécifiquement formés. Sur trois thèmes, les "problèmes principaux" des médecins, selon lui: "l'annonce de la maladie, la récidive qui est l'échec de la médecine et le rapport à la famille".