Ces lieux de culture sont soumis à rude épreuve depuis le début de la pandémie. La fréquentation des bibliothèques et médiathèques a chuté de près de 30 % dans certaines communes. Les séniors et les jeunes lecteurs manquent à l’appel.
Entrez, c’est ouvert ! Ce matin-là, l’équipe de la médiathèque Jean Matte à Baillargues se sent un peu seule. Dans cette commune héraultaise de 7000 habitants, le lieu est pourtant central et chaleureux. Mais pas un chat ou presque entre les rayons de livres et les postes informatiques. Kader, retraité, est venu consulter des documents : une sortie exceptionnelle. « Je suis une personne âgée, mon épouse est malade. Alors oui on évite les lieux publics ! Cela nous manque mais heureusement, nous avons une bonne bibliothèque à la maison en attendant. » Son voisin d’ordinateur, lui, n’a pas changé ses habitudes. Mais il n’emprunte pas d’ouvrages alors il ne s’inquiète pas trop des éventuels risques de contamination.
Désinfection des livres, consignes claires affichées à l’entrée, la directrice Martine Ybanez fait pourtant tout pour rassurer les adhérents. Mais la désaffection est là.
Nous avons une baisse de 30% de fréquentation.
Martine Ybanez, directrice de la médiathèque municipale de Baillargues (Hérault)
"En cause, le pass sanitaire que nous devons contrôler, mais aussi la crainte de certains séniors de se retrouver dans un lieu trop fréquenté. » De 30 000 personnes par an en 2019 (public et scolaires), la fréquentation est tombée à 20 000 l’an dernier. Beaucoup de lecteurs réguliers ne viennent plus.
Les séniors ont peur de venir et les jeunes n'ont pas tous le pass
Autre ville, autre ambiance. La médiathèque centrale Emile Zola de Montpellier est un immense bâtiment de près de 16 000 m2. Les différents étages permettent d’accueillir le public dans de bonnes conditions. Des espaces ont été réaménagés comme la salle de jeux vidéo pour éviter la promiscuité, avec jauge à l’entrée.
Ici, la baisse d’adhérents s’est limitée à 10% depuis le début de la crise. Les usagers semblent de retour mais Jonathan-David Benrubi, directeur du réseau des médiathèques de la Métropole (14 établissements) le concède : il s’est inquiété pour le jeune public. L’obligation de pass sanitaire, les confinements et couvre-feux, les difficultés des étudiants ont pesé sur la vie de ce temple de la culture.
Sur Internet, on ne trouve pas les mêmes ressources et le même conseil.
Lauren, étudiante en biologie à Montpellier
Lauren et Anne suivent un cursus en biologie et sont venues avec une amie travailler en groupe. « Ça fait du bien de se retrouver dans un endroit calme, explique la première, ça aide pour travailler. Ici, on peut consulter des documents qu’on ne trouve pas forcément sur Internet. Ça m’a manqué de ne pas pouvoir venir pendant une période. »
Pour une ouverture sans condition ?
Anne partage le même sentiment et sait que d’autres jeunes, non vaccinés, sont privés de ce service. Et il y en pas mal parmi ses connaissances.
Les personnels des médiathèques et bibliothèques étaient d’ailleurs montés au créneau contre l’obligation de contrôle du pass, une mesure à l’encontre du principe d’ouverture universelle chère à la profession. Et avaient pointé du doigt librairies et centres commerciaux qui n’y sont pas soumis.
Click and collect, numérique : quand les bibliothèques se réinventent
Pour permettre à la connaissance de circuler, la petite équipe de Baillargues a dû s’organiser avec du "click and collect". Pendant le confinement, Martine la directrice et sa collaboratrice Nathalie, responsable du rayon jeunesse, préparaient même des sélections en fonction des préférences de leurs fidèles lecteurs. Certains ont pris goût à ce système de collecte à la porte de la médiathèque. Comme cette dame de 86 ans qui ne jure plus que par ça, sourit la directrice. Ou ces mamans qui viennent récupérer le sac garni de livres, entre deux séances de (télé)travail.
Pour pallier la suppression des animations destinées aux enfants, l’équipe s’est mise à la vidéo. Et poste sur les réseaux sociaux des contes et histoires habituellement partagés en séance collective. Comme dans cette vidéo préparée spécialement pour Noël.
A Montpellier, le réseau des médiathèques a fait monter en puissance son offre numérique. Et son aide pour ceux qui ne maitrisent pas l’outil informatique. Ainsi il est possible "d'emprunter" un bibliothécaire à distance pour des explications. Les téléchargements de livres, VOD, presse et séances de formation ont bondi de 78 % en 2 ans.
Cette tendance de fond a bénéficié d’un coup d’accélérateur pendant la pandémie. De nouvelles habitudes s’installent pour se cultiver à distance. Un défi que les équipes s’emploient à relever. Tout en continuant à faire revenir du monde dans les bibliothèques. Un double challenge pour 2022.