Le salon de Christine, une coiffeuse montpelliéraine de 47 ans, a fermé le 14 mars à l'annonce du confinement et ne rouvrira probablement pas. Comme beaucoup de travailleurs indépendants, le coronavirus l'a plongée dans une situation inextricable et les aides s'avèrent insuffisantes pour faire face.
"Sans l'aide de mon père, je ne bouffais plus." Christine, 47 ans, coiffeuse, vit sans revenus depuis un mois et demi. Comme beaucoup d'indépendants privés d'activité, le coronavirus l'a plongée dans une grande difficulté qui ne disparaîtra pas avec le déconfinement.
Le salon qu'elle gère seule depuis trois ans près de Montpellier n'a pas rouvert ses portes depuis le 14 mars. Ce soir-là, le Premier ministre Édouard Philippe ordonne la fermeture des commerces non essentiels.
"Je n'ai pas dormi du week-end", raconte-t-elle au téléphone à l'AFP. "Et puis Macron a parlé le lundi soir. Il a dit qu'on ne paierait pas le loyer, ni l'eau, ni EDF, qu'il n'y aurait pas de faillite... Ça m'a rassurée".
Le lendemain, Christine appelle son comptable. Il croule déjà sous les coups de téléphone mais ne sait rien de plus. Il lui demande d'attendre et, pour l'heure, de payer sa TVA dont le fisc n'autorise pas le report - au grand
dam de nombreux artisans.
Petite trésorerie et gros découvert
Les échéances de la coiffeuse, au 21 mars, s'élèvent à 750 euros environ. En début de mois, elle a déjà payé factures, fournisseurs, cotisations sociales et 820 euros de loyer pour les murs du salon. Et sa trésorerie, "toute petite", souffre du manque à gagner : impossible de se verser un salaire - qui avoisine les 1.000 euros d'ordinaire - car le plafond du découvert est atteint. Christine doit implorer sa banque pour qu'elle accepte le
prélèvement de son abonnement téléphonique, faute de quoi il serait coupé.
"Heureusement, moi, je n'ai pas d'employés ! J'ai des copines qui en ont et c'estencore pire, même avec le chômage partiel."
Mais celle qui vit avec sa fille de 17 ans, en colocation chez un ami depuis qu'elle est séparée, n'a pas d'économies non plus. "Tout ce que je mets de côté, c'est pour ma retraite. Je n'en aurai pas sinon", explique-t-elle. Paradoxe absurde, seule une liquidation judiciaire ou sa faillite personnelle permettraient de débloquer les fonds de son plan d'épargne. "À moins de mourir..."
Elle vit avec l'aide de son père et de ses proches
Il a bien fallu manger, pourtant.
"D'habitude, je me paye et ça couvre la nourriture, l'essence, mon crédit voiture, 200 euros pour la colocation, les frais pour ma fille... Mais là, je n'ai plus rien."
Son père, âgé de 75 ans, l'a appelée. "Il m'a dit qu'il était parti en Lozère mais qu'il m'avait laissé sa carte bleue, qu'il l'avait cachée." Depuis, Christine fait ses courses avec, une fois par semaine. Des proches lui ont prêté aussi de l'argent.
"On ne fait que reporter les charges"
Fin mars, après deux semaines d'incertitude, Christine a perçu 420 euros du fonds de solidarité destiné aux entreprises touchées par la crise sanitaire. Versés sur son compte professionnel, toujours dans le rouge.
Elle espère toucher plus pour avril, après un mois plein d'inactivité. Mais elle n'aura pas droit, en revanche, au prêt garanti par l'État car son bilan 2019, année déjà difficile, était négatif de 2.000 euros. Son banquier l'a prévenue.
Rien à attendre, non plus, de son assureur, une très grande compagnie: dans son contrat, l'épidémie n'est pas prévue comme motif de perte d'exploitation. Au fil des jours, l'angoisse de Christine s'est transformée en colère.
"Tout le monde croit qu'on nous aide; tout le monde m'a appelée pour me dire: tu ne vas pas payer ton loyer, tu vas avoir des primes, ça va aller... mais cen'est pas vrai, c'est faux", lâche-t-elle.
"On ne fait que reporter les charges, avec des échéanciers. Au bout du compte, il faudra bien payer et je ne récupérerai jamais deux mois de trésorerie."
Dépôt de bilan d'ici l'été
Dans une étude publiée cette semaine sur "les métiers au temps du corona", l'organisme France Stratégie pointe "un risque économique prolongé et de fortes vulnérabilités individuelles" dans les services aux particuliers, au premier rang desquels la coiffure et l'esthétique, où de nombreux "indépendants en solo" auront du mal à rebondir.
Christine sait déjà qu'elle déposera le bilan d'ici l'été. "Je suis dégoûtée. Je n'ai même pas envie de reprendre le 11 mai. Je ne trouve pas de matériel de protection en plus. Je le ferai un mois ou deux pour mes clients et après, terminé."