Quatre questions à Alain Thierry, directeur de recherche à l'Inserm Montpellier, pour comprendre les résultats d'une nouvelle étude scientifique sur les causes du Covid long. L'analyse a été réalisée sur 155 patients atteints de Covid long et 122 individus sains.
Pourquoi certains malades du Covid développent-ils ensuite un Covid long ? Pourquoi les symptômes de l'infection au SARS-CoV-2 sont-ils toujours présents, plus de six mois après la maladie, chez une petite partie des patients ? Quelles en sont les causes ? Autant de questions auxquelles les chercheurs du monde entier tentent de répondre.
Les globules blancs et les NETs sur la sellette
Dans cette nouvelle étude, des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Montpellier à l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier, en collaboration avec le CHU de Montpellier, ont mis en lumière le rôle éventuel de la dérégulation d’une partie de la défense immunitaire innée.
Ils montrent notamment que la production de "pièges extracellulaires de neutrophiles" ou NETs, par les globules blancs, un mécanisme de défense de première ligne contre les infections, a un rôle dans la persistance de symptômes à six mois, chez des patients ayant développé une forme sévère de Covid-19.
Alain Thierry, directeur de recherche à l'Inserm Montpellier en collaboration avec l'Université et l'Institut du Cancer de Montpellier répond aux questions de France 3 Occitanie.
Que révèle cette étude scientifique menée en 2021 ?
Alain Thierry : "D'abord, les patients de l'étude étaient tous infectés par le variant Delta du Covid. Variant dominant entre janvier et octobre 2021 au moment de nos travaux. On apprend que tout se joue au début de l'infection quand une partie des globules blancs, les neutrophiles, sont stimulés par l'infection et libèrent de l'ADN ce qui forme des sortent de filets, des NETs, destinés à piéger les virus et les bactéries. Jusque-là tout est normal. Mais ensuite, chez certains patients, souvent ceux atteints de comorbidités, un dérèglement de l'immunité innée du corps s'opère et la production de NETs explose. Ces NETS s'associent ensuite aux plaquettes et forment des caillots. Ce qui implique des microthromboses des vaisseaux et des organes. Cela déclenche une inflammation excessive, délétère pour l’organisme et mortelle dans un certain nombre de cas".
Comment avez-vous découvert ce phénomène ?
"Toutes les autopsies réalisées sur des patients décédés de Covid long, ont montré la présence de NETs et de microthromboses dans tout l'organisme. Dans les vaisseaux et dans les organes. Le Covid n'est pas une maladie respiratoire à proprement parler mais un phénomène vasculaire qui attaque les organes et particulièrement les poumons. Comme une maladie auto-immune, elle s'auto-alimente. L'ADN expulsé des cellules via l'action des neutrophiles se dégrade rapidement et en se dégradant, il produit des auto-anticorps qui eux-mêmes stimulent les neutrophiles qui de fait produisent encore plus de NETs. Donc, le système s'auto-active en s'amplifiant. Plus le corps lutte, plus il produit de NETs et plus les organes sont atteints".
Le système immunitaire qui s'est "emballé" durant la maladie, continue à lutter alors que cela n'est plus nécessaire ?
"Oui, c'est cette dérégulation d'une partie des défenses immunitaires innées qui entretient les symptômes du Covid long. On a appris que la réponse immunitaire dérégulée se maintient chez les personnes qui présentent des symptômes de Covid long, six mois après une hospitalisation pour forme grave. La production amplifiée et incontrôlée des NETs, six mois après l’infection ainsi que la présence persistante des auto-anticorps pourraient expliquer en partie les symptômes du Covid long."
Comment diagnostiquer les personnes à risques et quelles solutions ?
"Il faut contrôler le niveau des NETs dans le corps, dès le début de l'infection. S'il grimpe de façon anormale et anarchique, il faut le faire baisser. Soit en diminuant les fragments d'ADN dans le sang pour réduire la réaction en chaine, trois médicaments sont à l'étude dans le monde, soit avec des antioxydants qui limitent la progression des NETs, soit avec des anticoagulants ou des antithrombotiques qui empêchent la formation de caillots qui se disséminent ensuite dans tout le corps."
Une nouvelle étude avec le variant Omicron
Depuis plusieurs mois, Alain Thierry réalise une étude similaire avec l'hôpital de Dubaï, aux Émirats arabes unis. Elle doit mettre en évidence l'influence des NETs sur le Covid long du variant Omicron et comparer l'évolution de la maladie avec des patients Covid long du variant Delta.
L’équipe d’Alain Thierry a déposé une demande de brevet international en août 2022 pour le test diagnostic des NETs.