Elle avait travaillé sur le mouvement des gilets jaunes au moment où la contestation était active dans l'ensemble de la France. La chercheuse Emmanuelle Reungoat a co-réalisé un documentaire sur "l'après" du mouvement. Pierre-Olivier Gaumin et elle y racontent les changements vécus par les personnes qui se sont engagées.
Emmanuelle Reungoat est maîtresse de conférence en sciences politiques à l'Université de Montpellier, dans l'Hérault. Au moment du mouvement des gilets jaunes, elle travaille sur le sujet en tant que chercheuse, en allant à la rencontre des personnes mobilisées.
Cinq ans plus tard, elle diffusait en avant-première, ce 30 avril à Montpellier, un documentaire intitulé Des goûts de lutte, réalisé avec Pierre-Olivier Gaumin. Ce dernier explore "l'après" du mouvement.
Emmanuel Reungoat a répondu aux questions de France 3 Occitanie.
France 3 Occitanie : comment est né ce projet de documentaire ?
Emmanuelle Reungoat : le projet est né en 2021. On a tourné à partir de l’anniversaire des 3 ans du mouvement, à l'automne, jusqu’au mouvement contre la réforme des retraites. L'idée est de parler de ce qu’il se passe après, jusqu'où cela transforme les gens, même dans des choses très intimes. Ce fut un épisode très intense et très important de leur vie, y compris de manière plus générale.
Quel était le ressenti des personnes mobilisées à l’issue du mouvement ?
E.R. : Ce que questionne le film, c’est ce qui ressort après. Il y a un panel de personnes qui changent avec le temps. Il y a des goûts et des dégoûts. Pour certains, ce fut une nouvelle famille, des choses qui restent. Certains sont marqués par la désillusion, d'autres toujours dans le combat. Ils ont tous ressenti en tout cas une capacité à agir, la force du collectif.
Qui sont les personnes que vous avez décidé de suivre ?
Nous avons suivi entre 5 et 8 personnes, beaucoup en Occitanie : un collectif de femmes de Lunel, des Gilets jaunes du rond-point près d’Arènes, une autre de Bretagne qui a réalisé une BD à partir du mouvement. Il y avait des gens que j’avais suivis lors de mon enquête sociologique.
Il y a aussi un travail de personnage, de montage. Les personnes que nous avons suivies n'étaient pas engagées au départ. On voulait montrer les changements intimes que cela provoque, parce qu'ils ne sont pas forcément très visibles. Cela change leur rapport au monde, avec une nouvelle vision des frontières sociales.
Comment certains ont-ils continué à agir ?
Dans le film, il n'y a pas forcément un panel de toutes les trajectoires. Il est demeuré une grande défiance parmi les syndicats, mais certains en faisaient déjà partie. D'autres ont monté des associations, sont encore engagés. Les plus engagés sont restés en collectif, sont devenus amis. Pour le collectif de femme, elles n'avaient pas d'engagement politique, mais elles sont impliquées dans la vie de leur cité, alors qu'elles ne se connaissaient pas avant.
On découvre également un homme qui réfléchit à se présenter aux législatives. Pour d'autres, la conversion ne s'est pas faite vers la politique, mais à travers l'action sociale.
La mobilisation pourrait-elle être ravivée aujourd'hui ?
Les mots d’ordre de 2019 n’ont pas bougé, le pouvoir d’achat ne s’est pas amélioré, les questions de justice fiscale non plus. Il y a toujours une défiance envers les institutions. Ce mouvement reste une grande instance autogestionnaire, de prise de décision. Il y a eu une expérience de démocratie à grande échelle, avec ses limites.
Une tournée de projection du film est organisée dans différentes villes de France, en Suisse et en Belgique.