ENQUETE. Vols de vélos : "laisser-faire de la police", manque d'infrastructures sécurisées, les victimes en plein désarroi

Les vols de vélos, notamment électriques, ont augmenté de 33% à Montpellier, par rapport à l'année dernière. Tandis que de nombreuses victimes reprochent à la police de ne pas prendre le sujet au sérieux, d'autres pointent le manque d'infrastructures sécurisées.

Au moment où notre journaliste écrit ces lignes, son vélo vient d'être dérobé. "Désolé pour votre vélo, mais au moins le papier sera juste", plaisante Charles*, qui a connu la même situation. Son vélo électrique a disparu dans son jardin il y a trois semaines, entre le quartier des Beaux-Arts et d'Aiguelongue, dans le nord de Montpellier. "Je l'avais à peine depuis six mois et il m'avait coûté dans les 3 300 €. J'ai plusieurs amis à qui on a volé leur vélo aussi dans le quartier ces derniers mois, j'ai l'impression qu'il y a un vrai business", soupçonne le trentenaire, qui n'a même pas encore pu toucher l'aide de la région pour l'achat du deux-roues.

Son sentiment est confirmé par les statistiques policières. Entre le 1er janvier et le 31 juillet 2023, 1.401 vélos ont été déclarés volés, soit une augmentation de 33% par rapport à la même période l'année dernière. Et près de la moitié de ces larcins concerne des VAE (Vélo à Assistance Électrique).

On nous dit toujours de privilégier le vélo car c'est plus écologique, mais quand on se le fait voler aussi facilement, ça dissuade. Je ne pense pas que j'en referrai.

Charles, victime d'un vol de vélo

Selon une étude publiée en mai 2023 par l'Adma (Académie des Experts en Mobilité Active), 11% des victimes arrêtent leur usage du vélo après un vol, et 23% réduisent leur usage, ce qui en fait un important frein à la pratique. Le nombre de vols est estimé entre 350 000 à 580 000 chaque année en France.

Des policiers "bordés par le juridique"

"Ma voisine aussi s'est fait voler le sien dans son garage, raconte Charles. Elle avait un traceur et on a pu le géolocaliser dans la cave d'une cité à quelques centaines de mètres. Je suis persuadé que mon vélo s'y trouve aussi". Les espoirs des deux victimes ont néanmoins vite été douchés. "Les policiers m'ont dit de porter plainte et de les appeler si jamais je vois que le traceur bouge, auquel cas ils pourront envoyer une voiture l'intercepter sur la route." Les deux amis guettent tous les jours l'emplacement depuis.

On est obligé de faire avec la loi. Si la géolocalisation du vélo volé n'est pas précise, on ne va quand même pas perquisitionner tout un immeuble.

DDSP de l'Hérault.

Si le flagrant délit n'est pas constaté dans les 24 heures, la police n'est en effet pas autorisée à pénétrer dans un lieu privé, en dépit de la présence du traceur. Elle doit alors ouvrir une enquête préliminaire, qui peut s'avérer longue, et entendre le suspect et la victime avant une éventuelle perquisition.

Alors que beaucoup parlent d'un "laisser-faire" de la police, la DDSP (Direction Départementale de la Sécurité Publique) de l'Hérault, qui couvre la zone de Montpellier, Lattes et Pérols, nuance. "La plupart des vélos volés qu'on récupère ne sont pas gravés, donc il est très difficile de retrouver le propriétaire, surtout s'il n'a pas porté plainte. Mais il arrive qu'on fasse des appels publics lorsque beaucoup sont retrouvés d'un coup".

Depuis le 1er juillet 2021, il est obligatoire de graver un numéro d'immatriculation sur le cadre lors de l'achat d'un vélo, mais aussi de le déclarer dans le FNUCI, le Fichier unique des cycles identifiés (il est possible de mettre à jour ses informations en cas de vente entre particuliers). Mais les deux-roues vendus avant cette date ne sont pas concernés.

"Ce qu'on peut faire aussi, si jamais vous retrouvez votre vélo sur un site comme Le Bon Coin, c'est de donner rendez-vous au vendeur pour l'intercepter", poursuit la DDSP, qui explique ne pas tenir de compte précis du nombre de vélos restitués. "On en retrouve beaucoup par hasard lors de perquisition où de contrôles sans rapports, donc ça ne rentre pas dans nos statistiques."

Selon un rapport publié en 2003 par l'IFRESI-CNRS et le bureau d'études Altermodal, seulement 6% des Français parviennent à retrouver leur vélo, et parmi ceux-ci, cela s'est fait dans seulement 18% des cas grâce à l'aide de la police.

À noter que le contexte pour venir signaler le vol de son vélo est particulièrement défavorable depuis quelques jours. En effet, depuis un appel syndical lancé le 21 juillet dernier, le service minimum est assuré dans de nombreux commissariats.

Des voleurs très organisés

Désespéré, Charles a fait part de sa situation sur un groupe Facebook dédié. Des Montpelliérains viennent régulièrement y signaler le vol de leur bicyclette et échanger sur leurs mauvaises expériences. Rien que la semaine passée, une centaine de nouveaux adhérents l'ont rejoint. "Ça faisait un moment que le groupe était dormant, mais depuis quelques mois, je vois des messages postés tous les jours", raconte Yaya*, à qui on a subtilisé cinq vélos en cinq ans depuis qu'il est à Montpellier. Aujourd'hui, il préfère acheter du low cost et investir davantage dans un antivol de bonne qualité.

Je vois parfois des vélos de très bonne qualité vendus à la va-vite à des prix dérisoires au marché aux puces de la Mosson, sûrement ramenés par des petits délinquants, mais j'ai aussi l'impression que des réseaux très organisés sévissent.

Yaya, créateur d'un groupe d'entraide sur Facebook

Parmi les témoignages récoltés, Yaya constate certains modes opératoires récurrents. "Je vois beaucoup de gens qui disent que leur chaîne a été coupée à la disqueuse. Ceux qui installent des trackers retrouvent aussi souvent leur vélo au Maghreb ou en Europe de l'est."

Si la DDSP dit ne pas avoir repéré de filières étrangères, elle confirme le caractère très organisé des voleurs. "On en voit beaucoup équipés de scie circulaire. La semaine dernière, on a arrêté un couple qui avait commis une soixantaine de vols par effraction dans des garages et qui revendait les vélos sur le marché noir."

Des progrès, mais un manque d'infrastructures

L'étude de l'Adma souligne que "plus la pratique du vélo est répandue, plus le risque de vol de vélos est élevé". Or, à Montpellier, l'usage du vélo, notamment électrique, tend à se démocratiser avec les aides à l'achat de la région et la multiplication des pistes cyclables.

Pour Nicolas le Moigne, le président de l'association Vélocité, la ville doit maintenant donner les moyens aux cyclistes de sécuriser leur véhicule. "C'est un véritable fléau qui n'est pas pris en compte par les autorités. Même si le gravage va dans le bon sens, ça n'empêche pas les vols, et c'est pourquoi on a clairement besoin de sensibilisation et d'infrastructures supplémentaires pour mettre notre vélo à l'abri, comme des parkings surveillés." Le Plan vélo et marche de 2023 prévoit justement d'équiper les gares et pôles d’échanges d'espaces de stationnements sécurisés et surveillés à compter de 2024, dans le cadre de la loi d'orientation mobilité de 2021.

Le responsable associatif invite les usagers à éviter d'attacher leur vélo par la roue avant, aisément démontable, et de privilégier les antivols en "U", plus résistants, même si rien résiste à une bonne disqueuse.

*: Les prénoms ont été modifiés

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