Arrivé il y a 20 ans en France, le frelon asiatique a peu à peu envahi toute la France. Insecte dangereux pour l'homme, l'insecte décime les colonies d'abeilles et menace la biodiversité. Quels sont les dégâts, comment lutter contre l'envahisseur, France 3 Occitanie donne la parole au chercheur Eric Darrouzet.
En moins de 20 ans, le frelon asiatique est devenue une vraie menace pour la biodiversité. Arrivé par accident en provenance de Chine, Vespa Velutina, c'est son nom scientifique, décime les colonies d'abeilles. Où en est la recherche, pourquoi n'arrive-t-on toujours pas à lutter efficacement contre l'envahisseur ? France 3 Occitanie a interrogé le meilleur spécialiste français du frelon asiatique, Eric Darrouzet, enseignant-chercheur à Tours.
France 3 : pourquoi le frelon s'est-il développé aussi vite depuis son arrivée dans le sud-ouest il y a 20 ans ?
Eric Darrouzet : On a à faire à une espèce invasive qui est une espèce sociale. Les insectes sociaux, quand ils sont invasifs, ont des capacités de conquête de nouveaux territoires assez aisés. C'est lié à leur sociabilité.
Ce sont des prédateurs généralistes, souvent opportunistes, donc ils ont de la facilité à trouver de la nourriture dans leur environnement.
Eric Darrouzet, enseignant-chercheur à Tours, spécialiste du frelon asiatique.
Ensuite, ils vivent en société et sont capables de se défendre. Dans une colonie de frelons, il y a des individus qui défendent la reine qui est la seule à se reproduire. Donc en fait, tout est réuni pour que la colonie puisse se développer, produire de nouveaux reproducteurs pour faire des nouvelles colonies les années suivantes, et se nourrir assez facilement. Donc les frelons ont des capacités à se répandre dans le territoire assez rapide du coup.
France 3 : est-ce que ça veut dire qu'il y a de plus en plus de frelons en France et qu'il y en aura de plus en plus ?
Eric Darrouzet : alors de plus en plus en France, je ne sais pas et je ne connais pas de statistiques qui le montrent. Sur certains territoires où on a un suivi, on peut voir qu'on a une augmentation du nombre de colonies année par année. Après on atteint peut-être un « pseudo plateau ». Certaines années, on peut avoir quelques centaines ou quelques milliers de colonies sur un département par exemple et après ça fluctue. Ça descend, ça remonte, c'est assez connu pour le monde des guêpes notamment. Ensuite, au niveau européen, oui, ça augmente sachant que l'espèce colonise de nouveaux territoires année par année, ce qui fait que c'est en train de coloniser un peu toute l'Europe de l'Ouest.
France 3 : en quoi le frelon asiatique est-il dangereux, plus dangereux par exemple que les guêpes ?
Eric Darrouzet : cela dépend à quel niveau on se place. C'est une espèce invasive qui pose des problèmes pour la santé humaine.
C'est un animal qui pique, donc si vous êtes allergique au venin, vous pouvez faire une réaction allergique, et même décéder d'une piqûre de Frelon.
Eric Darrouzet, enseignant-chercheur à Tours, spécialiste du frelon asiatique.
On a des milliers d'accidents chaque année en France. Des gens qui ont été piqués, et on a certainement des dizaines de cas de mortalité malheureusement. Après, on a un problème aussi en termes d'activité économiques. Le secteur apicole est déjà gravement touché par plein de problèmes. Le frelon asiatique, qui est un prédateur, est capable d'entraîner un énorme stress au niveau des colonies d'abeille, voire même le déclin et la disparition des colonies à certains endroits.
France 3 : le frelon asiatique menace l'apiculture mais pas seulement...
Eric Darrouzet : oui, il impacte les activités apicoles mais on sait qu'il impacte aussi les activités agricoles. Le frelon est capable d'aller dégrader des fruits dans les vergers comme les poires, les pommes, les cultures de fraises ou d'autres petits fruits, dans le secteur viticole aussi. On a une dégradation des produits et effectivement, une baisse de rendement en termes de production pour les professionnels.
On a également un problème environnemental en terme de biodiversité. Comme je le disais tout à l'heure, le frelon asiatique, c'est un prédateur généraliste. Donc, il chasse tout ce qu’il peut trouver dans l'environnement et il peut prélever une quantité d'insectes relativement conséquente par exemple. Il a été estimé par des collègues qu’une colonie de frelons, sur une année, peut prélever plus de 11 kg d'insectes divers et variés. Donc vous avez un impact écologique qui est certain. Au niveau de la reproduction des plantes, des collègues espagnols ont démontré que le frelon va chasser les insectes pollinisateurs et ça impacte la reproduction des plantes. Donc je vous laisse imaginer ce que ça peut entraîner, je dirais à long terme sur tout le secteur agricole.
France 3 : est-ce qu’il y a une arme réellement efficace aujourd'hui contre le frelon ?
Eric Darrouzet : on a quelques outils maintenant, mais qui sont loin d'être parfaits. La première façon de faire, c'est de repérer les colonies de frelons et les détruire. Les repérer, on ne sait pas faire. Il y a des choses qui sont testées à l'heure actuelle mais pour l'instant, il y a rien d'opérationnel sur le terrain. Mais une fois qu'un nid est repéré, on peut le détruire assez facilement : il y a différentes techniques. Il y a des techniques qui utilisent couramment les désinsectiseurs avec l'emploi de pesticides dérivés de perméthrine. On est en train de développer un système sans produits chimiques qui peut aussi permettre de détruire les colonies de manière efficace. Donc ça c'est le premier moyen mais reste le bémol, c'est qu'on ne sait pas repérer les nids de manière efficace, ça c'est le méga problème. Mais une fois que vous avez détruit une colonie, il y a plus de frelons pour venir chasser les abeilles ou créer un souci de sécurité à un endroit.
On a un deuxième moyen, c'est le piégeage. C’est-à-dire, capturer les frelons sur un endroit où il y a présence de frelons qui créent un souci, comme dans un rucher par exemple. Le souci, c'est qu’on utilise tout le temps des appâts alimentaires. Donc, c'est loin d'être efficace. Maintenant, on a des pièges qui sont sélectifs. Donc, déjà on a solutionné une partie du problème. Maintenant, le deuxième souci, c'est de les rendre vraiment efficace. Là, on travaille dessus : c'est trouver des appâts à base de phéromones qui vont vraiment motiver les frelons pour rentrer dans les pièges.
France 3 : le piégeage, ce n’est pas dangereux pour les autres insectes ?
Eric Darrouzet : oui effectivement, il y a une dizaine d'années, les gens utilisaient des pièges qui n'étaient pas du tout sélectifs. Donc, ils avaient un impact écologique en terme de biodiversité. Ce n’était pas une bonne solution mais depuis quelques années maintenant, on a des plans sur Internet. Les gens peuvent fabriquer des pièges sélectifs. Il y a des pièges sélectifs qui sont commercialisés aussi.
France 3 : est-ce qu’on a pas sous-estimé le frelon asiatique, est-ce qu’on a pas raté quelque chose au départ dans la lutte contre cet insecte ?
Eric Darrouzet : carrément, oui ! C'est bête, mais ça peut se comprendre : le frelon, il est arrivé vers 2003-2004. La première observation est en 2005. C'était dans le Sud-Ouest. Il y avait un ou plusieurs exemples de frelons qui ont été observés par des personnes. J'ai ma collègue du Museum qui a identifié l'animal et qui a commencé à communiquer dessus en disant, tiens, il y a une espèce asiatique de frelons qui est arrivée en France, il faudrait peut-être faire attention parce que si ça s'installe, on va installer une espèce prédatrice potentiellement dangereuse. Mais personne n'a vraiment bougé.
Ce sont les apiculteurs qui ont commencé à tirer la sonnette d'alarme en disant qu'ils avaient des frelons qu’ils ne connaissaient pas, qui chassaient leurs abeilles sur les ruchers.
Eric Darrouzet, enseignant-chercheur à Tours, spécialiste du frelon asiatique.
Ça entraînait un stress conséquent dans les colonies avec un arrêt de la production de miel, un déclin des colonies et parfois même une mortalité des colonies en hiver. Donc, c'est à partir de ce moment-là que les gens ont commencé à s'inquiéter au niveau de la communauté scientifique.
Moi, je me suis intéressé au sujet parce que je travaille dans une équipe. On s'intéressait aux insectes sociaux, on travaillé sur les systèmes de communication chimique de ces insectes et on s'intéressait également à des espèces invasives d'insectes sociaux. Donc pour moi, ça cochait toutes les cases et je pensais pouvoir apporter une ou plusieurs solutions.
Ensuite, on s'est mis à travailler dessus mais cela n’a pas intéressé énormément de chercheurs parce que pour travailler sur le frelon asiatique, honnêtement, faut être un peu kamikaze. Je vous rappelle que le frelon, c'est un animal qui pique, très dangereux. Donc en termes de manipulation, il y a tout un ensemble de process de sécurité à mettre en oeuvre qui sont très lourds.
Ensuite le frelon, on ne sait pas l’élever. Si vous le mettez dans une cage, même une grande cage, son comportement change fondamentalement parce qu'il n’est plus dans le même contexte. Et puis, le frelon on ne peut travailler que cinq mois par an avec, de juin jusqu'à début décembre dans le meilleur des cas. Donc, il faut tout prévoir en hiver. C'est là où on fait les dossiers de financement. Et puis pendant la saison du frelon, si on a des vacances, il vaut mieux essayer de limiter. Donc familialement, c'est un peu compliqué. Au final, je dirais que c’est pas un modèle qui est super sexy pour les chercheurs. C’est ce qui peut notamment expliquer qu'il n’y a pas beaucoup de chercheurs qui se sont intéressés aux frelons asiatiques.