La situation des "Chibanis" inquiète les associations. Ces travailleurs immigrés souvent âgés doivent faire face au Covid-19. Ils sont plusieurs centaines à Montpellier et vivent seuls dans des petits logements insalubres. Nous avons recueilli leurs témoignages.
Ils sont arrivés en France pendant les 30 Glorieuses. Ils ont participé à la modernisation du pays, construit des routes, des écoles, des hôpitaux, travaillé dans des usines... Et tout ça dans le plus grand silence ! Les "chibanis" ou cheveux blancs en arabe sont des retraités qui ont travaillé dur en France. Pourtant, cette population fragile survit aujourd'hui, confrontée à l'indifférence de l'Etat français.
Survivre sans rancune
Hady, Mohammed sont de nationalité marocaine. Kader est algérien. Tous les trois vivent dans l’un des deux foyers montpelliérains que possède Adoma, l’un des acteurs majeurs du logement social en France.Hady, le chauffeur routier marocain, est arrivé en France dans les années 90. Tout comme Kader, l’enseignant et photographe algérien. Ce dernier a dû quitter son pays en pleine guerre civile pour trouver refuge en France. En Algérie, ses amis professeurs tombaient sous les balles des groupes terroristes (Le Groupe Islamique Armé et le Front Islamique du Salut) sans que l’état algérien ne fasse quoi que ce soit pour les protéger. Pourtant le "Pays des droits de l’homme" , la France des années Mitterrand, ne lui accordera jamais l’asile politique
Mohammed, l’ainé des trois, est arrivé du Maroc en.... 1973 ! A cette époque, la France ne connaissait pas encore le chômage et tirait grand profit de la main d'oeuvre emmigrée et surtout bon marché. Mohammed exercera comme cuisinier dans des stations de sports d’hiver et comme chauffagiste avant de s’établir dans le sud de la France, à Montpellier.
Aujourd’hui, avec leurs petites pensions, ils survivent comme ils peuvent. Sans rancune, mais avec le sentiment qu’on les a ignorés parce qu’ils étaient des petites gens sans importance. Dans leurs pays d'origine la presse s'est emparée du sujet dévoilant leur situation pour dénoncer les risques sanitaires qu'ils encourent.
Cotisations sociales sans retour
Pendant de nombreuses années, ces travailleurs de l’ombre ne retournent dans leurs pays d’origine, le Maroc et l’Algérie ( la Tunisie est également concernée) que de manière épisodique. Pour pouvoir bénéficier des droits acquis en Métropole, il faut en effet justifier d’un titre de séjour ou d’un document attestant qu’ils ont passé au moins 6 mois et un jour en France.En 2019, la loi change : Un amendement "bi-pensionnaire" permet d'étendre la prise en charge des frais de santé des étrangers en retraite qui ont cotisé dans deux nations ; En France au moins quinze ans et dans leur pays d'origine.
Depuis le 1er juillet 2019, les travailleurs maghrébins, arrivés en France pendant les 30 Glorieuses (1946-1975), peuvent donc rentrer au pays en continuant à bénéficier des droits à la Sécurité Sociale acquis dans l’Hexagone. Une instruction officielle du ministère de la santé semble avoir rendus leurs droits aux 300 000 "chibanis". Mais c’est loin d’être aussi simple...
Dans la réalité tout est bien différent : un article du code de la sécurité sociale (article L.160-3CSS) précise en effet que seuls les retraités remplissant des conditions de résidence stable et régulière peuvent prétendre à une prise en charge de leurs soins. Or, pour ces travailleurs immigrés non issus de l’union européenne, il n’est pas aisé de regrouper des documents qu’ils n’ont bien souvent plus en leur possession. Rien n’est donc vraiment réglé. A ce sujet, le témoignage de Mohammed arrivé du Maroc en 1973 en plein choc pétrolier, est édifiant...
Quand mon père est mort en 2003, je suis reparti au bled pour être auprès de ma famille et m’occuper des démarches. Je suis resté un peu plus longtemps que prévu. Au final l’état français m’a retiré 7000 euros parce que j’étais resté plus de 6 mois.
Mohamed n’était pas au courant. Sa carte de séjour de retraité ne lui permet de faire que des allers-retours. "Et si tu dépasses, tu perds tes droits, notamment ceux versés par la Caisse d'Allocations Familiales ! Tu gagnes alors moins qu’un retraité marocain qui est resté toute sa vie au Maroc..."
L’impossible retour au pays
Après des années de labeur en France, cette difficulté du retour au pays contraint de nombreux travailleurs étrangers à vivre loin de chez eux. Jamais reconnus par la société française, ou tardivement comme on vient de le voir, ces hommes qui vivent de leurs petites retraites affrontent seuls la lourdeur et la complexité de l’administration française.
Ouvriers dans l’industrie, dans le bâtiment, commis agricoles dans le maraîchage ou dans les vignes, égoutiers... Ces travailleurs se retrouvent aujourd’hui seuls dans des logements exigus et vétustes. Le bout d’un chemin de misère et d’injustice. Pour beaucoup le retour au pays ne faisait plus partie de leur plan. C'est le constat de Mohamed, 68 ans :
On est tellement restés dans ce pays que l’on en est imprégné... On a, pardonnez-moi l’expression, le cul entre deux chaises ! Quarante-cinq ans dans un pays... ça marque. Repartir c’est impossible. Je suis venu pour les études mais je suis tombé malade. Alors j’ai travaillé en Savoie comme saisonnier. L’hiver je faisais la cuisine, un peu les pistes, et l’été j’étais chauffagiste.
Pour une grande majorité, ces travailleurs étrangers n’ont pas souhaité faire venir leur famille en France, préférant retourner dans leur pays pour de brèves vacances, avec l’espoir un jour de s’y installer définitivement.
La France, en pleine croissance, leur donnait alors cet espoir. Et puis le temps est passé... Hady reconnait qu'il est dur d'accepter que l’on a travaillé toute sa vie, comme tout le monde, pour se retrouver dans une telle situation :
Au moment de la retraite, ils m’ont dit "vous ne pouvez pas repartir". Si vous partez plus de 6 mois vous n’aurez droit à rien. C’est dur de s’entendre dire ça, pour quelqu’un qui a toujours tout fait dans les règles. Alors je me suis fait une raison. J’ai ma vie ici maintenant, j’ai mes filles, mes petits enfants.
La retraite est l'un des pires moments qu’ait vécu Mohammed. Un cauchemar à en devenir malade. Deux ans de combat, avant de percevoir le premier centime de pension. L’accès à un logement, même en foyer, est soumis à un minimum de ressources (Revenu de Solidarité Active). Les larmes aux yeux, il m’avoue s’être retrouvé bien seul et démuni face à l’administration française :
C’était très compliqué. J’ai vécu pendant un an avec 0 euros. Ils n’ont rien voulu savoir. Je n’avais plus personne à qui parler. C’était l’un des moments les plus durs de ma vie. J’ai perdu deux ans de retraite.
Les associations elles-mêmes rechignent à s’occuper des dossiers de retraite de ces vieux travailleurs. C’est beaucoup trop lourd. "L’Etat a longtemps joué la montre, si vous voyez ce que je veux dire... C’est écœurant !" nous dit un proche des deux hommes, sous-entendant que les gouvernements successifs et certains représentants de leurs administrations ont cyniquement misés sur la disparition et le découragement.
De l’exil forcé au confinement
Ce long exil n’a jamais été aussi contraint et forcé qu’aujourd’hui. Reclus dans leur petite chambre de 9 m² pour les plus chanceux, parfois moins, ces hommes affrontent la pandémie dans le silence. Plus invisibles encore. Jamais, en ce mois d’avril 2020, la famille et le pays ne leur ont semblé aussi loin.
Peu de temps avant "la mise sous cloche" certains avaient quitté leur minuscule chambre pour traverser la Méditerranée. La plupart n’ont pas pu revenir à temps en France et sont bloqués de l’autre coté. Pour eux l’inquiétude de perdre leur logement est grande. Mais les responsables d'Adoma se veulent rassurants :
Non, ils ne perdront par leur droit au bail. Le contrat de résidence (ou le bail d’habitation dans le locatif) garantit le droit du résident (locataire) à se maintenir dans son logement, y compris après une longue période d’absence.
La reprise du logement par le bailleur après une absence prolongée est très encadrée. Concrètement, s’il subsiste encore des affaires dans un logement comme des vêtements rangés dans une armoire, un huissier ne sera pas en mesure de constater son abandon. Un logement social doit être occupé à titre de résidence principale, au moins 8 mois par an.
La durée annuelle d’occupation ne peut être inférieure à 8 mois. En deçà, le bailleur peut rechercher la résiliation du contrat de bail mais il doit prouver que le résident a été absent plus de 4 mois dans l’année, ce qui n’est pas évident.
Au "Foyer Adoma du père Soulas" à Montpellier, ces vieux travailleurs vivent simplement. Ils côtoient des locataires plus jeunes, des personnes de passage, des migrants qui ont dû affronter l’exil, la rue, la prison ou la maladie.
Comme Mohammed, Hady - 60 ans - habite le foyer de la rue du Père Soulas depuis 19 ans. Après voir logé plusieurs années dans 7 mètres carrés, il a obtenu une chambre de 14 mètres carrés ou il vit avec sa retraite de 1008 euros mensuels :
J’ai tout quitté pour la France alors que j’étais très jeune. J’ai toujours fait ce qu’il fallait pour m’intégrer, pour être un homme droit. J’ai travaillé dur pour une retraite de misère aujourd’hui. Mais ce qui me fait le plus mal aujourd’hui, c’est le manque de reconnaissance.
Cela fait plus de 8 ans qu’il demande un logement social. Sa demande de naturalisation... il l’a abandonnée ! : "J’ai fait trois fois la demande pour un appartement. Trois fois on me l’a refusée parce que soi-disant il manquait un papier. C’est vrai que je suis célibataire. D’autres personnes arrivées depuis moins de temps n’attendent pas aussi longtemps pour obtenir un logement. Tant mieux pour elles. Mais il y a quelque chose qui cloche, vous ne trouvez pas ? Pourtant j’aime la France."
La santé des résidents en question
La santé des résidents est une des interrogations en cette période. Avec cette pandémie mondiale on évoque souvent la notion de santé globale quand les problèmes sanitaires transcendent les frontières nationales et appellent des réponses collectives.
Une équipe de santé globale existe bien sur montpellier.Ele intervient sur de nombreuses structures d'hébergement social liées à la précarité Elle a passé Adoma une convention qui lui permet d'intervenir sur ses foyers et relais. Elle est constituée d'un médecin, d'une infirmière et d'une médiatrice sociale parlant l'arabe. Cette dernière ne fait pas partie du dispositif santé globale.
Edith Lemaire est l'une de ces infirmières qui agit dans ce cadre, pour l'association Adages. Elle se déplace là où il y a des difficultés d'accés aux soins, là ou il y a un besoin d'écoute et d'accompagnement.
J'interviens sur les 2 foyers depuis janvier. A hauteur de trois demi journées par semaine, je rencontre, en chambre ou en entretien à la demande, sans rendez-vous sur des permanences ou sur orientation des responsables de résidences et des travailleurs sociaux d'Adoma, des personnes présentant des problèmes de santé. Je les questionne sur leur parcours de soins, sur leur difficulté à y avoir accès. Je fais beaucoup d'écoute, de veille, d'observations clinique. Edith Lemaire Infirmière Médiatrice Santé globale association Adages.
Les travailleurs des 30 Glorieuses ont quelquefois une santé fragile, conséquence directe des emplois qu'ils ont occupés. Certains ont donc besoin d’un suivi médical régulier, et par ces temps de confinement, ces retraités n’ont que très peu accès aux soins comme le déplore Hady :
Avec le confinement, je sors moins, comme tout le monde... En plus j’ai des problèmes d’estomac. Mais tout est bloqué ! J’aimerais voir une infirmière mais il n’y en a pas. Je n’aime pas sortir à cause des contrôles. Je n’ai pas confiance. Alors je sors juste pour faire des petites courses pour la rupture du jeûne.
Pourtant malgré ces efforts, ce travail de suivi des patholgies des résidents n'est pas facile pour les équipes de soignants
Pendant cette pandémie la difficulté c'est de convaincre. Notre rôle est préventif. J'interviens beaucoup en amont sur des pathologies comme l'hypertension, le diabète, les bronchites chroniques, la cardiopathie. Malheureusement tout le monde ne vient pas au rendez-vous. Certains locataire ont du mal à accepter d'être soigner et ne veulent pas voir une infirmière à domicile. Et sans consentement on ne peut pas avoir de bons soins, Edith Lemaire infirmière médiatrice Santé globale association Adages
Cette infirmière considère que le caractère collectif des sanitaires et des cuisines, ainsi que la proportion de personnes fragiles et à risque en raison de leurs pathologies et de leur âge, oblige à une vigilance accrue.
Depuis 2017, le département de l'Hérault expérimente le parcours santé des Personnes Agées En Risque de Perte d'Autonomie (PAERPA) sous l'égide de l'Agence Régional de Santé (ARS). Ce dispositif toujours en test, s'adresse aux personnes de 60 ans et plus quelque soit leur lieu de vie dont l’autonomie est susceptible de se dégrader pour des raisons d’ordre médical ou social.
Pour maintenir la plus grande autonomie le plus longtemps possible dans le cadre de vie habituel de la personne, la démarche PAERPA a pour objectif de faire en sorte que les personnes reçoivent les bons soins, par les bons professionnels, dans les bonnes structures au bon moment, le tout au meilleur coût.
Pour autant, malgré ces efforts, les résidents des foyers sont confontés, depuis le début de la pandémie, à des problèmes d'hygiene de base. Par exemple il n'y a toujours pas de gel hydro alcoolique et de masques. C'est une petite association du quartier de la Paillade qui a fournit récemment prés de 7 litres de solution désinfectante.
Des logements provisoires qui durent une vie
En région Occitanie, les responsables des résidences Adoma (Ex foyers Sonacotra), dont l’histoire est intimement liée aux travailleurs étrangers, indiquent loger 2000 résidents. A Montpellier, ils sont 783 et 33% ont plus de 65 ans. Ils sont logés dans deux foyers et une maison relais qui accueillent majoritairement la clientèle historique, les "Chibanis". Sébastien Allary membre de l'association "Droit Au Logement" et lui-même locataire du foyer les connaît bien :
Quelques-uns de ces vieux travailleurs immigrés sont là depuis plus de 20 ans. Ils payent leur loyer dans les temps malgré leurs revenus modestes. Certains font des demandes de logement social depuis 10 ans et ne voient rien venir.
ADOMA a également mobilisé 110 places en Occitanie pour accueillir des personnes sans domicile fixe et notamment des demandeurs d’asile, avec le soutien des services de l’Etat.
Le "Foyer Adoma du père Soulas" à Montpellier compte seize chambres par étage. Les toilettes sont collectives, dans le couloir. Idem pour la douche et la cuisine. Mohamed soupire :J’aimerais bien vivre plus dignement. On nous fait miroiter des logements qui n’arrivent pas... J’ai deux filles, l’une étudiante, l’autre enseignante à Rome. Quand elles viennent me rendre visite, elles ne peuvent même pas aller aux toilettes tellement c’est sale ! Elles ont honte. Elles ne veulent plus venir. Vous croyez que c’est normal ça ? Qui accepterait de vivre comme ça en France ?
Pendant le confinement les résidents ont demandé à ce que le ménage soit fait plus régulièrement et surtout que les sanitaires soient désinfectés. Mais depuis le début de la pandémie, le rythme ne s’est pas accru pour autant. Sébastien Allary souligne :
On les prend pour des sous-citoyens, comme si ils ne comprenaient rien, incapables de ne rien faire alors que ce sont des gens qui ont travaillé dur pour la France avec des salaires de misère...
Produits ménagers et chiffon contre le coronavirus
La direction montpellieraine d'Adoma indique que les prestations quotidiennes de nettoyage et d’entretien ont été maintenues par les prestataires : "Nous avons demandé un renforcement du ménage sur les points de contact que sont les cuisines, les sanitaires, les poignées de portes, avec une désinfection plus régulière encore des parties communes."
Mais certains résidents auraient aimé être consultés sur la qualité de la prestation, qu’ils ne jugent pas forcément à la hauteur des enjeux sanitaires de la période traversée. Sébastien Allary déplore :
Le ménage est assuré par une seule personne. Une personne pour faire 4 bâtiments avec un pschitt-pschitt et un chiffon. Ils ne désinfectent pas... ils nous envoient des savons !
Pour le militant de l'association Droit Au Logement (DAL) : "ces habitants, ne demandent pas l’aumône ni d’être traités en victime. Ils souhaitent juste être écoutés et respectés comme n’importe quel locataire." Hady souligne :
J’ai quatre filles qui sont toutes très bien intégrées. Je suis arrière grand-père. Je ne peux pas recevoir mes enfants et mes petits-enfants ici. Quand ils voient l’état des lieux... Il n’y a même pas de balais dans les parties communes pour faire le ménage !
Depuis le début du confinement, les résidents n’ont vu quasiment personne. La situation est tendue pour nombre d’entre eux. Pour certains observateurs, ces publics défavorisés sont une cible pour le covid-19. Sébastien Allary précise :
ll y a bien une médiatrice sociale mais elle est seule pour l’ensemble du site et à mi-temps ! Elle est détachée, même pas salariée d’Adoma qui est pourtant un acteur majeur du logement en France. C’est inadmissible que l’on maintienne un public aussi fragile dans de telles conditions.
Les responsables d'Adoma indiquent pourtant avoir renforcé les dispositifs d’information et adapté l'accompagnement afin que la veille sociale, la sécurité sanitaire et la veille technique soient préservées.
Le gestionnaire annonce que 91% de son personnel est présent.
Une équipe mobile avec un responsable de résidence, une personne de la maintenance et une personne pour le social effectue des visites quotidiennes en cas d’urgence (psychologique, sanitaire) et pour assurer une maintenance technique des bâtiments. Les résidents confirment :
Oui c’est vrai... mais il a fallu que l’on intervienne, pour qu’ils réagissent !
Adoma annonce avoir mis en place une veille téléphonique pendant la crise. Ses agents ont réalisé 229 visites à domicile et 211 entretiens individuels. D’autre part, les responsables affirment avoir passé 395 appels auprès des personnes âgées de plus de 60 ans parmi les plus vulnérables.
Un numéro d’astreinte 7j/7, 24H/24 a été mis en place selon la direction de la communication du groupe pour que les résidents puissent faire remonter en temps réel les dysfonctionnements ou les inquiétudes.
On n’est pas restés les bras croisés : On a déployé un dispositif d’affichages en 22 langues pour expliciter les gestes barrière et les moyens d’assurer la sécurité des résidents et de leurs proches.
Sur d’éventuels cas de Coronavirus, la direction d’ADOMA nous assure en déplorer 6 pour la région Occitanie avec malheureusement un décès. Une personne est en maison de convalescence après un séjour en réanimation, une a été hospitalisée et 3 sont dans un centre COVID+. Au sein des foyers de Travailleurs migrants de Montpellier, aucun décès n’a été enregistré à ce jour.
Ramadan un peu spécial
C’est le ramadan en ce moment. Pour les vieux "chibanis" comme pour les jeunes travailleurs, cette période est importante. Voisins dans la vie comme dans les difficultés, Hady, Mohammed et Kader vivent au même étage. Cette crise est pour eux une nouvelle épreuve dans leur second pays.
"Il existe une vraie solidarité" me disent-ils. A chaque rupture du jeûne, à la tombée de la nuit, les résidents s’approprient la cuisine à tour de rôle et c’est un vrai moment de partage, de quoi faire oublier la dureté de la vie...
ll est un peu plus de 22h30. Kader vient de terminer le jeûne. Il attend mon coup de téléphone dans sa chambre de 6,8 mètres carrés qu'il loue pour 300 euros mensuels. Il ne touche que le RSA (cf supra) et l'Aide Personnalisé au Logement (APL) après une vie de petits boulots et "d’emmerdes" comme dirait Charles Aznavour. Un autre migrant qui a eu la chance de s’en sortir et de connaître, lui, la reconnaissance.
L'enseignant n'a jamais plus enseigné
Kader a bientôt 60 ans. Il est arrivé en France en 1990, en pleine "guerre contre les civils algériens" comme il tient à le préciser. Pour lui c’était une question de survie. Les intellectuels n’étaient pas bien vus d’un coté comme de l’autre.
Il doit se résoudre à abandonner son activité d’enseignant de français, d’autant qu’il refuse d’appliquer la réforme du système fondamental décidé par le gouvernement de l’époque qui demande aux enseignants de faire plus de place à la religion. Plus douloureux, il doit également quitter le studio photo familial de 1956, ses souvenirs de chambre noire, ses odeurs de fixateur et de révélateur, un art que lui avait transmis son père et qu’il avait su maintenir en vie en travaillant pour des journaux algériens.
Tout naturellement, à son arrivée à Montpellier, il s’inscrit à l'Université Paul Valéry pour y suivre des cours dans le domaine du cinéma et de la communication.
Quand je suis arrivé en France, je voulais redevenir enseignant, mais comme je n’avais pas la nationalité française, on me l’a interdit. Je suis entré à Paul Valéry comme étudiant. Mais au bout de deux ans, on m’a mis dehors parce qu’on m’avait refusé l’asile politique. Même un ancien enseignant qui avait enseigné en Algérie n’a rien pu faire. Tout s’est arrêté.
Pour vivre Kader fait des petits boulots : Maçon, peintre... Toujours dans le bâtiment pour des salaires de misère. Il se loge comme il peut dans des petits appartements avant de rentrer dans un "foyer Adoma" : J’ai habité un peu le centre ville, avant de me résoudre à habiter dans les foyers Adoma, à La Paillade puis au Père Soulas. Je me souviens dans un que, dans un relais Adoma, certains travailleurs immigrés, des roumains, des polonais, travaillaient pour 3 euros de l’heure... Non déclarés ! J’ai même participé à la construction, dans un foyer , de chambres médicalisées pour les plus fragiles
Pour lui la situation des résidents de ces foyers ne l’étonne guère. Un ressortissant algérien à même été retrouvé mort dans un foyer dans la région parisienne.
C’est une gestion tellement opaque... Pour bien faire, il faudrait une grande réforme du logement social. Il ne faut pas laisser les gens dans la misère ; S’éterniser au même endroit pendant si longtemps. Ce qui est scandaleux, c’est le business qu’ils font sur notre dos, sur notre misère.
Geler les loyers
Depuis le mois de novembre 2019 une antenne du comité du droit au logement (DAL) a vu le jour à Montpellier suite au dysfonctionnement de la chaudière. Cela faisait 4 ans que ça durait ! Pour le DAL, il faudrait un gel des loyers en cette période de confinement "pour nous permettre de respirer."
D'ailleurs, comme si le confinement n'était pas suffisamment difficile, les problèmes de chaudière ont ressurgi.Mohamed déplore :
Ca fait deux jours que je n’ai pas pu me laver. Comme c’est le ramadan les gens prennent une douche le soir et le matin il n’y a plus d’eau chaude. Avec le confinement, ils ont du réduire la consommation d’eau chaude.
Mohamed nous parle d'une pétition pour un gel des loyers qui circule depuis quelques temps : "Récemment mon loyer pour une chambre de 14 m2 est passé de 90 euros à 190 euros. Sans que je sache pourquoi... Mais avec une si petite retraite, je ne peux pas payer 190 euros ! Je n’ai pas les moyens ! C’est surtout que l’on nous explique rien, on prélève sur nos comptes sans qu’on sache pourquoi."
Cependant, les dirigeants d’ADOMA, à l'instar des autres bailleurs du groupe CDC Habitat, n'envisagent pas le gel du paiement des redevances ; Hormis pour les commerces qui bénéficieront d’une annulation de trois mois de loyer. Par un communiqué de leur direction de la communication, ils affirment rester très attentifs aux résidents qui connaîtraient des difficultés financières et ajoutent :
Nous ne pouvons pas nous passer des recettes et des loyers, seule recette des bailleurs sociaux. Et puis, une majorité de résidents ne va pas subir de perte significative de ressources du fait du filet de sécurité déployé par l’Etat.
Fatigués par tant de batailles
Au même titre que leurs ancêtres, tirailleurs et autres fantassins des bataillons africains tombés pour la liberté, ces hommes, à la double culture franco-maghrébine font partie de l’histoire de France. Mais pour Kader, Mohamed et Hady, même si ce Ramadan 2020 conservera une saveur bien spéciale, le "monde d’après- Covid" risque fort d’être le même que le monde d’avant.
Après une vie de labeur, Kader m’avoue qu’il se sent aujourd’hui un peu fatigué : "Fatigué de tant de batailles pour finalement si peu."
J’ai pris le pli. Ce que je vis par rapport à ce que j’ai vécu n’a plus d’importance. Je vis au jour le jour et basta. Pourtant j’ai deux oncles enterrés en France l’un à Verdun, tué dans les tranchées, l’autre dans un carré musulman à Marseille, victime de la seconde guerre mondiale dans les rangs de l’armée française.
Désormais Kader, fils d’une famille de photographes arabes et enseignant de littérature française, se réfugie dans les livres. Ses préférés restent "L'Enfant", "Le Bachelier", "L'Insurgé" la célèbre trilogie autobiographique de Jules Vallès. Né au Puy en Velay, journaliste au "Cri du peuple" et élu de "La Commune de Paris" en 1871, l'écrivain a été lui aussi contraint à l’exil . Des livres qui "coulent de source" pour Kader.