Une confrontation au sommet entre le peintre anglais Francis Bacon (1909-1992) et l'artiste américain Bruce Nauman, né en 1941, est présentée à partir de samedi 30 juin 2017 au Musée Fabre de Montpellier à travers une soixantaine d'oeuvres.
Michel Hilaire, directeur du musée et commissaire général de l'exposition, parle d'une "confrontation unique" entre "deux monstres sacrés de la modernité des 20e et 21e siècles", organisée dans le cadre du 40e anniversaire de la création du Centre Pompidou.
L'exposition, intitulée "Francis Bacon/Bruce Nauman - Face à Face", visible jusqu'au 5 novembre, a puisé dans les collections du Centre Pompidou mais a également fait appel à de nombreux prêts d'institutions publiques et de collections privées à travers le monde.
Elle permet de "relire" le travail des deux artistes, résume Cécile Debray, commissaire invitée, conservateur en chef du Patrimoine des collections modernes du Centre Pompidou, qui en a eu l'idée. Cette confrontation "inattendue (...) redonne notamment à la peinture de Francis Bacon, presque trop connue, toute sa puissance, sa violence, sa radicalité", assure-t-elle.
A travers des peintures, sculptures, vidéos, installations, photographies, l'exposition dresse un parallèle entre le peintre anglais, jouant de références à la tradition picturale ou cinématographique pour mieux les subvertir dans un expressionnisme singulier, et l'artiste américain, performer, sculpteur, vidéaste, lauréat de deux Lions d'or à la Biennale de Venise.
Les oeuvres des deux artistes sont regroupées en cinq thématiques principales: cadre/cage, mouvement/animalité, corps/fragment, piste/rotation, réflexion/portrait.
Violence sourde
Ainsi Bacon et Nauman utilisent tous deux le cadre, géométrique, spatial ou linéaire comme élément de tension et d'exacerbation. Grands admirateurs de l'écrivain, poète et dramaturge Samuel Beckett, ils cherchent à isoler la figure dans un espace neutre, "un monde sans transcendance, déserté de toute spiritualité" pour mieux montrer l'aliénation et l'absurdité de la condition humaine, explique Mme Debray, récemment nommée à la tête du musée de l'Orangerie.
Dans leur approche du corps, éléments déterminants pour tous les deux, ils captent via le mouvement une forme d'animalité. Chez Bacon, le corps est réduit à l'état de carcasse et chez Nauman, il se dégage également des sculptures et carrousels d'animaux en suspension une violence sourde.
Le corps représenté est le plus souvent fragmenté voire mutilé comme dans "Etude d'un corps humain" de Bacon ou "Lip Sync" (Synchro des lèvres) de Nauman, présentant une bouche à l'envers répétant en boucle les monosyllabes du titre.
Le cercle comme la boucle est un ressort majeur du travail de l'artiste américain, qui met en scène de manière obsessionnelle l'éternel retour des mêmes gestes et circonstances à la manière de la musique de John Cage ou de l'écriture chorégraphique de Merce Cunningham, souligne Cécile Debray. De même, dans les tableaux de Bacon, les horizons courbes ou les cercles sont récurrents.
Enfin Bacon et Nauman ont, chacun à leur façon, renouvelé le genre du portrait et de l'autoportrait - dans des versions tourmentées. Si Bacon procède par mise à distance du sujet et "démolition" pour évacuer la ressemblance et mieux capter l'essence, Nauman lui, dans la grande installation polyphonique Anthro/socio (1991), cerne littéralement le spectateur. Ce dernier est assailli par la vision monumentale d'un visage répétant "Feed me/Eat me/Anthropology/Help me/Hurt me/Sociology".
L'exposition a notamment réuni une trentaine de chefs d'oeuvre de Bacon dont le triptyque "En mémoire de George Dyer", peint en 1971 après le suicide de son amant, "Femme nue debout dans l'embrasure d'une porte", "Figure couchée dans un miroir", "Figure tournante", "Carcasse de viande et oiseau de proie", "Portrait de George Dyer dans un miroir", ou encore plusieurs autoportraits saisissants.
Elle permet également de mieux connaître et comprendre le travail de Bruce Nauman alors qu'une grande rétrospective lui sera consacrée à Bâle et à New York en 2018.