Depuis trois ans, le groupe de musique "Les Brigandes" fait des vagues à la Salvetat-sur-Agout, dans l’Hérault. Il est soupçonné de servir de façade à une communauté sectaire. Deux plaintes, déposées par cinq anciens adeptes, et des habitants de la Salvetat, sont en cours d'instruction.
Ne se passe-t-il vraiment rien à la Salvetat-sur-Agout, ce village de l’Hérault qui fait parler de lui depuis l’installation il y a trois ans des Brigandes ? C’est en tout cas ce qu’affirment les chanteuses de ce groupe identitaire, dans une lettre adressée mi-janvier au préfet de l’Hérault Pierre Pouëssel.
Dans ce courrier, elles demandent au préfet une protection administrative ou policière, contre le "harcèlement", notamment médiatique, dont elles font l’objet. "La population dans sa grande majorité ne trouve rien à redire à notre présence à la Salvetat", soulignent les chanteuses.
Si quelque chose ne va pas, pourquoi la gendarmerie, les forces de l’ordre et Monsieur le maire n’ont-ils rien à signaler ? Pourquoi autant d’habitants nous apprécient-ils ?
Tout irait bien alors ? Pas si sûr.
Voyez l'enquête de Caroline Agullo, Laura-Laure Galy et Anne Vaillant. Christophe Pourprix, un voisin, décrit l’enfer qu’il vit depuis l’arrivée des Brigandes :
"Illuminés"
"Foutez le camp", "Le grand remplacement", "France, notre terre" : auteur de titres pop-rock aux paroles violemment xénophobes, le groupe des Brigandes, installé dans un village de l'Hérault, est soupçonné de servir de façade à une communauté sectaire dominée par un personnage trouble.
Derrière ce groupe "clairement d'extrême droite avec de fortes allures complotistes" apparaît un certain Joël LaBruyère: "C'est un personnage bien connu de nos services pour l'emprise mentale qu'il peut développer sur des groupes", explique à l'AFP Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Un exemple de texte chanté par les Brigandes qui demande l'expulsion d'une partie de la population d'origine musulmane publié sur Youtube :
Les Brigandes relèvent avant tout "du phénomène sectaire", l'extrême droite étant "divisée à leur égard", abonde le politologue Jean-Yves Camus. Considérés comme des "dégénérés" par le directeur de la revue Rivarol, Jérôme Bourbon, les membres du groupe ont en revanche le soutien du site Synthèse nationale, proche de Carl Lang, et celui du groupuscule identitaire de la Ligue du Midi.
A La Salvetat-sur-Agout, où les Brigandes et leur entourage sont installés depuis trois ans, par "peur" ou "ras-le-bol", beaucoup d'habitants refusent de s'exprimer sur la petite communauté, qui refuse de parler à la presse et n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
D'autres habitants, comme le boulanger Régis Boucher, estiment que le groupe formé d'une vingtaine d'adultes et d'une dizaine d'enfants "n'embête personne" et fait marcher le commerce. Mais un nombre croissant s'inquiètent de l'influence "d'une secte d'illuminés".
"Prise de contrôle symbolique"
Ces filles qui chantent des horreurs sont sous l'emprise d'un gourou, Joël LaBruyère, c'est lui le danger
Thierry Canals alerte depuis des mois sur "la face cachée" du groupe dans cette "station verte" de 1.200 habitants, connue pour ses bois, ses rivières et son eau pétillante exploitée par Danone. M. Canals, qui milite à la France Insoumise, a porté plainte pour "menaces" fin 2017.
"On est victimes d'intimidations, de manipulation mentale, on se sent abandonnés par l'Etat", se désespère Christophe Pourprix, travailleur social et voisin immédiat de la communauté, dans un hameau reculé. "Ils sont barges et ils vont nous rendre tous barges !", dit celui qui a lancé une pétition contre le groupe ayant recueilli plus de 14.000 signatures.
"Il y a une stratégie véritablement sectaire pour contrôler un village affaibli économiquement en divisant les gens et en noyautant les associations", souligne un jeune père de famille qui se dit "apolitique". Face au local "lugubre" du groupe, jouxtant la mairie, "avec crâne et candélabres", une commerçante dénonce, elle, une "prise de contrôle symbolique du village".
En 2016, Laurent Beaumel et François Jobard étaient allés à la rencontre du groupe :
Mélodies entraînantes et paroles ultra-réactionnaires
"Dans un Etat de droit, on ne peut pas empêcher des gens de s'installer dans un village", répond le sous-préfet de Béziers Christian Pouget. Ce dernier a cependant saisi le procureur de la République de Béziers Yvon Calvet, qui confirme qu'une "enquête de gendarmerie est en cours pour vérifier le contenu des chansons et établir si certaines paroles peuvent tomber sous le coup de la loi pénale".
Les clips du groupe, dont la réalisation est plutôt léchée, mettent en scène les jeunes femmes qui le composent entonnant d'une voix claire sur des mélodies entraînantes ces paroles ultra-réactionnaires et comptent des centaines de milliers de visionnages sur YouTube. Au coeur des interrogations de la justice, celui qui se présente comme le "directeur artistique" et l'auteur des paroles en question : Joël LaBruyère, qui expose lui-même ses thèses confuses dans une vidéo fin 2017, coiffé d'un béret rouge et portant un masque noir dissimulant entièrement son visage.
La Miviludes, qui a dépêché deux conseillers dans l'Hérault en 2016 et entendu d'ex-membres du groupe, dit croiser depuis 2010 "dans des signalements et des interrogations" le nom de cet homme qui s'est fait aussi appeler Elihoé, Mister Kevin ou Joël Barka.
"Totalement asocial"
Une plainte notamment pour "abus de faiblesse", "travail dissimulé" et "violences volontaires" a été déposée contre lui par cinq anciens adeptes --une femme et quatre hommes-- dans les Hautes-Pyrénées, où résidait auparavant le groupe. Elle est en cours d'instruction, a confirmé à l'AFP le procureur de la République de Tarbes Pierre Aurignac.
"Les plaintes ont été déposées en janvier 2015, depuis il y a eu au moins trois juges d'instruction successifs mais peu d'avancées", se désespère Me Rodolphe Bosselut, qui a demandé le dépaysement du dossier à Paris.
Dans cette plainte collective, dont l'AFP a obtenu copie, les anciens membres du groupe disent avoir dû "fuir" fin 2014 et décrivent la "totale soumission" exigée par un "chef" aux "monologues interminables" qui "diabolise" la société extérieure, amène de jeunes gens à "rompre avec la famille, les amis", contrôle les comptes bancaires personnels, capte des héritages...
Selon eux, le groupe de jeunes gens formé autour de Joël LaBruyère, né en 1948 à Rouen, fondateur de "l'Omnium des Libertés" et un temps proche de la Scientologie, a vécu tour à tour dans l'Orne, en Belgique, dans les Pyrénées, en Espagne, en Italie, sous des noms comme "Royaume elfique" ou "Nation libre".
Me Bosselut dit se faire "beaucoup de souci" pour les femmes et la dizaine d'enfants restant dans ce "groupe au fonctionnement sectaire, qui vit replié sur lui-même avec un côté totalement asocial".
Les services de l'Etat dans l'Hérault ont été informés de la déscolarisation de cinq enfants du groupe à la rentrée 2017 et disent suivre ce dossier de près. Le groupe prône la formation de "clans" pour lutter contre une "dégénérescence" de la "civilisation européenne" et qualifie l'Education nationale de "viol psychique de masse".