Le droit de la filiation pourrait-il être en train de changer ? Une femme transexuelle originaire de Montpellier pourrait bientôt voir son statut de "mère" être reconnue envers son enfant, qui aura deux mères. Le parquet général de la Cour de cassation s'est prononcée mardi en sa faveur.
C'est inédit : la justice a pour la première fois émis un avis favorable pour qu'une femme transexuelle soit reconnue comme mère sur l'acte de naissance de son enfant. C'est le parquet général de la Cour de cassation qui a émis cet avis, ce mardi 23 juin.
L’avis de l'avocate générale va pour la première fois dans le sens de Delphine*, une femme trans mariée à une femme. Cette habitante de Montpellier a trois enfants et se bat depuis six ans devant les tribunaux pour être reconnue comme la mère de sa petite dernière, conçue en 2013, après son changement de sexe à l'état-civil en 2011, mais avant sa transition complète.
En 2016, le tribunal de grande instance de Montpellier l’avait déboutée. En 2018, la cour d’appel de Montpellier lui avait reconnu le statut de « parent biologique ». Un arrêt qui n'a pas satisfait le couple, qui estime que leur famille est composée de deux mères, et ce depuis la naissance de leur fille.
Delphine veut être reconnue comme mère car elle est une femme. Ce mardi, l'avis de l'avocate générale allait dans ce sens. Une première qui pourrait très probablement se traduire par un arrêt favorable, lui aussi, qui sera rendu par la Cour de cassation, le 16 septembre prochain. Une grande victoire pour la famille, qui attend néanmoins de "le voir pour le croire".
Historique
Car, si cet avis ne contraint pas la Cour, l'avocat Bertrand Périer, qui représente l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens) et Acthé (Association commune trans et homo pour l’égalité), estime qu'il permet d'être "raisonnablement confiant" pour la suite.
C'est une immense victoire. Cet avis reconnaît que la décision de la cour d'appel de reconnaître un statut de "parent biologique" ne correspond à rien, en fait ou en droit. Cela ne correspond ni à une catégorie juridique, ni à la situation de la mère. Nous sommes très satisfaits de la proposition de l'avocate générale de reconnaître la qualité de mère de cette femme, une qualité qui correspond à son identité de genre, consacrée par la République française en 2011. C'est l'achèvement de ce processus de reconnaissance, pour cette femme née dans un corps d'homme, de son identité profonde.
Un arrêt qui ne suivrait pas les recommandations du parquet général serait possible, mais reste rare. Si la Cour suit ces recommandations, son arrêt, inédit, fera jurisprudence dans les cas similaires, où deux mères, gestatrice ou non, pourront être reconnues comme telle.
"Ce serait historique avec un grand H, confirme Clélia Richard, l'avocate de la famille. Une réforme du droit de la filiation sera nécessaire après ça. Si cette avancée est permise en France, on serait les premiers en Europe. C'est un moment très important."
"La partie n'est pas jouée" mais le pronostic est favorable
Mais "la partie n'est pas jouée" rappelle l'avocate, qui souligne cependant l'importance de cette dernière audience pour sa cliente, qui a "enfin entendu des paroles réparatrices".
On a eu un bon ressenti lors de cette audience. C'était très émouvant. Mes clientes ont enfin entendu des mots qui sont le début d'une réconciliation avec la justice, avec leur République qui est censée les protéger. Ce sont des femmes extraordinaires, qui ont le courage d'être elles-mêmes et d'être cohérentes avec leurs idées jusqu'au bout, et qui vivent leur vie de famille dans un amour entier. Le changement de sexe, c'est un long chemin, éprouvant, avec son lot de discriminations. Leur dossier porte un combat contre la désuétude du droit de la filiation en France. La France peut redevenir le pays des droits de l'Homme dans ce domaine.
Une réserve cependant pour ces deux avocats ; la proposition par l'avocate générale, en marge de l'acte de naissance, d'indiquer que Delphine serait mère en vertu du jugement de 2011.
Je trouve cette recommandation inappropriée et dommage. En reconnaissant qu'elle est une femme, on doit reconnaître les droits qui lui sont attachés en tant que femme, y compris celui d'être mère. L'état civil n'a rien à voir avec la filiation. Cela va encore lui rappeler son passé, et le rappeler à tout le monde.
Là encore, la Cour n'est pas obligée de suivre ces recommandations. Rendez-vous le 16 septembre.
* le prénom a été changé