Dans son roman "Mes poings sur les i", le Montpelliérain Soufyan Heutte racontait son quartier d'enfance, La Paillade, entre attachement et désespérance. Deux ans plus tard, il monte sur scène pour incarner l'adaptation de son texte au théâtre Jean Vilar, au cœur de ce même quartier.
Forcément, Soufyan Heutte doit avoir un peu le trac. Mais il ne le montre pas. Le Montpelliérain monte pour la première fois sur scène au théâtre Jean Vilar, dans une création de la compagnie Primesautier Théâtre : un texte coup de poing adapté de son roman coup de poing : "Mes poings sur les i", dans lequel il racontait son quartier d'enfance, La Paillade (2017, éditions L'Harmattan). Comme un symbole, la première a lieu dans ce théâtre-là, au cœur du quartier.
Déconstruire les clichés sur la banlieue
Sur scène, il incarne tour à tour les figures emblématiques de sa cité, avec un objectif : déconstruire les clichés qui collent à la peau des banlieues et de ceux qui y vivent, mais aussi tendre à ces derniers un miroir. Pour Soufyan Heutte, l'environnement dans lequel on vit détermine notre condition. Son travail d'auteur et d'acteur consiste donc à effacer les frontières, à briser les barrières, à ouvrir des horizons nouveaux.
Une performance différente chaque soir
La mise en scène de Virgile Simon et Antoine Wellens va aussi dans ce sens : elle propose à une partie du public une représentation en immersion, sur le plateau même, pour mieux coller au texte, comme l'explique lui-même Soufyan Heutte :
J'écris beaucoup par évocation. J'essaie, en quelques phrases, de mettre des tableaux dans la tête des gens. Et ici, ces tableaux, ils prennt vie de façon différente tous les soirs, en fonction de qui composera le public, en fonction de ma performance, parce que je la transformerai en fonction de ce que les gens me donneront. Il faut qu'ils me donnent quelque chose pour que je le leur rende.
Un auteur devenu acteur
C'est en 2016, lors d'un travail de lecture théâtralisée, que les deux metteurs en scène ont fait connaissance avec l'auteur, qui est aussi éducateur spécialisée dans le quartier montpelliérain de La Paillade. Au-delà de leur envie d'adapter son roman pour la scène, ils ont immédiatement pensé à lui pour l'incarner, même si Soufyan Heutte n'avait jamais joué la comédie. C'est ce que raconte Antoine Wellens :
Quand on a travaillé avec Soufyan pour le premier projet, c'était dans le foyer du théâtre : il lisait des extraits de textes avec peu de monde, de façon intimiste. Cela nous semblait important qu'il ne soit pas tout seul sur ce grand plateau, comme une bête de foire, mais de conserver ces rapports avec une partie du public qui représenterait le quartier et une autre, assise dans la salle, qui regarderait les interactions en réel avec le jeu de Soufyan.
Le public en immersion sur le plateau
Le résultat : c'est une scénographie immersive, dans laquelle une partie du public assiste à la représentation sur scène, assise sur des blocs de béton. Des blocs qui rappellent ceux qui jalonnent les rues alentour, sur lesquels les jeunes s'assoient pour discuter et rêver.
Raconter la mise au ban de la cité
Des blocs qui symbolisent aussi les entraves, les difficultés à sortir du quartier pour ses habitants et à y entrer pour ceux de la ville. Des blocs/bancs, qui signifient aussi la mise au ban des banlieusards, à plusieurs lieues du centre ville. Soufyan Heutte confie avoir pris beaucoup de plaisir à passer du livre à la scène :
La personne qui lit est solitaire. On lit seul, on pense seul, on suppute ce que l'auteur pense, on lui prête des intentions. Tandis que là, on est spectateurs et on kiffe : on regarde la scène se jouer, mais comme dans un film, de façon beaucoup plus prégnante, plus forte, plus passionnée. On en ressort davantage transformé qu'avec la lecture, qu'on peut arrêter ou reprendre. Au théâtre, on vit un moment unique de partage de quelque chose qui s'incarne.
Un spectacle inclusif en langue des signes
Les représentations de "Mes poings sur les i", par la compagnie Primesautier Théâtre, au théâtre Vilar, auront lieu les 17 et 18 janvier 2019 à 20 heures. Ensuite, la création part en tournée, notamment en partenariat avec les Scènes Croisées de Lozère :
- Le 29 Janvier 2019 à Bagnols-les-Bains (Lozère),
- Le 31 Janvier 2019 au CinéThéâtre de Saint-Chély d’Apcher (Lozère),
- Le 1er Février 2019 à Villefort (Lozère),
- Le 5 Février 2019 au Théâtre Jacques Cœur de Lattes (Hérault),
- Le 29 Mars 2019 à L’horizon – Recherche et création de La Rochelle (Charente-Maritime)
Toujours dans une optique d'inclusion et de lutte contre l'exclusion, les représentations au théâtre Jean Vilar sont doublées en langue des signes par Cyril Ferrieu.Voici le reportage de Valérie Cohen-Luxey et François Jobard.