Un tunnel sombre, deux murs d'écrans vidéo, des regards concupiscents, des propos déplacés... Montpellier accueille "Poésie masculine", un simulateur de harcèlement de rue qui permet aux hommes d'appréhender l'une des violences faites aux femmes les plus courantes mais les plus difficiles à combattre.
Imaginé pendant le confinement par un couple d'artistes numériques montpelliérains, Frédéric Durieu et Nathalie Erin, associés au publicitaire belge Gilles de Boncourt, le dispositif arrive pour la première fois en France, après avoir été montré à Bruxelles. Il se présente comme un immense cercueil noir de 8,5 mètres de long et 4 mètres de haut, derrière lequel se cache une régie technique sophistiquée.
On y pénètre en soulevant un drap. Dans la pénombre, sur les écrans, les silhouettes d'hommes surgissent à gauche et à droite. Lorsqu'on se déplace, grâce à des capteurs, les regards insistants suivent leur proie. "Approche", "Je te veux", "Et si on allait chez moi ?", "Petite pute"... les injonctions, les mots crus fusent.
Puis, une voix de femme, de plus en plus ferme: "Je suis ta soeur, je suis ta femme, je suis ta fille, je suis ta mère... Arrête ta poésie masculine ! ", ordonne-t-elle.
"L'expérience, qui dure exactement 5 minutes, peut sembler oppressante pour les femmes, auxquelles elle rappellera peut-être des scènes vécues, mais doit servir de révélateur pour les hommes," explique l'un des concepteurs, Frédéric Durieu. A la sortie, hommes et femmes sont invités à partager leurs réactions.
"L'un des jeunes hommes que nous avons rencontrés pendant la conception, qui a avoué l'avoir fait, nous a expliqué qu'il y a une sorte de surenchère, comme de la poésie déplacée. On a trouvé plus élégant de dire -Arrête ta poésie masculine ! - plutôt qu'-Arrête, gros porc -". Notre but caché, c'est que ça rentre dans le langage courant", ajoute l'artiste plasticien.
"Réalité encore plus dure"
Pendant une douzaine de jours autour du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, des groupes cibles comme des lycéens, policiers, membres d'associations de quartier, se succèdent dans l'ancienne mairie de Montpellier où le simulateur a été installé.
"La réalité peut être encore plus dure, aller plus loin dans l'exhibition, mais c'est quand même très réaliste", estime après la visite Zouhir Bensalem, contrôleur à la société des transports de l'agglomération TAM.
"Peut-être que ça va déclencher quelque chose chez les gens qui se réservaient d'alerter sur des situations et qui là prendront leurs responsabilités en disant : "Stop, on ne veut plus de ça", espère-t-il.
Sa collègue Stéphanie Ballin juge que "chacun vivra la simulation avec son propre ressenti, en fonction de son caractère mais aussi de son vécu".
Sensibilisation
On aura réussi notre mission lorsque qu'une femme pourra se tourner vers un policier, un gendarme, un contrôleur de bus, pour faire comprendre qu'il se passe quelque chose et que le policier réagira immédiatement. Cela demandera du temps, mais je suis assez optimiste .
Fabrice Belargent , procureur de Montpellier
Inscrit récemment dans la loi française pour faire face notamment au harcèlement de rue, l' "outrage sexiste" désigne le fait d'imposer à une personne "un propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste", portant atteinte à sa dignité ou créant une situation " intimidante, hostile ou offensante". Il est considéré comme "aggravé" quand il est commis par une personne abusant de son autorité, sur une personne vulnérable ou encore dans des transports collectifs.
"Ce sont des comportements extrêmement fugaces : le fait de regarder avec insistance, de susurrer et lutter contre eux n'est pas encore totalement entré dans les moeurs", a relevé lors du vernissage de l'exposition le procureur de Montpellier, Fabrice Belargent.
Visible à Montpellier jusqu'au 2 décembre, "Poésie masculine" devrait ensuite voyager au Luxembourg. Le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, s'est engagé à ce que le simulateur revienne l'an prochain et a promis d'en vanter les mérites à d'autres maires, notamment celui de Marseille.
Ecrit avec l'AFP et Cédric Métairon.