1997-2021. Des premiers viols à l'âge de 11 ans jusqu'à la condamnation définitive de son bourreau, voici le récit glaçant d'un homme à l'enfance et à l'adolescence saccagées par un beau-père, aussi famille d'accueil dans l'Hérault. La victime a fini par le dénoncer pour épargner d'autres enfants.
Le calvaire de Thierry* aura duré 25 ans. Un quart de siècle entre les premières agressions sexuelles sur un petit garçon qui sera violé entre sa onzième et sa dix-septième année, jusqu'au procès de son ancien beau-père définitivement condamné en 2021 et désormais derrière les barreaux pour viols et agressions sexuelles sur mineur.
"Il a rencontré ma mère quand j’avais 8 ans. Ils se sont mariés quand j’en avais 9. Il prenait la place du père, ça se passait très bien, j’avais un attachement, on était très proches puis à 11 ans, il a commencé progressivement par des attouchements. Et puis, il y a eu tout le reste : viols, fellations, sodomie à partir de 12 ans".
Malgré son jeune âge, Thierry est conscient qu'il se passe quelque chose d'anormal.
J’ai toujours eu la notion de ce que j’ai vécu mais je voulais absolument protéger ma mère de ça car j’avais une relation très forte avec elle, je ne voulais pas lui faire du mal et je me sentais coupable.
"Pour moi, c’était ma faute et j’aurais eu la culpabilité de la faire souffrir et puis quand on grandit avec cette personne-là, on grandit avec cette normalité-là et comme il me disait qu’il ne fallait pas en parler, j’ai grandi en cachant ça".
Des mots sur les maux
Tout au long de l'entretien, Thierry éprouve encore des difficultés à nommer les faits. Pour parler des viols et des sévices subis, il dit et répète le mot "ça". Lorsque les agressions commencent, son beau-père profite de la naïveté du petit garçon de 11 ans. Ce père de substitution est famille d'accueil pour les enfants placés par l'Aide Sociale à l'Enfance. L'homme est autoritaire et fait régner la terreur dans la maison
Il a commencé en disant que c’était pour m’éduquer sexuellement et sur la façon dont on pouvait avoir du plaisir. Il était très manipulateur et autoritaire au quotidien, il y avait énormément de règles dans cette maison, il fallait que tout le monde obéisse au doigt et à l’œil à tout ce qu’il disait. Il y avait cette pression permanente de ne pas le voir exploser.
"Il y avait aussi la violence physique envers d’autres enfants. Il y avait cette crainte-là et même quand ça s’est arrêté, j’ai eu un désir profond d’enfouir tout cela et ne plus y penser pour protéger ma mère et en fait ce n’est pas possible : ça vous rattrape. Physiquement, je ne pouvais plus le voir".
Nu dans la maison
L'assistant familial se déplaçait nu dans la maison et il demandait également aux enfants de se baigner nus. Avec les enfants gardés, il n’y aurait pas eu de viols mais des visionnages de films pornographiques à partir de l’âge de 10 ans. Certains ont témoigné de masturbations en leur présence et de la mise à disposition de films pornos pour les enfants qu'il gardait à l'époque et qui avaient entre 8 et 10 ans.
Le déclic
A 18 ans, Thierry rencontre une fille qui sera sa petite amie pendant trois ans. "On s’est séparés car je n’allais pas bien du tout. Je ne supportais plus la présence de mon beau-père, d’être dans cette maison.
C’est la première fois où j’ai dit "il s’est passé quelque chose mais je ne peux pas en parler". Elle m’a répondu que si je n’en parlais pas on se séparerait et on s’est séparés. C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas le lui dire. J’ai fait une dépression : psychiatre, anxyolitiques...
"A la fac, dès qu’on faisait une soirée alcoolisée, je finissais en larmes, je disais je peux pas vous en parler, il s’est passé quelque chose, il s’est passé quelque chose...".
Thierry commence à en parler en 2009 à son psychiatre, il a 23 ans, puis en 2010 à ses amis et à son compagnon de l’époque puis il finit par se confier à sa mère.
Les rapports étaient très conflictuels à la maison, c’était intenable, et un jour ma mère m’a dit : "Si ça ne se passe pas bien, c’est de ta faute…" Du coup, je lui ai parlé en lui disant ce qu’il s’était passé. Je culpabilisais d’avoir mis autant de temps à parler et j’avais peur du mal qu’il aurait pu faire à d’autres enfants. J'ai déposé plainte pour protéger ces autres enfants".
Chantage au suicide
Thierry évoque la difficulté à exprimer des événements aussi douloureux et intimes : " C’est difficile de parler de ces choses-là car cela touche à l’intégrité de son corps et on divulgue publiquement ce qu’on lui a fait subir et on grandit avec cette « normalité », dans cette exposition à la sexualité très jeune".
Il menaçait de se suicider si je parlais. Il y a la peur de nuire à cette personne qui nous fait du mal. Cela paraît aberrant, mais lorsqu’on est enfant, on ne veut pas forcément du mal à la personne qui nous fait du mal.
La plainte
Accusé de viols et d'agressions sexuelles sur mineur, le beau-père niera en bloc tout au long de la procédure et au cours des deux procès. Pour être sûr que sa mère le croie, le jeune homme enregistrera une conversation. Cet enregistrement constituera un élément de preuve à charge primordial lors du dépôt de plainte.
"Lors de l’enregistrement, je n’avais pas encore 10 ans de thérapie, et j’avais du mal à prononcer les mots pour dire ce qu’il m’avait fait subir ; je lui dis, tu te rends compte de ce que tu m’as fait ? Je lui ai demandé s’il y avait d’autres enfants. Je lui ai dit : " je vais parler à la police" et il m'a répondu : " si tu parles, je vais me suicider…"".
Thierry a essayé de vivre avec ce secret qui le torturait au quotidien.
Je voulais mettre tout ça dans une boîte, fermer avec une clé et perdre la clé. Mais c’est impossible. En déposant plainte, on ne perd plus la clé.
Ensuite, il faut l’annoncer à tout le monde, à ses frères et sœurs, car ils n’étaient pas au courant. "Mes amis ont été entendus, mes ex aussi. On s’immisce dans notre vie, et c’est violent de déposer plainte. Et puis bien sûr, il y a la culpabilité de détruire une famille parce que c’est une bombe quand on parle".
Il m’a fallu 10 ans de thérapie, et de procédure pour comprendre que c’était lui et pas moi qui avait détruit la famille.
Faux départ
Le premier procès a lieu en 2019. Il est ajourné quelques heures après son ouverture car des témoins manquent à l’appel. « Cela a été très compliqué pour moi, je m’étais préparé et j’ai eu l’impression qu’on me volait la possibilité d’aller mieux". En février 2021, le beau-père est condamné à 20 ans de réclusion criminelle dont 10 ferme, il fait appel et prend 15 ans en septembre de la même année.
Punir pour guérir
"Parler est la seule solution pour pouvoir avancer avec ça mais il faut être conscient de la lourdeur et de la longueur de la procédure mais c’est la seule façon pour arriver dans notre vie à enfin être reconnus comme victimes, arrêter de culpabiliser et avancer. Il n’y a pas que le procès pour se reconstruire. Mais il faut parler car c’est en punissant les violeurs qu’on empêchera d’autres crimes".
Thierry a peut-être sauvé d’autres enfants en ayant eu le courage de dénoncer son ancien beau-père.
Celui-ci a été définitivement condamné, il y a moins d’un mois, pour viols et agressions sexuelles sur mineur. Il est parti derrière les barreaux et mis hors d'état de nuire pour les 15 années à venir.
Le petit garçon meurtri a grandi. Il a 35 ans, il est médecin mais reste encore fragile : "Il faut que je ressorte de cet état d’enfant dans lequel j’avais replongé pendant le procès". Son témoignage laisse croire qu'il est sur la bonne voie.
*Le prénom a été changé.