Leurs coquillages sont régulièrement depuis plusieurs années frappés par des épisodes de malaïgue, contamination par norovirus ou autre bactérie, interdisant alors toute vente. Les ostréiculteurs subissent désormais le coronavirus. Et certains n'ont pas droit au chômage partiel ou à des aides.
Philippe Vaudo et Simon Julien ont créé leur société voici onze ans, le 1er janvier 2009. Implantés au bord de l’Etang de Thau, sur la zone conchylicole nord de Loupian (voir carte en fin d'article), ils se sont spécialisés dans la vente et la dégustation de coquillages au cœur des halles et dans un bar à huîtres de Sète, la visite et dégustation dans leur mas, mais aussi les commandes via internet et livraisons aux particuliers et restaurateurs. Sans oublier les participations à de nombreux salons professionnels.
Hors des circuits traditionnels, une mise au chômage partiel à justifier
Mais la fermeture imposée aux restaurants et autres bars pour cause de coronavirus, le confinement des Halles de Sète, le report de plusieurs salons, ainsi que l’interdiction de recevoir du public viennent de les contraindre à mettre au chômage technique leurs dix salariés.La demande, faite par écrit auprès de la D.I.R.E.C.C.T.E (Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi), doit cependant être justifiée, explique inquiet Philippe Vaudo, en attente de validation :
Les ostréiculteurs sont considérés comme des agriculteurs, donc normalement nous sommes censés continuer à produire et à vendre pour nourrir les gens. Mais nous, nous ne vendons pas sur les marchés, ni dans les grandes surfaces !
Des ventes et livraisons au point mort
A la filière des grandes surfaces, qui pèsent sur les prix de production, Philippe et Simon ont en effet préféré leur propre filière indépendante. Mais l’impact coronavirus frappe aussi les commandes par internet et les livraisons à domicile, fers de lance de leur activité : le transport de produits vivants comme leurs huîtres n’est plus pris en charge par certains transporteurs, par crainte de ne pas avoir le personnel et par peur de certains livreurs d’aller chez des particuliers. Le constat est terrible pour Simon Julien :Sans compter les produits annexes comme crevettes, bulots, tielles sétoises qu’ils servaient en dégustation en accompagnement. « C’est 5 000 € de perte en plus», poursuit Philippe Vaudo.Sur un mois de mars traditionnel, nous vendons environ 600 à 700 kilos d’huîtres par semaine. Là, nous avons déjà 1,5 tonnes invendues. Soit une perte de 15 000 € de chiffres d’affaire en deux semaines.
Car même au mas, les clients ne viennent plus acheter :
Nous n’avons eu qu’un seul client en une semaine ! Les huîtres ne sont pas des aliments de première nécessité. Elles ont une image de produit festif, convivial et avec les interdictions de rassemblements même familiaux…les gens n’ont plus envie.
Cette situation est proche de celle d'une autre activité économique maritime de notre littoral d'Occitanie, la pêche comme expliqué dans cet autre article :
Pas de salaire ni droit au chômage pour Philippe et Simon
En janvier et février, les deux ostréiculteurs ne s’étaient pas versés de salaires déjà. En attente d’un crédit de financement pour des travaux dans leur bar à huîtres, ils avaient préféré puiser dans leur trésorerie. C’était sans compter sans ce mois de mars d’épidémie. Et contrairement à leurs employés, leur statut de chefs d’exploitation agricole au sein de leur EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) ne les couvre pas comme l'explique Philippe Vaudo :Une maigre consolation, car si l’Etat va prendre en charge 84% du salaire net des dix salariés mis en chômage partiel, il va leur rester 16% à payer en tant qu’employeurs :Rien n’est prévu pour l’instant pour des gens comme nous. Nous n'avons pas droit au chômage. Seule la MSA (Mutualité Sociale Agricole) ne prélèvera pas nos cotisations salariales de mars (1 500 euros)…
Tous deux sont même stupéfaits que des professions comme la leur soient incitées à prendre des crédits de trésorerie auprès de la BPI (Banque Publique d’Investissement), garantis par l’Etat à 90%...mais à rembourser :Qui va payer pour les charges sociales qui font au final leurs salaires bruts ? On nous dit que les paiements seront décalés, mais comment payer ça même dans deux ou trois mois si on n’a pas eu la moindre recette pendant plusieurs semaines ?
(Philippe Vaudo)
Endettez-vous qu’ils disent ! Il ne faut pas rêver : après la fin de l’épisode coronavirus, on ne va pas tout d’un coup rattraper un mois ou plus de non vente ! C’est reculer pour mieux sauter !
(Simon Julien)
En tant que gérants de bar à huîtres, ils vont par contre bénéficier de 1 500 euros d’aides pour mars (et peut-être avril aussi) pour compenser leur fermeture d’établissement sur Sète si le chiffre d’affaires chute de 70%. Ce qui, avec le prolongement du confinement, sera le cas.
Des huîtres à surveiller
Mais pour eux, même en l’absence de rémunération, le travail continue pourtant au quotidien.Il y d’abord les filets de protection à placer autour des parcs dans l'étang pour éviter que les daurades ne viennent manger les petites huîtres immergées sur cordes.
Et puis l’hiver n’a pas été très froid : la température de l’eau n’est pas descendue en dessous de 9 degrés dans l’Etang de Thau. La croissance des huîtres n’a donc pas fait sa pause traditionnelle en janvier-février.
Alors pour éviter que les coquillages continuent à trop grossir, ils viennent en « détroquer » (décrocher des cordes immergées) chaque jour. Les huîtres, stressées par la manipulation, sont remises dans l’eau mais dans des pochons (sacs grillagés). Elles ne reprendront leur croissance que dans deux ou trois semaines, le temps de se remettre.
Mais rien ne dit qu'alors les ventes auront repris pour Simon Julien :
Pour l'instant, Philippe et Simon vont piocher dans leurs bas de laine pour continuer à vivre. En espérant que le coronavirus ne passe pas le printemps...On a du stock potentiel comme si on était avant Noël. Sauf que là, on ne va pas vendre comme pour les fêtes ! Et les huîtres ne vont pas pouvoir être ainsi gardées indéfiniment.