ImageSingulières à Sète : une photographe contre les clichés

Yohanne Lamoulère, 37 ans, a découvert Marseille sur le tard. Une ville à son image. Fascinée par les quartiers Nord, elle répond à leur réputation de violence et de marginalisation sociale par des clichés où la grâce et la fierté envahissent l’espace public.

Une belle histoire d'amour

Marseille et Yohanne Lamoulère, c’est l’allégorie d’une belle histoire d’amour qui dure depuis près d’une décennie. De ses images, il en ressort de la passion, de la complicité, parfois des désaccords, mais toujours une fidélité à toute épreuve. Retour sur la genèse d’une rencontre entre cette femme souriante et élégante, plutôt bohème et très sociable, et une ville réputée crasseuse, mafieuse, pauvre et violente. Avec en traits communs, le soleil du Sud qui sublime la ville comme il illumine son sourire contagieux.

Elle est un peu comme moi, changeante, méditerranéenne et plurielle

« Marseille est devenu ma ville. Elle est un peu comme moi, changeante, méditerranéenne et plurielle », clame-t-elle, suscitant la curiosité des visiteurs venus voir son exposition Gyptis et Protis, des histoires d’amour à Marseille*. Née en 1980 dans l’Aude d’un père ardéchois et d’une mère algérienne issue d’une famille pro FLN, elle passe son enfance à Nîmes, à quelques encablures de la Méditerranée.



Une identification à Marseille

Elle franchira la distance qui la sépare de Marseille, à l‘âge de 24 ans, en jetant son dévolu sur les quartiers Nord. « Ce n’est pas un hasard, il y a une part d’identification. J’ai moi-même grandi à Nîmes dans un quartier similaire. » Elle s’installe dans le quartier Saint-Antoine (15e arrondissement) et retrouve dans cette périphérie les influences culturelles de son enfance. Dont, bien entendu, le film « Un, deux, trois, soleil » sur les banlieues de Marseille auquel s’ajoute la mythologie qui entoure la ville, et le rap marseillais.

J’aime montrer comment les gens se retrouvent et investissent les lieux communs

Diplômée de l’ENSP (Ecole Nationale Supérieure de la Photographie) Arles en 2004, elle se met à documenter les quartiers Nord et plus précisément  ses espaces publics. « J’aime montrer comment les gens se retrouvent et investissent les lieux communs », reconnaît-elle. « Elle est très réactive à l’action. Elle a un point de vue affirmé et ne fait pas de chichi. Ses images ont toujours du sens », explique Gilles Favier, le directeur artistique du festival ImageSingulières.


Pas de chichi

Ses clichés, elle les prend au Rolleiflex, en argentique. Un petit boitier bi-objectif créé dans les années 30 et réputé pour ses photographies au format carré et aux couleurs vives. Elle en fait une marque de fabrique. Qui deviendra un atout. Mais comporte aussi ses limites. Le directeur du festival lui fait essentiellement le reproche d’une approche un peu « psychorigide de la photographie » et de « ne pas assez se lâcher ». Ce qui s’explique, selon lui, par « la volonté de Yohanne de vouloir maîtriser cet appareil compliqué et très statique ». Rien d’étonnant, donc, à ce que son type de photo favorite soit le portrait.

Avec son objectif, elle fait rayonner la vie des quartiers Nord et de ses habitants. Après quelques collaborations fructueuses avec la presse, Gilles Favier la choisit pour participer au fonds documentaire La France vue d’ici*, en 2014. Elle fait partie des quatre premiers photographes à intégrer ce projet qui en compte désormais 25. Elle est sélectionnée pour intégrer le projet de photographie documentaire Jeunes-générations, commandée par l’État, en décembre 2016.


Des atomes crochus avec les quartiers Nord

« Elle s’est sédentarisée sur Marseille et voulait travailler sur le long terme. Je lui ai proposé de faire des chroniques de la ville. Au final, elle a un peu trop synthétisé son travail dans les quartiers Nord », souffle le directeur artistique du festival. Un glissement qu’elle admet volontiers. « Je connaissais mieux les quartiers Nord. J’y avais mes repères. Les gens ont un rapport différent au corps, à l’image et à l’appareil photo ». À ses yeux, la précarité de ces cités, voire leur insalubrité, n’empêchent pas d’y trouver « plus de beauté que dans les quartiers bourgeois ».

Ils sont dans une volonté d’expression de leur identité. Dans leur cité, ce sont des reines et des rois

L’ambiance ghetto, les rapports de force et la marginalisation de la société conviennent mieux à cette fille au sang chaud. « Ils sont dans une volonté d’expression de leur identité. Dans leur cité, ce sont des reines et des rois. Face à l’appareil photo, ils ont l’air de dire : « Regarde qui je suis ». Il y a de la défiance, de la fierté. Leur regard est cash, et frontal. C’est vif ».

 Elle est tellement naturelle qu’elle n’a pas peur d’y aller toute seule

Son aisance face à ces situations parfois tendues n’étonne plus son meilleur ami, Malik, employé au service culturel de la mairie des 15 et 16e arrondissements depuis 30 ans. « J’essaie de l’aider en l’infiltrant dans certains réseaux et quartiers. Elle est tellement naturelle qu’elle n’a pas peur d’y aller toute seule avec son appareil photo. Pourtant, là bas, c’est mal vu ». Elle se fond tellement dans le paysage des quartiers Nord qu’elle y installe son bureau, à La Viste (15e arrondissement).

Ces quartiers, c’est chez nous et on n’irait nulle part ailleurs

« Ce qui fait sa force, c’est son côté un peu naïf », confie Malik qui souligne « l’autoritarisme dont elle fait preuve sans s’en rendre compte. Et en plus elle est têtue ». En écho, Gilles Favier a depuis longtemps cerné le « petit caractère » – comprendre bien trempé – de celle qu’il a contribué à lancer en l’invitant dans son festival dès la deuxième édition en 2010. Sous son air calme, cette femme est un volcan bouillonnant, qui parvient à s’intégrer dans tous les milieux. « Yohanne fonctionne beaucoup à l’affect », confie Gilles Favier qui s’amuse d’entendre la jeune femme l’appeler « papa ».


Ville sujette aux fantasmes et aux peurs

Dans cette ville sujette « aux fantasmes et aux peurs » – dixit Yohanne Lamoulère – la phocéenne d’adoption a su faire son nid grâce « à son énergie positive et à son amour pour son métier et pour les gens », reprend Malik. « Depuis huit ans qu’elle photographie les quartiers Nord, elle n’a, à ma connaissance, jamais eu de problème. Elle ne craint rien, même si cela m’arrive d’avoir peur pour elle. Sous ses côtés ‘bobo’, elle va vers les autres, elle est dans l’esprit d’échange, de solidarité et de partage. Je la sens marseillaise. »

Montrer que dans ces quartiers Nord abandonnés et précaires, il y a aussi de bonnes choses

Selon lui, un des mérites de son travail est « de montrer que dans ces quartiers Nord abandonnés et précaires, il y a aussi de bonnes choses. Quand elle montre ses photos, les gens des quartiers sont fiers ». Yohanne en a conscience, mais son tempérament de battante laisse parfois place à de l’abattement : « Des fois, je ne crois plus à l’avenir des quartiers, par moment ça me désespère. En même temps, c’est chez nous et on n’irait nulle part ailleurs.

L’amour et la tendresse face à la violence et la mort 

Avec une revendication toute militante, elle s’emporte lorsqu’elle aborde les changements urbains auxquels sont confrontés les habitants des quartiers, comme le montre sa photo d’une pelleteuse détruisant une tour des Créneaux. « Ils disent que c’est amianté. Mais pour moi, c’est surtout une excuse pour repousser les pauvres et attirer les croisiéristes. C’est une volonté politique de la ville de reprendre les collines avec une vue de dingue sur la mer. »

Le rapport à l’amour et à la tendresse dans ces quartiers difficiles

Mais son militantisme ne s’arrête pas là. Ses photos sont là pour contrer les clichés. En dépit des règlements de comptes et de la violence endémique, sa vision des quartiers Nord concilie « des choses horribles et merveilleuses à la fois ». Une perception qu’elle met en exergue dans son exposition « Gyptis et Protis, histoires d’amour à Marseille ». Elle y « montre le rapport à l’amour et à la tendresse dans ces quartiers difficiles ». Ce qui est, pour elle, « la seule issue possible face à la violence et à la mort ».
« Tout le monde dans les quartiers connaît quelqu’un qui s’est fait buter. C’est un truc douloureux ».

En témoignent les bouquets de fleurs, posés ça et là, sur les lieux des drames. « Sa photo avec les cœurs gravés sur un arbre et le bouquet de fleurs accroché au tronc, souligne Malik, c’est quelque chose de fort avec toute une histoire derrière. En la voyant, un Marseillais sera tout de suite de quoi elle parle ».

Aujourd’hui, l’histoire de Yohanne Lamoulère se confond avec celle des quartiers Nord. Dans ses photos, les instants de grâce se confrontent à des moments douloureux avec de la solidarité en toile de fond. En résulte une œuvre en forme de tableau qui reflète tant son amour pour les gens que leurs difficultés à vivre dans ces quartiers. Une image vivante et colorée. Comme elle. Comme ses photos. Et comme Marseille.


*Son travail pour « La France vue d’ici » est exposé aux entrepôts Larosa et sa série de photos pour « Jeunes-générations » est exposée à l’ancien collège Victor-Hugo, à Sète, jusqu’au 11 juin, dans le cadre du festival de photographies documentaires ImageSingulières.

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http://imagesingulieres2017.blogsesjpro.fr/

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